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Les gouvernements doivent respecter, protéger et réaliser les droits de toutes les personnes, indépendamment de leur orientation sexuelle, leur expression de genre et leur identité de genre

La 29ème session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en juin 2015 a vu l’introduction d’un deuxième rapport sur la « Discrimination et violence à l'encontre de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre » du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH). L’AWID s’est entretenue avec Cynthia Rothschild, féministe, activiste en faveur des droits humains et sexuels, sur l’importance de ce rapport et sur les résultats de la session du Conseil des droits de l’homme de juin 2015. 


AWID: Quelle est l’importance de ce nouveau rapport du HCDCH sur la « Discrimination et violence à l’encontre de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre » ?

Cynthia Rothschild (CR): Les rapports de l’ONU sont aussi importants que ce qu’on en fait. Mais celui-là a en effet son importance : c’est seulement le deuxième rapport issu du système des Nations Unies sur les droits humains, l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Et bien qu’il se rapproche beaucoup du contenu du premier rapport novateur de 2011/2012, celui-ci révèle une tendance indéniable : il existe maintenant un précédent et un modèle d’approche au sein du système des droits humains des Nations Unies. Il ne faut pas oublier que la première décision d’un organe conventionnel onusien sur l’orientation sexuelle date d’il y a 20 ans, et que ces rapports de l’ONU arrivent donc un peu tard. Ils sont le résultat d’un activisme en faveur de la justice sociale mené pendant des décennies. Mais ils sont le reflet d’une volonté politique de notre époque : ainsi, en 2015, les gouvernements au sein du système des Nations Unies prouvent enfin qu’ils s’engagent de façon plus constante à lever le voile sur les différentes formes d’abus auxquels les personnes LGBT sont confrontées. Ils se sont enfin résolus à dire “Arrêtez les massacres, les arrestations, le harcèlement, les viols. Arrêtez de licencier les gens, cessez d’expulser les personnes de chez elles ou de leurs écoles juste parce que vous estimez qu’ils-elles ne sont pas dignes de protection.”

Cette volonté politique n’apparaît toutefois pas en vase clos. Cela veut donc également dire que les gouvernements ont fini par écouter les exigences émises par les activistes depuis des décennies. À cette époque, beaucoup de personnes ont été tuées, attaquées, arrêtées ou harcelées, beaucoup de gens ont eu leurs bureaux fouillés et ont été expulsés d’établissements de soins de santé, de chez eux ou encore de leur école ou de leur travail. Ces rapports de l’ONU reposent sur les demandes des activistes, à savoir que ces violations de droits humains prennent fin. De fait, il faut les empêcher de se produire. Et les Etats ont l’obligation de s’engager – de respecter, de protéger et de réaliser les droits humains de toutes les personnes, indépendamment de leur orientation sexuelle, leur expression et leur identité de genre.

L’une des choses significatives de ce rapport est qu’il affirme que ces violations dont nous parlons sont basées sur le genre. Il ne craint pas de dire que l’autonomie corporelle et la réglementation de la sexualité sont capitales. Ceci est de grande importance pour toutes les personnes, et certainement pour les lesbiennes et les femmes en général étant donnés le sexisme, la misogynie et l’iniquité de genre sous lesquels nous vivons partout dans ce monde, au Nord comme au Sud. Et n’oublions pas non plus que le système des droits humains de l’ONU a été lent à réagir face aux droits humains des femmes. L’ « arc de la justice » est parfois rigide et ne plie pas facilement !

AWID: Quels changements ou quel impact attendez-vous de ce rapport ?

CR: Tant les communautés que les Etats peuvent faire des usages multiples et créatifs de ce rapport. En fait, il aura l’utilité que les gens voudront lui accorder. Il devrait donc être utilisé pour responsabiliser les acteurs gouvernementaux, d’autres fonctionnaires et autorités (y compris les autorités religieuses, la police, et les membres des familles et des communautés) dans les domaines politiques et juridiques, mais il pourrait aussi servir de base à des campagnes vraiment créatives et même pour élaborer des directives sur les prestations de services. Les gens pourront s’y rapporter pour demander l’abrogation de lois servant à tuer, torturer, arrêter et harceler des personnes non conformes du point de vue du genre. Ils pourront exiger des changements dans les politiques d’asile et de détention. Ils pourront s’en servir pour réclamer la fin (et la punition) des incarcérations psychiatriques forcées et des thérapies de réparation/conversion. Les activistes pourront exiger des hommes et femmes politiques qu’ils et elles cessent de fomenter la haine à travers leurs discours misogynes, homophobes et transphobes, qui sont souvent utilisés à des fins politiques,  notamment en périodes électorales ou de réformes constitutionnelles.

