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L’engagement conjoint des féministes et des mouvements en faveur d’un traité contraignant contre les abus des entreprises est essentiel

En octobre 2016, l'AWID a assisté à la 2ème session du Groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés transnationales (liens en anglais) à Genève, dans le but de plaider en faveur d’un traité contraignant concernant les entreprises et les droits humains. Des preuves de plus en plus nombreuses concernant les impacts sexospécifiques poussent les féministes et défenseuses des droits des femmes ainsi que les organisations de droits des femmes à contester le pouvoir des entreprises sur le terrain, à faire connaître leurs points de vue, leurs expériences et leurs revendications.


Maintenant, plus que jamais, nous avons besoin d'une solidarité entre nos mouvements pour faire de ce traité contraignant une réalité.

La tendance devient très inquiétante. Chaque semaine, les nouvelles nous font part de plus en plus de réactions violentes à l’égard des activistes qui protestent contre les manœuvres des entreprises dans le monde entier et nombre de ces activistes, dont des défenseuses comme Berta Cáceres paient de leur vie la défense de leurs communautés et de leurs territoires. Les exemples qui illustrent ce phénomène abondent, depuis les protestations contre le Dakota Access Pipeline aux États-Unis, en passant par les communautés autochtones qui résistent au projet du barrage d'Agua Zarca au Honduras, ou encore dans le Delta du Niger, où les femmes continuent de contester l’exploration pétrolière par les compagnies pétrolières internationales.

Le pouvoir des entreprises et les droits humains

La taille et la portée du pouvoir des entreprises, par rapport aux États-nations, sont difficiles à appréhender. Des recherches (lien en anglais) montrent que 63% des 175 entités économiques mondiales les plus importantes sont des sociétés transnationales, et non des pays.

Jusqu'à présent, la capacité de poursuivre des entreprises pour des violations des droits humains et des dommages causés à l'environnement dépendait de la volonté politique des gouvernements nationaux, de leur capacité et de leurs ressources pour financer les coûts exorbitants liés aux actions en justice pour exiger la responsabilisation de ces entreprises et exiger des indemnisations.

La myriade d'accords de protection des investissements signés par les États avec des entreprises permet souvent à ces dernières d'échapper à toute poursuite et d'opter plutôt pour des indemnisations sur base volontaire. Après l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui a coûté la vie à plus de 1 000 personnes dont la plupart étaient des femmes, la mobilisation internationale pour exiger la responsabilisation des marques de vêtements internationales n’a débouché que sur une maigre indemnisation des familles des personnes tuées sur leur lieu de travail.

Le scandale des Panama papers a confirmé les craintes de longue date des États et de la société civile concernant les évasions fiscales scandaleuses pratiquées par certaines des plus grandes sociétés du monde, à savoir qu’elles sont beaucoup plus répandues que ce qu’on imaginait jusque là. Les recettes issues de l’impôt des entreprises devraient être disponibles pour financer des services publics tels que des soins de santé, l'éducation ou des services de soins de qualité dans les pays où ces sociétés produisent et vendent. En substance, le manque à gagner prive les gouvernements nationaux de ces ressources, ce qui est contraire à la promotion des droits des femmes et des droits humains et à l'égalité.

Avec l’arrivée de magnats de l'entreprise dans l'arène politique mondiale, en étant eux-mêmes dirigeants d’entreprises ou en alliance avec, l'évasion fiscale et la déréglementation des activités des entreprises au nom de la « protection de l'investissement » pourraient empirer si on n’y met pas des limites.

Il est temps d’avoir un traité

L'état d'impunité qui s'est appuyé sur la « bonne volonté » des entreprises pour proposer des réparations a aujourd’hui une vraie chance d'être renversé. La proposition d’un instrument international juridiquement contraignant pour les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits humains est sur la table : cette proposition, qui fait actuellement l'objet d'une étude d'un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée au sein du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, bénéficie de l'appui de plusieurs pays et de militant-e-s de la société civile.

Les négociations autour de ce traité offrent aux citoyens et aux États une occasion unique de combler les lacunes qui existent actuellement dans les mécanismes de règlement de différends entre investisseurs et États et qui permettent aux entreprises de poursuivre les gouvernements en justice lorsque leurs activités et leurs bénéfices sont perturbés par la législation et la réglementation. Ce mécanisme a rendu très difficile pour les gouvernements de réglementer les opérations des entreprises dans l'intérêt de leurs citoyens.

Les militants conviennent que le processus sera long: il faudra des années, voire une décennie, mais il vaut la peine pour mettre un terme à une ère d'impunité systémique.

Parmi les défis à relever, il convient de veiller à ce que le texte du traité ne manque pas d'ambition. Le traité doit avoir un mécanisme de mise en œuvre clair qui soit plus que de simples mots sur du papier.

