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Trois enseignements tirés du 13e Forum de l’AWID

Le Forum de l'AWID a été un moment de célébration, de réflexion et de créativité. 

C’est ce qui se passe lorsque près de 1 800 féministes se rassemblent. Au cœur de cette énergie, de cette inspiration et de notre manque de sommeil, un processus sérieux s’est opéré, un processus qui visait à reconnaître nos différences, à encourager nos intersectionnalités et à créer une vision collective du monde féministe que nous voulons voir se dessiner. 

Depuis mon retour, j'ai beaucoup réfléchi à ce que le Forum m’a véritablement apporté : ce qui m'a marqué, ce qui m’a frappé et ce qui m'a amenée à une réflexion personnelle constructive. Voici quelques éléments que je souhaite partager avec vous.

En premier lieu, notre ou nos mouvements ne peuvent pas véritablement en être si nous ne connaissons pas nous-mêmes. 

Le Forum a été une occasion importante qui nous a permis de mettre des visages sur des noms mais aussi d’entendre la voix de celles et ceux qui devraient être considéré-e-s comme de nouvelles personnes influentes au sein de nos mouvements. Leurs luttes ou mobilisations ne sont pas nécessairement nouvelles, mais ces personnes disposent d'espaces nouveaux pour donner de la voix et se faire entendre. Pour comprendre le chemin parcouru, il a par exemple été important d’écouter nos sœurs et frères transgenres nous dire à quel point ils et elles ont dû se battre pour trouver leur place au sein des mouvements pour les droits des femmes. Grâce au message de nos sœurs afro-féministes affirmé haut et fort, nous avons ajouté un pilier fondamental à notre mouvement mondial. Nous avons aussi entendu nos sœurs handicapées nous rappeler notre responsabilité dans la concrétisation de notre engagement à inclure les personnes vivant avec un handicap dans nos priorités et nos luttes, et leur message a ouvert la voie à une réflexion sur nos propres stratégies de travail et d'inclusion. Nous avons enfin écouté nos sœurs membres des mouvements autochtones réaffirmer les valeurs et les stratégies qui animent depuis des décennies leur lutte contre le changement climatique, et leur discours s’est mué en un véritable baromètre susceptible de nous guider dans l’établissement de nos priorités dans le cadre des engagements et stratégies mondiales qui seront négociées dans les 10 années qui viennent. Depuis l'Accord de Paris jusqu’à l’adoption ODD, nous avons en effet pu constater que de nombreux engagements ont été pris mais que les actions restent rares.

En deuxième lieu, l’intersectionnalité est davantage un processus qu’une fin en soi

Le Forum a été un moment crucial qui a permis de discuter et de cartographier les tenants et aboutissants de l’intersectionnalité. Ce concept est utilisé dans de nombreux contextes, mais que devient-il lorsqu’il est examiné dans une perspective féministe ? De toute évidence, il recouvre bien plus que les notions d'intégration et de collaboration. L’approche intersectionnelle veut qu’il n'y ait pas de vérité féministe sans que toutes les vérités soient représentées. Elle suppose une reconnaissance du fait que l’oppression n’est pas uniforme mais qu’elle revêt de multiples formes qui s’entrecroisent. Elle suppose également que nous célébrions nos valeurs et nos croyances communes tout en soutenant et renforçant nos mouvements divers. J'ai entendu et appris d'autres participant-e-s que le féminisme intersectionnel est un processus que nous (féministes) contrôlons, et que nous devons donc co-créer nos propres mécanismes internes de collaboration dans le but de garantir le fait que tous les groupes soient représentés et qu’ils alimentent notre programme commun. À défaut, nous ne ferons que reproduire les structures d’oppression présentes dans nos communautés et sociétés. Notre village féministe doit exister au sein et entre les groupes que nous formons avant d'être diffusé vers l'extérieur.

En troisième lieu, le souci de soi n’est pas un luxe, il est la clé de notre succès. 

Nous ne transformerons pas ce monde en un monde féministe sans prendre soin de nous. Les défenseuses des droits humains, les militant-e-s de l'égalité de genre et les féministes sont souvent ostracisé-e-s et stigmatisé-e-s par leur communauté, leur famille et leur gouvernement. Ils et elles luttent pour trouver leur place dans des structures et des systèmes sociaux patriarcaux. Certaines des personnes membres de nos mouvements quittent leur domicile tous les matins sans savoir si elles parviendront à rentrer chez elles le soir : elles courent en effet le risque de subir des menaces émotionnelles et physiques ou encore d’être agressées, emprisonnées et parfois assassinées. Si nous savons exprimer notre solidarité et agir en conséquence, nous oublions souvent d'encourager les autres et nous-mêmes à mettre en pratique le souci de soi. Le Forum nous a permis d'explorer ce que signifie le fait de prendre soin de soi ainsi que les moyens de transformer ces pratiques en un mantra féministe. À une époque où le souci de soi semble devenir un concept à la mode, comment pouvons-nous incarner les valeurs et l'esprit d’un souci de soi féministe au sein de nos familles et de nos communautés ? Durant l’une des plénières, une intervenante nous a rappelé le fait que « prendre soin de nous-mêmes est une stratégie pour notre libération collective ». Une autre nous a demandé d’approcher le souci de soi comme un processus de création et de renforcement des communautés de pratique plutôt que de manière individualiste, de ne pas considérer le souci de soi comme une action ponctuelle mais comme faisant partie d’un continuum d’échanges, d’attitudes et de mécanismes de soutien.


Plus généralement, le Forum de l'AWID nous a permis d'évaluer nos forces et nos faiblesses. Et même si je me pose encore des questions sur la façon dont nous pourrions transformer nos valeurs collectives en un programme pour un changement global, j’ai acquis la conviction absolue que les mouvements féministes – comme ceux qui étaient représentés au Forum – seront des acteurs essentiels dans le cadre des changements sociaux, politiques, économiques et culturels qui nous attendent. 

Pourquoi en ai-je la conviction ? Parce nous sommes plus divers-e-s que jamais et que cette diversité démultipliera notre pouvoir. Nous sommes également des mouvements dotés d’un leadership intergénérationnel exceptionnel, ce qui un atout indéniable pour notre capacité d'influence et de mobilisation. 

Enfin, nous n’avons pas peur de nos erreurs et nous disposons des solutions pour les corriger. 
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Analyses