Certaines choses ont désespérément besoin d’être réglées. Les jeunes doivent être en sécurité dans leurs écoles et leurs maisons. Les systèmes de santé pourraient, et devraient, être réformés, de manière à ce que leurs politiques et leur personnel puissent offrir aux patient-e-s un traitement juste et digne. Les personnes trans et non conformes du point de vue du genre ne devraient pas avoir à batailler avec des conditions abusives pour obtenir une reconnaissance juridique de leur genre préféré. Les jeunes personnes intersexes ne devraient pas être contraint-e-s à “réparer” leur sexe, et ne devraient surtout pas être forcé-e-s à subir des interventions chirurgicales. Nul-le ne devrait être stérilisé-e contre son gré ou incité-e à subir des opérations non désirées. Nul-le ne devrait être la cible d’agressions sexuelles en raison de sa relation au genre ou à la sexualité, ni de son expression. Nul-le ne devrait être puni-e pour non-conformité aux stéréotypes de genre. Les personnes en couple avec quelqu’un de même sexe ne devraient pas bénéficier d’allocations différentes de la part de l’Etat selon la personne aimée. Donc oui, ce rapport peut clairement s’avérer utile de nombreuses façons, que ce soit en vue d’un changement juridique ou politique ou pour changer ces « cœurs et ces esprits » que nous savons devoir encore conquérir.    

Au cœur de tout rapport des droits humains repose l’idée de redevabilité – les gouvernements et les activistes sont en mesure de responsabiliser les personnes et les Etats en cas de non-respect des principes des droits humains, tout comme ils sont en droit de demander de mettre fin à l’impunité qui entoure généralement ces violations. Trop souvent, les abus ne font pas l’objet d’enquêtes. Trop souvent, les auteurs de crimes, notamment parmi la police, ne sont pas tenus de rendre des comptes. De fait, la police et les membres des familles sont même trop souvent complices des violences perpétrées. Ce rapport stipule que les Etats ont l’obligation d’enquêter, de punir, et d’empêcher ces abus.  

AWID: Dans quelle mesure les activistes LGBTQI ont-ils-elles été impliqué-e-s dans le plaidoyer et l’élaboration de ces résultats ? 

CR: Les activistes LGBTQI, et d’autres qui se situent dans des mouvements en faveur de l’orientation sexuelle et l’identité de genre (OSIG), des mouvements queer, en faveur des droits sexuels ou même des droits des femmes, sont incontestablement au cœur du rapport. Ce sont les revendications des activistes, réitérées pendant des décennies, qui ont mené les gouvernements et les autorités à lutter contre les abus. Évidemment, les réclamations des activistes reposent à leur tour sur le dos de personnes ciblées par des décennies, quand ce ne sont pas des siècles, de violences et de discrimination. Les activistes ont œuvré dans les halls d’édifices gouvernementaux et de l’ONU avec un raisonnement très simple : les violations sont des violations, peu importe qui sont les victimes ou les survivant-e-s. Il n’y a aucune hiérarchie. Et les personnes LGBTQI existent sur la planète entière. Des sentiments très simples en somme, mais qui rencontrent une forte résistance à l’heure d’être reconnus. Cela peut donc prendre – et cela a pris– des années de plaidoyer pour obtenir des gouvernements qu’ils acceptent de confier à l’ONU des rapports sur les abus.

C’est aussi la possession d’allié-e-s au sein des espaces gouvernementaux qui permet à ces changements de se faire. Et ceci vaut de plus en plus en ce qui concerne le personnel de l’ONU et certaines personnes très influentes, tel que le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon, qui s’est révélé être un soutien fidèle en demandant dès le début de son mandat qu’un terme soit mis à ces abus. Les activistes LGBT et en faveur des droits sexuels ont toutefois su tirer parti du système onusien depuis longtemps, et plus encore au cours des dix dernières années. Les rapports et les résolutions qui leur ont ouvert les portes du succès sont tout droit issus de cet engagement stratégique.

L’un des germes fondateurs de cette force reste le plaidoyer même qui a été conduit à l’échelle régionale. La Cour et la Commission inter-américaines des droits de l'homme ont occupé un rôle de premier plan dans le plaidoyer sur l’OSIG. Le système européen a lui aussi abordé ces questions pendant plusieurs années. Il y a également aujourd’hui le travail mené par la Commission africaine avec sa « Résolution sur la protection contre la violence et d'autres violations des droits humains de personnes sur la base de leur identité ou orientation sexuelle réelle ou supposée ». Tous ces succès reposent sur les demandes d’activistes et sur le plaidoyer intelligent qui a été mené dans ces espaces.

Ils reposent bien sûr aussi sur la reconnaissance des abus atroces et très concrets qui surviennent au niveau local et national, et dont les personnes portent les cicatrices évidentes. Les violations ne peuvent plus être niées. Les Etats ne peuvent pas se cacher aussi facilement derrière des discours stipulant qu’il s’agit là de “droits spéciaux” ou derrière des affirmations de relativité culturelle ou de pureté hétéro-normative. Il devient évident que les Etats ont de plus en plus de mal à user la manipulation des discours homophobes dans l’optique de refuser des droits. Même si ces discours se font de plus en plus virulents.

AWID: De quelle façon ce rapport peut-il avoir une incidence réelle et ne pas devenir un document auquel seul-e-s les chercheurs-euses et les activistes se réfèrent ?

CR: Ce rapport peut servir à de multiples fins créatives, à condition de franchir les frontières de l’ONU. Pour commencer, nous devons le faire connaître. Les organisations non gouvernementales, les réseaux d’activistes et même les fournisseurs de services peuvent se servir de ce rapport, des idées et des réclamations qui y sont formulées, pour atteindre plusieurs résultats, tels que la dépénalisation liée à l’orientation sexuelle, ou le fait de responsabiliser les personnes qui pratiquent la torture. Les officiers de police, de prison et d’immigration peuvent être mis au défi par ce rapport.   

Il peut toutefois aussi être utilisé dans les écoles, et par les éducateurs-trices qui mettent au point des programmes et des cours. Il peut être utilisé pour soutenir le plaidoyer en faveur d’une éducation sexuelle complète. Il peut être utile à nos allié-e-s pour contraindre les chefs de groupes religieux à rendre des comptes lorsque cela s’avère nécessaire. Il peut être d’usage multiple aux fonctionnaires, qui peuvent l’utiliser pour développer des politiques dans les secteurs du logement, de l’emploi, de la santé, et celui de l’éducation pour élaborer des formations pour les forces de police. Les professionnels de la santé peuvent l’exploiter à des fins dissuasives en ce qui concerne les interventions médicales forcées et les « thérapies de conversion ». Les médias pourront utiliser ce rapport pour la programmation, tandis que les groupes politiques s’en serviront pour leurs campagnes.

AWID: Nous voyons se multiplier dans les médias alternatifs et sociaux les rapports concernant les meurtres aux États-Unis de personnes trans de plus en plus nombreuses, en particulier de femmes trans noires. Comment ce rapport peut-il contribuer à mettre un terme à ces violences ?

CR: Le rapport aborde expressément la violence et la discrimination généralisée à l’égard des personnes trans. Par exemple, il fait état des prisonniers-ières trans et du viol sur les lieux de détention. Il livre aussi les données épouvantables du Trans Murder Monitoring Project (projet de suivi des meurtres de personnes trans), qui recense plus de 1600 meurtres dans 62 pays en six ans. De tout temps, les communautés trans ont été la cible de tentatives de nettoyage social. Toutes ces références sont là pour être exploitées, que ce soit par des activistes, des décideurs-euses politiques, par le gouvernement ou par des représentant-e-s de l’ONU.

D’un autre côté, il existe aussi des inquiétudes concernant tout ce qui n’est pas signalé. Il y a par exemple une énorme part de violence à l’égard des lesbiennes dont il n’est jamais fait état ; la Commission interaméricaine des droits de l'homme a affirmé qu’il existe un « non-signalement impressionnant des actes de violence à l’égard des lesbiennes ». Il faut donc que nous trouvions une manière d’utiliser ce rapport, ainsi que d’autres rapports centrés sur la violence à l’égard des femmes et des personnes non conformes du point de vue du genre, dans le cadre de plaidoyers ne bénéficiant d’aucune donnée statistique.

AWID: Lors de la même session du Conseil où le rapport sur l’OSIG a été révélé, une résolution sur la « Protection de la famille » voyait le jour. Pensez-vous que l’intérêt de cette résolution soit de l’ordre de représailles ou que cette dernière ait été pensée en réponse au renforcement des normes en matière des droits humains pour les individus LGBT ?   

CR: Certaines personnes disent que l’Égypte a avancé cette résolution néfaste sur la famille en réponse directe aux avancements en termes d’OSIG. Je n’en suis pas sûre, mais le lien entre les deux est évident. Je pense que cette proposition de résolution fait plus que de simplement attaquer les progrès en matière d’OSIG ; elle a une fonction politique plus profonde, notamment celle de détourner l’attention d’autres questions concernant les droits humains. D’une façon générale, je pense qu’il s’agit d’éroder l’intégralité du système des droits humains, pierre par pierre.

La résolution condamne plusieurs types de familles, et non pas uniquement celles des personnes LGBT. Le stéréotype de la grand-mère qui élève des enfants dont les parents sont décédés des suites du VIH/sida ou de l’Ébola, celui des parents célibataires, des femmes à la tête de leur foyer, et des réseaux familiaux qui insistent sur une éducation communautaire des enfants… aucun n’y échappe. C’est une tentative visant à promouvoir des notions spécifiques, conservatrices et patriarcales de religion, de tradition et de culture. L’autre risque que présente cette résolution est d’occulter le fait que de nombreuses personnes sont victimes d’actes de violence et de discrimination au sein même de leurs familles,  et que les membres de la famille doivent être tenus responsables de leurs abus.

Les négociateurs égyptiens ne sont pourtant pas prêts de céder sur un point, à savoir l’idée selon laquelle « la famille revêt différentes formes ». Ces derniers, ainsi que d’autres Etats co-auteurs, se sont démenés pour ne pas inclure cette idée dans les versions du texte. Lorsque les Etats sponsorisant ce genre de résolution se montrent rigides sur de tels points, cela signifie qu’ils pensent tirer un avantage politique à promouvoir l’idée monolithique de la “famille” en tant que modèle nucléaire hétérosexuel sans variation. D’un point de vue des droits humains (et des droits des femmes), l’étroitesse de leur vision est troublante. Cela va plus loin que l’OSIG, même si la peur du mariage homosexuel et des femmes chefs de famille figurent parmi les causes à l’origine de cette résolution. Le fait est qu’ils prennent des décisions sur la base de politiques ; ce sont d’infâmes machinations géopolitiques visant à former des alliances potentielles sur cet ensemble de questions. Cette session du Conseil a largement abordé le thème des droits en termes de santé reproductive et sexuelle, ainsi que d’autres éléments sous-jacents tels que les relations économiques et militaires entre les Etats, les conflits relatifs à l’Ukraine, Israël et la Palestine, la résistance à l’hégémonie états-unienne et européenne, le pouvoir grandissant des mouvements militants violents, les mesures d’austérité et l’économie européenne. Ces questions et d’autres « grands sujets » sont généralement au cœur de tout, quand bien même ce ne serait que de façon tacite.

Nous avons des raisons de fêter la publication du rapport du HCDH sur l’OSIG, mais devons le replacer dans un contexte global. Ce rapport sur l’OSIG est le « 2ème volet » d’un effort particulier et important. Les réussites nous arrivent parfois par de simples messages, à l’instar de celui-ci : les gouvernements ne peuvent pas continuer de passer sous silence des violations qui sont perpétrées en raison de l’orientation sexuelle réelle ou supposée, de l’identité de genre, de l’expression de genre et du statut intersexe. Ce rapport fait monter l’ouvrage collectif d’un cran. C’est un outil de plus que nous pouvons utiliser afin de formuler nos demandes. Et il est bien possible que cela sauve une vie quelque part. 

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID