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Conseil des droits de l’homme : 36 sessions, autant de conflits et la « question de la peine de mort »

La 36e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies s’est achevée à la fin du mois de septembre. Elle fut marquée par quelques avancées, quelques points d’interrogation et quelques occasions de dire « Je ne peux pas croire ce que je viens d’entendre ».

Dans l’ensemble, cette rencontre s’est déroulée comme beaucoup d’autres, avec des gouvernements manœuvrant en faveur des intérêts de leur propre État, exerçant le pouvoir à leur avantage et se servant de notions telles que la culture et la souveraineté et des politiques économiques néolibérales comme autant de tactiques visant à faire valoir leur domination régionale ou nationale.

Pour le meilleur ou pour le pire, les préoccupations relatives aux droits humains des femmes ont fait l’objet de discussions pendant toute la session.

Le Conseil des droits de l’homme (CDH) qui se réunit habituellement trois fois par an à Genève, constitue le principal « organe politique » des Nations Unies en matière de droits humains. Les gouvernements s’y retrouvent à la fois pour faire progresser les droits humains et pour régler certains conflits politiques. Lors de cette session, les discussions régionales furent axées sur la Syrie et la Palestine.

Les délégations gouvernementales se sont affrontées, en termes diplomatiques bien sûr, à propos du régime de Bachar el-Assad et de l’occupation de la Palestine par le gouvernement israélien.

Elles ont échangé sur les stratégies à adopter ou à enrayer pour mettre fin aux crises des droits humains et humanitaires régnant dans ces régions du monde. Par ailleurs, chaque session du Conseil donne lieu à des discussions pendant lesquelles les gouvernements adoptent des résolutions relatives à un pays et/ou à des thématiques particulières. Les enjeux liés au genre et à la sexualité se trouvent fréquemment en filigrane de ces débats.

La question de la peine de mort

L’une des résolutions les plus controversées est celle qui traite de la « question de la peine de mort », non pas pour déterminer si elle viole les droits humains, ce qui est bien sûr le cas : Par exemple, la peine de mort viole non seulement le droit à la vie, mais également le droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Puisque les gouvernements ne sont pas arrivés à s’entendre sur son interdiction, ils continuent de s’arroger mutuellement la permission de tuer légalement, en invoquant la souveraineté des systèmes juridiques nationaux. Ici, la résolution du Conseil était centrée sur le droit à l’égalité et sur l’application discriminatoire de la peine de mort, mettant l’accent sur des expressions comme « déplorant » et « condamnant » l’exécution de personnes exerçant leurs droits à la liberté d’expression et de réunion, de personnes de moins de 18 ans au moment du crime commis, de personnes présentant un handicap mental ou intellectuel et, dans un élan de reconnaissance des droits liés au genre et à la sexualité, se montant préoccupée de l’exécution de femmes enceintes, de personnes qui ont des relations sexuelles avec des personnes du même sexe et de personnes qui ont commis l’adultère.

Pour ce qui est du dernier point, la résolution finale souligne que la peine de mort est appliquée de manière disproportionnée aux femmes qui ont eu des relations sexuelles hors mariage (hétérosexuel). Évidemment, ce n’est pas exactement cette formulation qui est utilisée, l’hétéronormativité étant implicite.

Le langage entourant l’adultère et le fait que les femmes soient au centre des débats représente certainement une avancée en faveur de la promotion d’une analyse de genre des meurtres commis par l’État. Il en va de même pour ce qui est des personnes tuées en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou perçue. Certaines délégations se sont opposées aux dispositions relatives au genre et à la sexualité à l’aide d’arguments extrémistes à peine voilés.

Elles ont fait valoir que le langage de la résolution défiait leurs systèmes culturels et nationaux. Autrement dit, les délégations ont fait valoir que leurs cultures et leurs systèmes juridiques permettent l’exécution de personnes qui adoptent certains comportements sexuels et, qu’en conséquence, elles ne pouvaient pas voter en faveur d’un langage fondé sur la non-discrimination dans le texte, ou en faveur du texte tout court. 

Près de dix amendements à la résolution ont été proposés, tous mis de l’avant par la Russie, l’Égypte et l’Arabie saoudite afin de restreindre sa portée. Deux amendements étaient axés sur la souveraineté. Toutes ces modifications ont été rejetées. Pourtant, les activistes des droits humains et des droits sexuels ont raison d’éprouver des inquiétudes, puisque certains votes ont été très serrés.

Voici les États qui ont voté contre la résolution: Bangladesh, Botswana, Burundi, Chine, Égypte, Éthiopie, Inde, Irak, Japon, Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis et États-Unis.

