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À moitié plein ou à moitié vide? L’ONU et les États membres utiliseront-ils leur pouvoir pour promouvoir un programme transformateur de développement ?

Nous entamons aujourd’hui la dernière étape du processus visant à établir le programme de développement pour l'après-2015. Au cours des deux prochaines semaines de négociations qui auront lieu à l’ONU et des mois de consultations informelles qui s’en suivront, se tiendront des débats sur la déclaration initiale, les ODD et leurs cibles et les moyens de mise en œuvre, ainsi qu’un suivi et un réexamen des mécanismes présentés dans l’avant-projet de document final


Les gouvernements du monde entier, réunis du 20 au 31 juillet 2015 au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York pour une dernière série de négociations sur le document final du programme de développement durable pour l'après-2015, ont entre leurs mains le pouvoir de fixer les priorités globales de développement et de guider le système de l’ONU dans son ensemble pour les quinze prochaines années. Les féministes et les activistes en faveur des droits des femmes cherchant à influencer ce processus sont prêtes à mener l’ultime bataille pour réorganiser les efforts menés à l’échelle mondiale en faveur d’un cadre de développement basé sur les droits humains, la justice économique et environnementale et la justice de genre. Mais cela n’a rien d’une tâche aisée.

Après treize séances de négociations intenses, les États membres des Nations Unies ont été à même de proposer un ensemble de 17 objectifs de développement durable (ODD) et de déterminer des cibles précises pour chacun d’entre eux. Le délai imparti afin de s’entendre sur le programme de développement pour l’après-2015 expire en septembre 2015, où il sera adopté à l’occasion de la 70ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

Depuis 2012, les activistes féministes et en faveur des droits des femmes ont été nombreuses à proposer leur analyse, leur expertise et leur témoignage préconisant un programme transformateur et inclusif fondé sur les droits humains pour tou-te-s et la préservation et le respect de la planète, et ont considérablement contribué[1] à ce que le genre soit pris en compte dans les ODD.

Les organisations de la société civile, notamment les organisations et activistes en faveur des droits des femmes et féministes, doivent continuer à monter la garde au cœur de ce processus. Ils et elles ont un rôle primordial à jouer dans l’évaluation de la mise en œuvre du local jusqu’au mondial du programme, et son impact sur le financement mondial du développement, du rôle de l’ONU et des États dans la promotion du développement durable, et des efforts de lutte contre le réchauffement climatique et la destruction de l’environnement.

Le financement et la redevabilité constituent encore des défis de premier plan

Le cadre financier permettant la mise en œuvre du programme suscite une déception générale, en particulier à l’issue de la troisième Conférence sur le financement du développement (FdD3) qui vient de s’achever à Addis-Abeba.

Pour la majorité des activistes en faveur des droits des femmes et les organisations de la société civile impliqué-e-s dans l’après-2015, la FdD3 a représenté l'occasion de s’attaquer aux injustices structurelles inhérentes au système économique et financier mondial actuel. Cependant, le document final de la FdD3 intitulé Programme d'action d'Addis-Abeba est presque totalement dépourvu d’objectifs réalisables. Une déclaration de la société civile en date du 16 juillet soulignait clairement que l’issue de la FdD3 « ne répond pas aux multiples défis mondiaux actuels et ne contient pas non plus le leadership, l’ambition et les actions concrètes nécessaires. » Les activistes en faveur des droits des femmes à Addis ont exprimé des inquiétudes similaires.

Parmi les questions qui n’ont pas été soulevées par les États membres à la conférence FdD3 d’Addis figurent les problèmes systémiques mondiaux au niveau des politiques macro-économiques, financières, commerciales, fiscales et monétaires, qui permettraient d’obtenir une incidence positive sur les droits humains s’ils étaient résolus, y compris sur les droits des femmes et l’égalité de genre à une échelle mondiale. Ces questions demeurent valables pour les deux prochaines semaines de négociations sur le programme de l’après-2015.

La question de la redistribution des richesses comme moyen de lutter contre le pouvoir des 1% les plus riches de la population mondiale demeure inexplorée malgré l’importance qu’elle revêt dans la lutte contre la pauvreté multidimensionnelle, les inégalités au sein des pays et entre les pays, ainsi que la justice sociale – notamment la justice de genre.

