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Résolution européenne sur l'égalité: Conséquences pour les droits génésiques en Europe centrale et orientale

Le Parlement européen a approuvé une résolution prônant de plus vastes droits sexuels et génésiques sur le continent.

Par Kathambi Kinoti

Le premier février 2010, le Parlement européen a approuvé une résolution reconnaissant, entre autres, “que les femmes doivent avoir le contrôle sur leurs droits génésiques et sexuels, notamment à travers un accès facile à la contraception et à l'avortement.” (Article 38) Cette résolution a été saluée par les défenseures des droits des femmes en Europe. Le réseau ASTRA [i] a immédiatement publié un communiqué faisant l'éloge du Parlement et stipulant que la résolution constitue une bonne conclusion à la campagne menée par ASTRA pour instaurer une législation assurant aux femmes un contrôle total sur leurs droits sexuels et génésiques.

Situation actuelle en Europe Centrale et Orientale (ECO)

Le statut des femmes européennes en matière de droits sexuels et génésiques varie d'un pays à l'autre. Les Pays-Bas disposent de lois très libérales; l'avortement y est autorisé sur demande jusqu'à 24 semaines de grossesse. À Malte, l'avortement est totalement interdit. Dans plusieurs États de l'ancienne Union soviétique, alors que la législation autorise l'accès à l'avortement et à la contraception pour les femmes, cet accès n'est ni facile ni universel dans la réalité. L'avortement est légal et accessible depuis les années 1950 dans les pays ECO, à l'exception de l'Albanie et de la Roumanie, mais, depuis la chute du communisme dans les années 1990, les débats sur l'avortement et la contraception se sont inscrits de plus en plus dans un cadre idéologique et religieux, ce qui a affecté l'accessibilité des informations et des services.

Wanda Nowicka, la coordinatrice d’ASTRA note[ii]:

“Contrairement aux sociétés occidentales où les femmes ont dû lutter pour leurs droits génésiques dans les années 50 et 60, les sociétés des pays ECO n'ont pas dû défendre ces droits. Elles n'ont dès lors pas développé d'arguments et organisé de mouvements en faveur de l'avortement et sont devenues, en partie à cause de cela, particulièrement vulnérables aux discours anti-avortement.”

D'un point de vue historique, les droits génésiques dans les pays ECO ne sont pas considérés comme faisant partie de la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, peut-être du fait de l'absence d'engagement politique de la part des femmes par rapport à ce sujet. Tout comme dans d'autres régions du monde, les arguments religieux n'ont pas non plus tenu compte de l'égalité des droits pour les femmes; les droits du fœtus prévalent sur ceux de la femme. De façon étrange, un ancien ministre de la santé de Pologne a déclaré qu'il ne considérait pas l'avortement comme une question de santé et qu'il ne voyait dès lors pas la nécessité de promouvoir les services de contraception. [iii]

Nowicka écrit que les juristes et les professionnels de la santé deviennent de plus en plus conservateurs. Alors que l'avortement peut être acceptable d'un point de vue légal, les professionnels de la santé citent de plus en plus la conscience comme raison de l'opposition à l'avortement ou aux services de contraception. Elle constate qu'il existe probablement un lien important avec la montée des forces religieuses.

Les préoccupations démographiques poussent également à ne pas octroyer aux femmes le contrôle total sur leurs choix en matière de reproduction. La chute des taux de natalité dans les pays ECO[iv] constitue une source d'inquiétude pour de nombreux dirigeants politiques qui prônent la restriction de l'avortement et de la contraception. Des preuves scientifiques montrent néanmoins que les taux de natalité en Pologne ont continué de diminuer même après la criminalisation de l'avortement en 2003.

