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Qu’y a-t- il de sexy dans la santé et les droits sexuels et reproductifs ?

Badin.

Un luxe.

Un sujet à traiter une fois tous les autres problèmes réglés.

Dans le contexte de la santé et des droits sexuels et reproductifs (SDSR), le thème du plaisir reste un immense tabou.

Les personnes qui, dans le monde entier, travaillent dans ce domaine peinent pourtant à transmettre aux jeunes un certain nombre d’informations vitales pour leur santé et leurs droits sexuels et reproductifs. Serait-ce parce que nous ne parvenons pas à prendre en considération les motivations et les désirs de ceux et celles que nous tentons d’atteindre ?

En privilégiant les solutions techniques, les prestations de services, les solutions de grande envergure, les dangers des pratiques sexuelles à risque, nous tentons de nous faire entendre par notre « clientèle » potentielle en usant d’un langage et de méthodes qui l’excluent.

Cela signifie-t-il que les personnes qui vivent dans certaines sociétés ne s’intéressent absolument pas aux sensations que procure le sexe ? Ces personnes contractent-elles des MST ou font-elles des enfants sans recourir au sexe ?

Il est évident que ce n’est pas le cas.

C’est la raison pour laquelle Love Matters, l’organisation pour laquelle je travaille, s’évertue à combler ce fossé en parlant véritablement de la part « sexy et mouillée » du sexe. Nous agissons principalement dans l’espace numérique, ce qui nous permet de contourner les sentinelles traditionnelles de l’éducation sexuelle intégrée en combinant les médias, la technologie mobile et des récits convaincants pour atteindre les communautés qui nous visons.

Les organisations de ce type étant physiquement absentes de la vie des personnes que nous ciblons, le défi que nous devons relever consiste à devenir pour elles une ressource qu’elles rechercheront activement et vers laquelle elles retourneront.

Les membres de Love Matters ont compris que le « plaisir » pouvait être un moyen de travailler plus généralement sur les droits et l’éducation sexuelle.

Depuis nos débuts il y a 5 ans, nous avons organisé 50 millions de sessions, nos pages ont été vues 128 millions de fois et nous sommes suivi-e-s par 3 millions de personnes sur les médias sociaux.

Et devinez quoi : une grande partie de ces personnes entrent sur notre site internet par le biais de sujets traitant du plaisir.

En parlant ouvertement du plaisir sur nos plateformes, nous allons bien au-delà du badinage. Nous avons réussi à créer une zone sans tabous dans laquelle il est possible d’apprendre sans crainte d’être jugé-e.

Et quand ce processus se met en place, nous voyons les limites se défaire, et il devient possible d’entamer la discussion sur les comportements à risque.

Cette logique fonctionne au point que nos pages privées sur les réseaux sociaux ont permis à une jeune femme du Caire, sur le point de se marier et préoccupée par le fait qu’elle ait pu perdre sa virginité en se masturbant, de trouver un espace sûr où poser les questions qui l’inquiétaient et même montrer des photographies de son vagin.

Cette logique fonctionne au point qu’un jeune homme indien s’est mis à réfléchir à « toutes les mauvaises choses qu’il avait faites » après avoir lu un article qui expliquait à quel point les attouchements étaient désagréables du point de vue d’une femme. Il a expliqué qu’il avait l’habitude de tripoter les filles et les femmes dès qu’il en avait l’occasion et qu’il « frottait ses parties intimes contre elles dans les trains ou les bus bondés ». Il a déclaré se sentir maintenant coupable et s’est excusé pour son comportement.

Cette logique fonctionne au point qu’une jeune femme kenyane s’est tournée vers nous quand elle a découvert que son partenaire la trompait et qu’elle a dû trouver le courage de vérifier qu’elle n’avait pas été infectée par le VIH. Elle s’est encore tournée vers nous quand les services publics lui ont refusé la possibilité de passer ce test sous prétexte qu’elle n’était pas mariée, mais aussi quand elle a finalement appris qu’elle était porteuse du virus. Elle a décidé de faire connaître sa séropositivité à toute la communauté du forum et utilise désormais notre site kenyan pour inciter les autres à subir le test de dépistage du VIH.