Si le Programme d’action d’Addis-Abeba a globalement reconnu que des finances publiques solides soutenues par une mobilisation des ressources nationales constituaient une source importante de financement du développement, en particulier pour les pays en développement, les pays développés – dont les entreprises multinationales sont des expertes de la fraude fiscale – se sont opposés à la création d’une instance fiscale intergouvernementale sous l'égide de l'ONU, soutenue par le G77[2], le groupe des 77 pays en développement. Cette instance pourrait permettre de s’attaquer aux flux financiers illicites qui dépouillent les pays en développement de leurs ressources essentielles ainsi que de contrôler les politiques fiscales qui affectent la capacité des gouvernements nationaux à fournir accès à l’éducation, à la santé et à la protection sociale.

À l’incapacité de traiter le problème du système fiscal international s’ajoute la redevabilité en ce qui a trait au financement du secteur privé, qui demeure un sujet de préoccupation majeure. Les ressources du secteur privé sous la forme d’investissements directs étrangers (IDE) et de partenariats public-privé (PPP) continuent à être prônées comme étant la solution miracle au financement du développement mondial, bien qu’accompagnées de mécanismes de redevabilité insuffisants pour pouvoir garantir que leurs activités sont conformes aux normes en matière de droits humains, y compris aux mesures de protection environnementale et sociale.

L’issue de la FdD3 devrait avoir un impact significatif sur les politiques et les débats des négociations autour de l’après-2015. Si les pays en développement ont salué les avancées dans les domaines de l’infrastructure, la viabilité de la dette, la technologie et le renforcement des capacités, il reste encore de nombreux défis à relever. Les pays développés, par exemple, refusent encore d’assumer les responsabilités historiques qui leur incombent conformément au principe de responsabilités communes, mais différenciées (RCMD)[3] définies dans le processus de développement durable de Rio 92, qui est le prédécesseur direct du processus actuel pour les ODD. Cette question, directement liée au financement et à la mise en œuvre du programme de développement durable pour l’après-2015, ne manquera pas de susciter de nouveaux débats dans les prochaines semaines.

Un autre défi que nous trouvons sur notre route concerne le suivi et la révision, séparés et pourtant liés, des engagements convenus lors de la FdD3 et des processus des ODD moyennant des calendriers précis. À cet égard, il est nécessaire de trouver les synergies tout en respectant les mandats et les mécanismes de suivi correspondants pour chaque processus afin de renforcer (et non de réduire) les engagements dans les deux processus. La mobilisation de ressources exigera sans nul doute un solide partenariat mondial.

Anciennes et nouvelles inquiétudes concernant l’égalité de genre et les droits des femmes

Les organisations de droits des femmes et les activistes féministes ont exprimé une série d’inquiétudes quant au document final du programme pour l’après-2015. Par exemple, la Post-2015 Women’s Coalition (Coalition des femmes pour l’après-2015) a publié une réponse au projet zéro le 16 juin. Le Women’s Major Group (Groupe majeur des femmes) a quant à lui publié une série de 10 signaux d'alarme le 22 juin qui met en évidence les domaines à consolider dans les prochaines négociations.

Répondant à la question sur le financement des droits des femmes et de l’égalité de genre, l’ONU Femmes a appelé lors de la Conférence d’Addis à un financement transformateur pour mettre un terme aux inégalités de genre d’ici 2030. L’entité de l’ONU promet de collaborer avec les États membres pour mettre en œuvre un Plan d'action sur le financement transformateur en faveur de l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes, afin de s’assurer que les engagements pris en matière de genre et intégrés au Programme d’action d’Addis-Abeba soient traduits par des actions concrètes.

