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Envisager nos horizons féministes : Plénière inaugurale au 13ème Forum de l’AWID

« Dites-moi à quoi ressemble une féministe ? »

« Voilà à quoi ressemble une féministe ! » 

Le « voilà » de cette réponse renvoie à la salle comble de la plénière inaugurale où guérisseuses, activistes, chercheuses, conteuses, diseuses de vérité et autres grandes prêtresses se sont réunies à l’occasion du 13ème Forum international de l’AWID qui se tient à Bahia, au Brésil.

Cette conférence dynamique vise à mettre en lumière les débats, les idées et les préoccupations politiques des mouvements féministes mondiaux d’aujourd’hui. Comme le suggère le titre du thème du Forum de cette année, Horizons féministes : Construire un pouvoir collectif pour les droits et la justice, la plénière inaugurale donne le ton de cette « lovefest » féministe qui, quatre jours durant, nous permettra de mener une réflexion profonde sur la(les) vision(s) future(s) des mouvements en faveur de la justice du genre, en connexion avec des problématiques multiples telles que la classe sociale, la race et l’environnement. Au Forum de l’AWID, la diversité des participant-e-s est frappante, tant du point de vue des contextes géographiques que des priorités politiques ; qu’elles soient activistes trans* d’Asie du Sud ou écrivaines féministes de toute l’Afrique, les participant-e-s ont conscience que nous vivons une période délicate et que nous avons besoin de transformations collectives et profondes.

Facilité par Sonia Correa, la co-Présidente de Sexuality Policy Watch, le panel d’ouverture était composé de six personnes comme suit : Noelene Nabulivou (DIVA for Equality), Miriam Miranda (Black Fraternal Organization for Honduras), Azra Causevic (Okvir), Awino Okech (London School of Oriental and African Studies), Yara Sallam (Egyptian Initiative for Personal Rights) et Joe Wong (Asia Pacific Transgender Network). 


Ce panel a permis d’encourager les participant-e-s  à « explorer les menaces anciennes et nouvelles qui pèsent sur les droits et la justice, ainsi que les modalités selon lesquelles elles évoluent, se renforcent ou se répandent ». L’animatrice Sonia Correa a commencé par inviter les panelistes à examiner quelle question elles-ils souhaitaient le plus explorer au Forum de cette année. Chaque intervenant-e nous a proposé une analyse critique des luttes politiques contemporaines de sa région. 

Yara Sallam, prisonnière politique et combattante pour la liberté, 

s’est demandé comment continuer à survivre dans des climats politiques aussi dangereux – un contexte qu’elle ne connaît que trop bien, puisqu’elle lutte contre le gouvernement égyptien actuel. Yara a raconté comment le fait de s’élever contre le Président égyptien (Abdel Fattah al-Sissi) pouvait entraîner de lourdes peines de détention. Elle nous a incité à ne pas idéaliser la lutte politique, nous invitant au lieu de cela à réfléchir sérieusement sur les façons de prendre soin de nous-mêmes et les unes des autres au sein des mouvements activistes. 

Pour l’activiste des îles Fidji Noelene Nabulivou, 

la question était de savoir comment les collectifs féministes se formaient dans des conditions politiques qui changent au gré du temps et des lieux. Habitant un petit État insulaire, elle sait parfaitement bien combien la dégradation de l’environnement et les structures étatiques néoconservatrices affectent les modes de vie traditionnels des Fidjien-ne-s. Pour ajouter à ces difficultés accablantes, l’activiste nous a fait part du caractère toujours prévalent de la violence basée sur le genre dans la région. Noelene nous a demandé de continuer à plaider auprès des États, en faveur de leur reconversion en  une structure plus juste et plus responsable. En « analysant l’état de l’État », nous comprenons peu à peu comment il affecte différents territoires : celui de nos corps, celui de nos lieux de vie et celui de nos ressources. Dans un tel contexte, pouvons-nous prétendre vivre une période postcoloniale ? Pour finir, Noelene a appelé les mouvements féministes à lutter contre ces structures en s’armant « d’amour politique », une arme qui nous permette de dire la vérité au pouvoir et de revendiquer nos autonomies géographiques. 

J’ai été particulièrement frappée par la paneliste bosniaque Azra Causevic, 

qui nous a parlé des traumatismes d’après-guerre en Bosnie-Herzégovine, où la diversité culturelle et ethnique a été manipulée, où on recourt au nationalisme pour « chosifier » les corps des femmes et des enfants. À l’instar d’autres pays ravagés par des situations d’après-guerres ethniques similaires, les élites d’appartenance ethnique bosniaque se sont unies dans une lutte pour accaparer le capital. Cela se traduit par une militarisation et un conservatisme religieux croissants dans la région toute entière. Azra a expliqué comment les marches des fiertés (Pride, en anglais) et les rassemblements sociaux sont devenus la cible du fondamentalisme religieux qui prend de l’ampleur. Azra se demande comment faire pour guérir dans des contextes de traumatismes d’après-guerre.

C’est une autre genre de guerre qui fait rage en Asie de l’Est, où les corps des personnes trans* sont « mis sous tutelle depuis leur naissance ». 

L’activiste trans Joe Wong 

a partagé des anecdotes et des statistiques concernant les réalités vécues par les personnes trans « moyennes » à Bangkok. Il a remis en question notre activisme féministe actuel, en particulier en ce qui concerne les questions de mobilité et d’accès. À quoi ressemblerait le mouvement féministe si ce dernier donnait priorité à la mobilité et la reconnaissance (des droits) des personnes trans ? Joe Wong nous a raconté l’histoire de membres de sa communauté qui ne sont pas en mesure de se déplacer librement dans la région, dans les rues et dans les espaces publics sans risquer de faire l’objet de violence physique et psychologique. Il a également mis l’accent sur l’invisibilité des personnes bisexuelles et trans à Bangkok, avec une forte prévalence de viols correctifs. 

L’activiste hondurienne Miriam Miranda 

s’est penchée sur les réalités de la vie suite au coup d’état de 2009 dans son pays, à l’origine de conditions qui continuent de bafouer notre vision des droits humains. Elle conteste le recours aux modèles de développement dominants, qui détruisent le tissu social du Honduras et qu’elle considère comme un « plan de suicide collectif ». Miranda nous a incitées à envisager un monde où les Hondurien-ne-s ne mourraient pas collectivement et culturellement à cause de stratégies de développement « Big D ». Elle s’est interrogée sur ce qui nous poussait à continuer d’investir des modèles fondés sur des priorités colonialistes et impérialistes. 

Awino Okech, féministe érudite africaine, 

, a clos le panel par une discussion passionnée et succincte sur les défis féministes auxquels la région africaine est actuellement confrontée. Son intervention m’a frappée par l’insistance avec laquelle elle revendiquait l’« Afrique » et l’« africanité » comme autant de notions politiques, tout cela dans une conjoncture politique où les féministes africaines sont dénigrées tant au niveau de leur légitimité culturelle que de leur authenticité. Elle nous a invitées à nous pencher sur trois enjeux majeurs pour les féministes africaines en 2016. Premièrement, la résurgence d’un éventail de groupes de droite et de fondamentalistes dans toute l’Afrique, ce qui signifie que les droits des femmes, obtenus au prix de batailles acharnées, sont aujourd’hui érodés, notamment les droits sexuels et reproductifs. Awino Okech a affirmé que la montée du fondamentalisme religieux entraînait l’appropriation de l’État et ses structures par les forces de l’ordre ainsi qu’une militarisation croissante, ainsi que nous l’avons constaté dans d’autres parties du globe. 

Le deuxième grand enjeu pour les féministes africaines contemporaines est l’obsession, encouragée par le développement néolibéral, pour l’entreprenariat féminin. L’argument économique selon lequel les femmes représentent la « prochaine étape à franchir » ne remet pas réellement en cause les réalités actuelles des femmes, ni n’a d’influence sur les inégalités structurelles ; au lieu de cela, le discours entrepreneurial considère les femmes comme des sources de capital nécessaires pour alimenter notre système monétaire actuel. Elle exhorte les féministes que nous sommes à ne pas nous laisser coopter par la rationalisation économique, mais à continuer d’avancer, fortes de notre vision du monde radicalement féministe. 

Enfin, Awino Okech a critiqué les façons dont la production de connaissances et l’histoire féministes, ainsi que les manières dont ces mouvements d’organisent, sont de plus en plus effacées au fur et à mesure que les concepts de la justice de genre se répandent. Des livres tels qu’ En avant toutes (Lean In) de Sheryl Sandberg sont devenus plus populaires que les fruits de travaux d’écrivaines, de chercheuses et d’universitaires féministes qui s’étendent sur des dizaines d’années. Pour finir, elle a appelé à une ré-articulation des principes féministes qui ne présente pas nos mouvements ni nos politiques comme étant « trop complexes ». Elle a en effet reconnu que cette action visant à « simplifier » le féminisme ou à le rendre aisément identifiable nuisait de fait à l’analyse complexe et intersectionnelle proposée par le féminisme, VOIRE à la nature même du féminisme. 


Ce panel s’est achevé 

sur une discussion générale concernant les défis actuels et le potentiel de croissance au sein des espaces activistes mondiaux. Les questions telles que le changement climatique, le manque d’accès des personnes trans* aux espaces institutionnels et les obstacles à la mobilité, ainsi que le retour des dogmes religieux ont été placées parmi les principales priorités féministes. Toujours dans le but de s’opposer aux systèmes oppressifs, le panel nous a par ailleurs encouragé-e-s à mettre le fait de prendre soin de soi et de la communauté au cœur de nos préoccupations et efforts. Yara Sallam a exprimé à quel point il était important de se connecter à soi même et de renforcer les ressources qui s’appuient sur la communauté comme moyen de recharger ses batteries et de prévenir le burn-out. Awino Okech a expliqué comment la création d’amitiés féministes lui avait permis de faire preuve de bienveillance vis-à-vis d’elle même et de lutter contre l’idée selon laquelle le féminisme est une destination plutôt qu’un outil et un processus en faveur d’un changement social. 

La plénière inaugurale du 13ème Forum de l’AWID Forum a offert un échantillon représentatif de la diversité d’activistes engagé-e-s qui a incité  les participant-e-s à imaginer leur horizons féministes. Elle a bel et bien posé les bases de ce qui est voué à être , un espace de rayonnement dynamique et plein de passion, depuis lequel nous pouvons envisager nos futurs collectifs.

Elle a bel et bien posé les bases de ce qui est voué à être , un espace de rayonnement dynamique et plein de passion, depuis lequel nous pouvons envisager nos futurs collectifs. 
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Analyses