La plupart des États ECO connaissent des taux de grossesse des adolescentes de deux à quatre fois plus élevés que dans les pays occidentaux (excepté le Royaume-Uni) et c'est dans ces pays que les taux d'infection par le VIH des adolescents croissent le plus rapidement en Europe. L'éducation à la sexualité est généralement absente dans les pays ECO. Selon Nowicka, elle ne figure pas du tout aux programmes scolaires en Arménie alors qu'en Lituanie et en Slovaquie elle fait partie des cours de biologie et de religion ou de morale qui n'expliquent pas suffisamment le sujet. Il existe un manque important d'informations précises et objectives sur “tous les aspects de la sexualité, de la contraception, [et] des maladies sexuellement transmissibles y compris le VIH/SIDA” et les jeunes gens ne disposent pas de suffisamment de connaissances pour prendre des décisions par rapport à leur santé ou à leurs droits sexuels et génésiques. L'aspect tout aussi important de l'égalité entre les femmes et les hommes ne figure généralement pas aux programmes d'éducation à la sexualité.

Soixante-trois pour cent des grossesses en Europe orientale ne sont pas prévues et l'avortement représente la principale méthode de contrôle de la fertilité en Russie. La contraception est acceptée bien plus lentement dans les pays ECO que dans le reste de l'Europe pour plusieurs raisons. Le coût est un facteur; en Russie et en Arménie, le coût annuel de la contraception pour une femme dépasse le coût de l'avortement. L'information est un autre facteur important; les prestataires de soins ont souvent des idées fausses par rapport aux méthodes de contraception ou des opinions religieuses qui faussent leur perception précise des choix des femmes en matière de contraception et d'avortement.

Que signifie la Résolution pour la santé et les droits sexuels et génésiques des femmes?

La résolution du Parlement européen réclame des mesures pour améliorer l'accès aux informations et aux services relatifs à la santé sexuelle et génésique. Elle devrait par ailleurs sensibiliser le public afin de supprimer le stigmate entourant la contraception et l'avortement. Elle demande aussi aux États membres de mettre en œuvre des mesures pour s'assurer que les hommes soient conscients de leurs responsabilités pour les questions sexuelles et génésiques.

Tandis que le discours religieux s'opposant au contrôle des femmes sur leur santé et leurs droits sexuels et génésiques gagne du terrain dans des pays tels que la Croatie et la Lituanie, cette résolution envoie un message politique fort. Il existe cependant d'importantes contraintes politiques. Selon Nowicka, en 2008, le médiateur polonais aux Droits de l'Homme a envisagé de porter plainte contre une disposition légale en Pologne autorisant l'avortement pour des raisons thérapeutiques. Il a souhaité restreindre les motifs sanitaires sur lesquels les femmes pouvaient s'appuyer pour demander l'avortement. Bien qu'il ait finalement décidé de ne pas l'appliquer, l'esprit de cette proposition dérange néanmoins les défenseures des droits des femmes: les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et du Parlement européen pourraient engendrer des interprétations pédantes qui nient ces décisions.

L'Europe dispose des lois les plus progressistes en matière d'égalité entre les femmes et les hommes et de choix sexuels et génésiques. Cependant, il existe toujours dans plusieurs pays un fossé profond entre la politique et la législation d'une part et la pratique sur le terrain d'autre part. La récente résolution du Parlement européen contribue à combler ce fossé grâce à l'utilisation d'un vocabulaire typique de la question de l'égalité des sexes et grâce aux demandes spécifiques formulées aux gouvernements européens.

[i] Réseau pour la santé et les droits sexuels et génésiques des femmes de l'Europe centrale et orientale.

[ii] Nowicka, Wanda. “Tendances récentes en matière de droits sexuels et génésiques en Europe centrale et orientale, particulièrement en Pologne.”

[iii] Cité par Nowicka. Voir note ii ci-dessus.

[iv] Voir carte ici.

Référence: Nowicka, Wanda. “Tendances récentes en matière de droits sexuels et génésiques en Europe centrale et orientale, particulièrement en Pologne.”

Category
Analyses
Region
Europe
Source
AWID