Ce sont là des exemples bien réels.

Ces jeunes personnes vivaient une période décisive de leur vie et avaient besoin d’informations.

Il est par conséquent important de ne pas utiliser un langage qui catalogue, compartimente et juge. Il faut au contraire créer un espace de dialogue et de compréhension des différentes options pour permettre aux gens de prendre des décisions en toute connaissance de cause.

La plupart des gens ne se perçoivent pas comme des auteurs de violences sexuelles ou comme des personnes susceptibles de violer les droits humains. Bien peu se considèrent comme des personnes « à risque ». Personne ne se classe spontanément parmi les « marginalisé-e-s ». Et ceux et celles qui le sont n’entreraient jamais ces termes dans un moteur de recherche.

Quand on parle de sexe et de plaisir sexuel, le langage est un outil puissant, souvent utilisé pour renforcer les stéréotypes négatifs et les déséquilibres de pouvoir.

Dans de nombreuses régions où nous travaillons, il n’existe par exemple aucun mot pour décrire le plaisir féminin, ce qui montre à quel point ce concept est tabou. Le vocabulaire commun élimine purement et simplement la possibilité de parler du plaisir féminin d’une manière positive ou du moins, neutre.

Au moment où Love Matters a lancé son site indien, la langue Hindi courante permettait d’exprimer l’idée de masturbation masculine, mais il n’existait aucun mot pour parler de la masturbation féminine. Nous utilisions un mot pour cela dans les cercles de SDSR, mais nous avons été les premiers-ères à le mentionner dans une discussion en ligne destinée aux jeunes. Nous en avons ainsi normalisé l’usage et l’avons fait connaître à un public plus large.

Nous avons également dû nous assurer que les jeunes femmes égyptiennes puissent avoir accès à une représentation de la vulve avec toutes ses composantes nommées en arabe. Nous voulions qu’elles puissent acquérir une meilleure connaissance de leur corps et qu’elles imprègnent leurs parties génitales de la puissance de leur nom. En Égypte, la plupart des manuels ne montrent pas – et nomment encore moins – les différentes composantes de la vulve. Il est donc habituel que les femmes ne sachent pas où se trouve le clitoris et ne soient pas capable de l’identifier sur une image, ce qui rend d’autant plus difficile tout dialogue sur les conséquences de l’excision ou des mutilations génitales féminines.

Le plaisir n’est pas un sujet à aborder une fois tous les autres problèmes réglés : le fait que les femmes identifient et comprennent leur plaisir ainsi que leur droit au plaisir est indispensable à leur autonomisation.

Le temps est donc venu de dépasser l’aspect instrumental de la SDSR pour les femmes. Parlons des humains et des humaines comme ils et elles sont, dans leur intégralité, dans toute leur beauté vivante, haletante et suante. Parlons de nous comme des personnes et non comme des futur-e-s porteurs-euses de maladies ou comme des mécanismes reproductifs.

Car le fait qu’une femme comprenne son plaisir, s’approprie ce plaisir et le recherche a des conséquences extrêmement importantes. Le rapport que nous entretenons avec notre corps en est bouleversé ainsi que les décisions que nous prenons à son sujet.
Alors maintenant, en avant ! Revendiquez votre droit au plaisir et invoquez le pouvoir du « Ooooooooooh »…

 


A propos de l'auteure

Hannah est directrice des activités créatives et co-responsable des stratégies au sein de Love Matters, une organisation intégrée à RNW Media. Spécialiste de la communication et activiste, elle explore avec passion les moyens d’induire de véritables transformations par le biais du récit, des innovations numériques et de l’art.

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Analyses
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