 Messages clés de l’AWID pour les semaines à venir:

  • Il est nécessaire d’élever le niveau d’ambition et d’aborder les objectifs clés définis par les pays dans le cadre du programme. La pauvreté multidimensionnelle, qui fait partie des défis à régler de toute urgence afin de parvenir au développement durable, doit être abordée du point de vue des droits humains. Les références aux droits humains doivent être plus explicites et s’accompagner de recommandations concrètes portant sur les principes clés que sont la non-discrimination, l’égalité, la non-régression, et le maximum de ressources disponibles.
  • Le document final doit reconnaître et traiter les déséquilibres de pouvoir et surmonter les obstacles structurels conformément au principe des RCMD – à travers la consolidation d’un partenariat mondial fondé sur les principes d’équité, de droits humains, de solidarité internationale, de responsabilités mutuelles et différenciées ; la redistribution des richesses, et en accordant une place centrale à l’égalité de genre ainsi qu’aux droits humains et à l’autonomisation des femmes.
  • Reconnaître la lutte contre l’inégalité de genre comme un objectif et problème transversal essentiel, ainsi qu’éradiquer la discrimination en tous genres et rééquilibrer les richesses, les ressources et le pouvoir, y compris la redistribution du travail non rémunéré. L’égalité de genre est un droit humain élémentaire, une valeur fondamentale pour la justice sociale, et non pas un simple outil de croissance économique et de prospérité. La mise en œuvre du programme doit s’appuyer sur les engagements existants en matière d’égalité de genre et d’autonomisation des femmes et les promouvoir, tels que ceux contenus dans le Programme d'action de Beijing et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
  • L’objectif de ce programme est le développement économique, et ne devrait pas être confondu avec la croissance économique. La croissance économique ne mène pas toujours au développement et peut même y nuire, surtout quand elle creuse les inégalités au sein des pays et entres ces derniers.  
  • Les systèmes fiscaux équitables et progressifs au niveau national sont essentiels à la mobilisation du maximum de ressources disponibles et à l’avancement des droits humains, notamment l’accès à des services publics adéquats, et surtout ceux liés à la fourniture de soins de santé, l’éducation, l’eau, les installations sanitaires et l’énergie.  
  • Tou-te-s les acteurs-trices du développement, et le secteur privé en particulier, doivent assumer la responsabilité de leurs actions par le biais de mécanismes de redevabilité clairs et contraignants qui soient conformes aux normes en matière de droits humains, y compris les mesures de protection environnementale et sociale. Les délais pour les rapports et les évaluations doivent faire l’objet d’un accord au préalable, dont il sera convenu avec l’entière participation des communautés affectées, notamment les femmes et les filles, les communautés autochtones et les personnes confrontées à une discrimination structurelle. Le cadre de l’après-2015 a encore la possibilité de reconnaître l’important processus en cours au Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à développer un instrument juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et son potentiel à résoudre ces questions cruciales.
  • Les engagements et obligations des gouvernements en matière de financement public doivent être respectés, y compris en matière d’aide publique au développement (APD). La part de l’APD visant à réaliser l’égalité de genre, l’autonomisation des femmes et les droits humains des femmes en général devrait être augmentée, avec la garantie d’augmentations annuelles dont le niveau sera convenu. Par ailleurs, l’APD allouée aux programmes indépendants ciblant l’égalité de genre devrait être majorée, et une portion suffisante devrait être directement versée aux organisations de femmes.
  • La participation de la société civile aux différentes étapes de la conception, de la mise en œuvre et de la révision des ODD est un véritable enjeu, étant donné le rôle affaibli des États et l’absence d’environnement propice à une participation significative garantie, notamment des défenseur-euses et des organisations des droits des femmes. Il n’y pas de références à la situation des défenseuses des droits humains (WHRD, selon ses sigles en anglais), bien que la résolution de l’ONU 68/181 ait  confirmé que la protection des WHRD était fondamentale à la paix, la sécurité, au développement et au respect de tous nos droits humains.

 

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[1] Voir par exemple les contributions du Women’s Major Group et de la Post-2015 Women’s Coalition
[2] Le groupe des 77 est la plus grande organisation internationale de pays en voie de développement des Nations Unies, qui donne la possibilité aux pays du Sud d’organiser et promouvoir leurs intérêts économiques collectifs et de renforcer leur capacité commune de négociation. Pour en savoir plus, voir: http://www.g77.org/doc/
[3] Ce principe avance que les pays développés, qui ont une plus grande part de responsabilité dans la crise environnementale, doivent prendre l’initiative de résoudre ces problèmes, notamment par des biais financiers. 
Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID