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Les Jeunes Féministes de la région Caraïbes s’enflamment avec “Catch a Fyah”

DOSSIER DU VENDREDI: Tonya Haynes s’est entretenue avec l’AWID au sujet du rassemblement du mouvement “Catch a Fyah” qu’elle a organisé récemment et qui a réuni des jeunes féministes de différents pays de la région Caraïbes provenant de divers horizons religieux et ethniques.

Tonya est responsable de la coordination des activités en ligne et hors ligne de CODE RED, à la Barbade. Au départ, CODE RED était une organisation étudiante composée de femmes et d’hommes féministes qui tentaient de se faire une place dans le paysage féministe des Caraïbes.

Par Masum Momaya

AWID: Vous avez récemment tenu le rassemblement féministe Catch a Fyah (Catch a Fyah Feminist Grounding) à la Barbade. Quelle est l’origine du nom de cette rencontre ? Pouvez-vous nous expliquer le choix du terme « assise » (grounding) ?

Tonya Haynes (TH): Le concept de l’assise (grounding) est typiquement Caribéen. Il renvoie au potentiel révolutionnaire que représente la capacité à se retrouver n’importe où pour s’asseoir avec des personnes et parler de leurs vies. Ce partage et les enseignements qui en découlent sont à la fois riches et essentiels à la transformation sociale. Pour nous, cela reflétait le besoin de nous rassembler en tant que féministes Caribéen-n-es issu-e-s de différents pays, venant d’horizons religieux et ethniques divers, pour apprendre et échanger les un-e-s avec les autres. Le terme « assise » (grounding) symbolisait pour nous un retour aux racines de ce qu’il nous semble important de changer dans nos sociétés, mais il représentait aussi la source de notre force collective. Cela impliquait également de percevoir le fait de se rassembler, de parler et d’écouter comme un acte bénéfique en soi.

Le feu (fire, ou “fyah”) auquel nous faisons référence évoque la passion et la force, l’imagination qui s’embrase pour trouver des solutions créatives à nos défis. L’idée que nous nous faisons du féminisme Caribéen n’est PAS celle d’un féminisme victimaire où l’on ne parle que de ce qui est mauvais pour les femmes, ou de la façon dont les femmes sont affectées par telle ou telle chose. Il s’agit ici du féminisme telle une plateforme à partir de laquelle nous avons la possibilité de traiter un large éventail de questions, le féminisme telle une source de pouvoir collectif dont nous pouvons user pour devenir acteurs du changement. L’une des participant-e-s au rassemblement l’a ainsi décrit :

"Fyah (le feu) sera l’essence de notre mouvement. Fyah pour dissiper la perception erronée du féminisme et brandir pour flamme la plateforme de justice sociale qui fait défaut à nos communautés, à nos nations, à notre région. Fyah pour nous embraser et nous encourager à exprimer nos convictions, à prendre part aux discussions et à compter sur le soutien les un-e-s des autres. Fyah nous ouvrira une voie et nous rappellera de rester connecté-e-s, d’être toujours aimant-e-s, de ne pas cesser de s’écrire et de ne jamais oublier les moments que nous avons partagés. Fyah veillera à ce que les injustices nous fassent toujours enrager et à ce que nous fassions avancer ce mouvement."

AWID: Qui a participé au rassemblement, et quel en était l’objectif ?

TH: L’évènement a rassemblé 24 féministes Caribéen-n-es jeunes/jeunes d’esprit issu-e-s d’organisations de femmes, de jeunes, d’organisations féministes et LGBT provenant d’Antigua-et-Barbuda, du Bélize, de la Barbade, des Bahamas, de Guyane, Saint-Kitts-et-Nevis, Haïti, Sainte Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et la Grenade. Nous avions deux priorités: (1) l’activisme féministe régional en faveur de la santé et des droits sexuels et génésiques, qui pourra s’intégrer à la révision des 20 ans de la CIPD, et (2) la mobilisation féministe régionale. Nous voulons participer à l’œuvre entamée dans les années 70 et 80 par des féministes Caribéennes comme Andaiye et Peggy Antrobus, qui nous ont d’ailleurs brièvement rejoint-e-s pendant la rencontre.

AWID: Plusieurs billets de blogs publiés par des féministes Caribéen-n-es dans le cadre du Forum de l’AWID 2012 et du Grounding mêlent la poésie à la prose. La poésie occupe-t-elle une place importante dans le féminisme Caribéen ?

Le recours à la poésie, aux images, aux chansons et à la danse au cours du grounding était délibéré : il devait nous rappeler qu’il est important d’honorer toutes les facettes de notre être. Un-e participante de Catch A Fyahest donc à la fois un-e ingénieur-e mécanique, un-e danseur-se, un-e artiste visuel-le et un-e bénévole au sein de la communauté. Nous contribuons au féminisme avec tout ce que nous sommes et donnons par là même un nouveau visage au féminisme de la région.

AWID: Quels problèmes les jeunes femmes des Caraïbes rencontrent-elles communément ?

TH: Les différents problèmes qu’affrontent les jeunes femmes de la région peuvent se résumer en deux mots : les femmes et la citoyenneté. La chercheuse universitaire féministe Caribéenne (jamaïquaine) Tracey Robinson souligne à juste titre que les femmes sont non seulement perçues comme des citoyennes de seconde zone, mais que la citoyenneté est également jugée secondaire pour les femmes. Cette conception de la citoyenneté est encore plus accentuée en ce qui concerne les jeunes femmes. Elles ne sont tout simplement pas considérées comme des actrices politiques. Cela se reflète dans leur autonomisation économique, leur santé et leurs droits sexuels et génésiques, ainsi que dans la violence et le harcèlement de genre dont elles sont victimes.

AWID: Pouvez-vous nous citer quelques-unes des différences que l’on constate selon les pays?

TH: La région des Caraïbes n’est pas une zone homogène ; il existe des inégalités entre pays et au sein même des pays. L’une de nos participantes d’Haïti nous rappelait que si le nombre d’ONG opérant sur place a considérablement augmenté suite au tremblement de terre, la situation ne fait qu’empirer. Elle a insisté sur le fait qu’il n’est pas possible de concevoir la santé et les droits sexuels et génésiques sans autonomisation économique, ni sans tenir compte des inégalités géopolitiques qui aggravent la situation des femmes.

AWID: Y a-t-il des organisations, des communautés ou des pays de la région qui s’avèrent être des modèles pour le travail d’organisation des (jeunes) femmes dans la région des Caraïbes ?

TH: Nous avons des leçons à tirer de chacune des tentatives de mobilisation féministe régionale, y compris de celles qui se sont soldées par un échec ou qui piétinent. Nous avons convenu à l’unanimité qu’il était nécessaire d’entretenir un dialogue intergénérationnel. Ce sera au programme de la prochaine réunion. Nous devons tirer des enseignements des défis comme des réussites d’organisations de longue date telle que Red Thread en Guyane et le Sistren Theatre Collective en Jamaïque. Mais nous avons aussi beaucoup à apprendre des groupes plus récents, telle que l’Organisation productive pour les Femmes en action du Bélize, qui fait un vrai travail communautaire de transformation.

AWID: Le rassemblement a-t-il soulevé des questions ?

TH: Nous sommes reparti-e-s avec plus de questions que de réponses, ce qui prouve que le rassemblement a été un succès !

En voici quelques-unes:

How we ah go mek dis movement move? (Comment allons-nous faire avancer ce mouvement ?)

Comment aborder la question des privilèges? Comment faire pour construire un mouvement inclusif ?

Comment pouvons-nous nous soutenir mutuellement ? Quelle est la meilleure plateforme de mobilisation féministe régionale ?

De quelles ressources disposons-nous actuellement, et comment pouvons-nous les exploiter ?

AWID: Quels sont les objectifs qui se sont dessinés à l’issue de cette rencontre ?

TH: Immédiatement après la rencontre, nous avons pris des mesures concrètes concernant nos deux objectifs principaux. Nous nous sommes également engagé-e-s à raviver le feu de nos communautés et de nos nations en organisant un Catch A Fyah d’ici la fin de l’année, de le documenter et le partager à l’échelle régionale. Nous examinons également d’autres objectifs stratégiques à long terme quant à la façon d’assurer la durabilité et une meilleure inclusion de notre mouvement. Nous avons mis à disposition une feuille d'inscription en ligne afin de consolider le Réseau féministe des Caraïbes CatchAFyah.

Catch A Fyah a élaboré un recueil de mots, d’images et de réflexions ; vous pouvez le consulter ici.

Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Camille Dufour

Category
Analyses
Region
Les Caraïbes
Source
AWID