Les répercussions des abus des entreprises du point de vue de l’égalité de genre sont largement négligées. Par exemple, les défenseuses des droits humains qui font face aux abus des entreprises dans leurs régions ont dénoncé à maintes reprises les abus dont elles sont les victimes, non seulement en raison de leur travail, mais aussi en raison de leur genre. Ces abus, qui ont pour but de limiter leur participation à la participation politique dans la sphère publique, incluent le viol, les agressions sexuelles et les menaces dont elles font l’objet, ainsi que leurs familles. Leurs points de vue doivent être pris en compte dans tout traité contraignant par le biais de la voix des défenseuses des droits humains.


Lors de la 2e session du Groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés transnationales qui s’est tenue à Genève, l'AWID a demandé aux militantes féministes quels étaient leurs espoirs et leurs revendications dans le cadre de ce processus.

Voici ce qu’elles ont déclaré :

« Les entreprises dirigent de larges secteurs de l'économie et pourtant elles échappent largement à toute responsabilité. Il est difficile de les amener devant les tribunaux; Il est difficile de briser leur pouvoir politique. Les entreprises dirigent les gouvernements. C’est important pour les femmes de se mobiliser, car de nombreuses questions qui concernent les femmes ne sont pas abordées par la loi. Nous pouvons  faire le parallèle suivant: les questions relatives aux femmes ne sont pas d’ordre privé,  elles sont d’ordre public et soumises au droit international. Il en va de même pour les entreprises : même si ce sont des entités privées, elles ont un impact dans la sphère publique ».

Beth Stephens, Center for Constitutional Rights (Centre pour les droits constitutionnels), États-Unis
(video en anglais)

 

 « Un traité contraignant visant à mettre fin aux abus des entreprises est essentiel à la protection des droits des femmes. Pendant trop longtemps, les femmes de toutes les régions du monde, les femmes vivant en zones rurales, les femmes issues de communautés autochtones et de minorités sociales, les femmes qui souffrent de la pauvreté, ont subi les pires effets des violations de droits humains et se sont vues nier l’accès à des moyens de subsistance. Ceci en raison du pouvoir des entreprises qui travaillent en coordination avec les États, qui eux-mêmes ont refusé ou n'ont pas protégé leurs droits humains. Nous avons besoin d'un traité contraignant pour redresser cette situation. Les femmes ont été résilientes face à de nombreux défis au cours des dernières décennies, mais cette résilience n'est pas sans fin. Nous avons besoin que les États prennent le relais. Nous avons besoin que la communauté internationale prenne le relais et c'est pourquoi nous avons besoin d’un traité contraignant. Ce ne sera pas une solution miracle mais une arme que nous aurons à notre disposition pour défendre nos droits en tant que défenseuses des droits humains. Dans les négociations de ce traité, il faut que les voix des femmes, en particulier les membres de communautés et régions les plus affectées soient entendues, que les femmes parlent et fassent le plus de bruit possible. Sinon, ce sera un traité pour les hommes ».

Debbie Stothard, ‎International Federation for Human Rights (FIDH), Birmanie
(video en anglais)

 

 

« Cela fait des décennies que nous sommes témoins des violations des droits humains par les entreprises. Nous avons vu comment elles fonctionnent et comment les États ne sont pas capables de faire leur travail correctement et de les réglementer. Elles se sont emparées de plusieurs sphères de décision du secteur public. Il est très important d’avoir un traité comme instrument juridiquement contraignant qui oblige vraiment les entreprises à rendre des comptes, que ce soit les sociétés transnationales, mais aussi celles qui comptent avec la participation des États et celles qui contribuent au financement de projets sur le terrain. Il est essentiel de réfléchir aux impacts de ces entreprises sur la vie des femmes, par exemple sur les droits des travailleuses, sur l'écart de rémunération entre les genres, sur les femmes de communautés locales en cas de violations de droits humains - en particulier les droits économiques, sociaux et culturels -, sur l’accaparement des terres, des territoires et des ressources naturelles qui ont un impact sur les communautés rurales et autochtones ».

Fernanda Hopenhaym, Poder, Mexique.
(video en espagnol)

 

 

 « À l'heure actuelle, nous n'avons pas de mécanisme permettant d’exiger des entreprises qu’elles aient à rendre des comptes pour activités illégales. C'est particulièrement le cas en Palestine où on assiste à des crimes de guerre sur le terrain et qu’aucun mécanisme n’existe pour responsabiliser les entreprises. Comment pouvons-nous rendre ce mécanisme féministe? Chaque partie du traité doit tenir compte de la façon dont les femmes sont touchées distinctement par les violations qui se produisent sur le terrain et ce, sur base du cadre des droits des femmes. »

Mona Sabella, Al Haq, Palestine
(video en anglais)

 


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Analyses
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Global
Source
AWID