Un commentaire à propos du vote final et de la couverture médiatique qui a suivi : depuis la fin de la session du Conseil, plusieurs reportages concernant la résolution sur la peine de mort semblent s’être focalisés sur sa dimension « gaie », un point de vue quelque peu trompeur insinuant que les États-Unis ont voté contre la résolution parce qu’elle faisait référence aux relations sexuelles consensuelles entre personnes du même sexe. Cette perspective semble indiquer que cet aspect était au cœur de la résolution.

Or, il est reconnu que les États-Unis votent habituellement contre toute résolution sur la peine de mort, les exécutions étant encore légales dans leur pays à titre de châtiment. D’ailleurs, elle a été appliquée récemment, au début du mois d’octobre, dans les états de l’Alabama, de la Floride et du Texas.

En d’autres termes, le contenu d’une telle résolution, quel qu’il soit, importe peu : les États-Unis s’y opposeront de toute façon.

Investissement dans l’exécution de la peine et affaiblissement du cadre des droits humains

Voici ce qui est vraiment en cause actuellement : Dans leurs efforts pour affaiblir l’universalité du cadre des droits humains, les États emploient continuellement la notion de souveraineté pour susciter le débat. Cette stratégie est fréquemment accompagnée d’arguments sur la « préservation de la culture » et la protection des systèmes juridiques nationaux.

Certains de leurs raisonnements n’ont absolument aucun fondement. Les justifications présentées par certaines délégations gouvernementales sont justes incroyables à entendre en 2017: lors de négociations préliminaires sur le langage employé dans le projet de résolution, un délégué du gouvernement russe a exprimé des préoccupations concernant la défense des droits des personnes qui s’adonnent à la pédophilie.

Cet argument est tout à fait dépassé (mais non moins déplorable) car il n’existe absolument aucun lien entre des relations sexuelles consensuelles entre personnes du même sexe et l’abus sexuel de jeunes gens. Il s’agissait d’une manipulation grossière visant à soulever des questions en insinuant l’existence d’un tel lien.

Au bout du compte, plusieurs gouvernements veulent toujours punir et tuer, soit pour en tirer profit ou pour affirmer un point de vue.

Il faut se rappeler qu’il existe des industries et des structures qui soutiennent la peine de mort, que ce soit par un complexe pénitentiaire qui cherche à incarcérer pour augmenter ses revenus ou pour maintenir la hiérarchie raciale, ou encore par des systèmes culturels qui tentent de réglementer les comportements sexuels et les normes de genre afin de promouvoir une certaine vision de l’identité nationale ou religieuse.

Droits humains, droits des femmes et droits sexuels à la session HRC 36

Parmi les autres événements qui se sont produits lors de la 36e session du Conseil et qui sont pertinents en matière de droits humains, de droits des femmes et de droits sexuels:

  • Débat annuel sur l’intégration d’une perspective de genre dans les travaux du Conseil

Ce débat sous forme de panel a lieu à chaque session du CDH au mois de septembre. Cette année, le thème portait sur l’Examen périodique universel, système par lequel les États surveillent mutuellement leurs bilans en matière de droits humains, ainsi que sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD).

  • Intégration d’une perspective de genre et création d’un nouveau bloc linguistique de gouvernements

Un nouveau groupe rassemblant des États lusophones a présenté sa toute première résolution au Conseil. Curieusement, ils ont choisi comme enjeu principal la question de l’intégration d’une perspective de genre dans les ODD, ceci sans l’appui des mouvements activistes ou de la société civile. La résolution demande simplement la tenue d’une rencontre de deux jours pour discuter du sujet plus en profondeur.

Toutefois, le risque consiste à ce qu’elle génère des résultats que certaines féministes estiment très peu utiles, surtout qu’il existe d’autres instances pour tenir des discussions sur le genre et les ODD.

Certaines voix critiques y voient aussi la possibilité que ce processus, à priori inoffensif, serve à poursuivre les attaques sur le genre et les droits des femmes au sein du système onusien. Toute nouvelle discussion abordant le genre au sein du système onusien devrait être initiée par la base et être prudemment planifiée; dans le contexte politique actuel, les risques sont souvent plus importants que les opportunités.

  • Droit au développement

Les échanges entourant cette question, et la résolution qui y est associée, révèlent clairement les profondes divisions qui existent au sein même du Conseil. Cette thématique est brandie et manipulée tant par les gouvernements qui contestent et ceux qui soutiennent le droit au développement. C’est ici que les véritables héritages de l’impérialisme et du colonialisme se heurtent au capitalisme et aux politiques néolibérales, de même qu’à des notions déformées de l’identité culturelle. Le résultat ressemble fréquemment à un cafouillis géopolitique.

En voici une analyse très simplifiée : D’un côté, l’Union européenne, les États-Unis et d’autres États nantis protègent leurs intérêts économiques en sous-évaluant le droit au développement. D’un autre, les États moins prospères, comme le Venezuela et Cuba, exigent la reconnaissance de ce droit et la responsabilisation des États qui sont à l’origine du déséquilibre mondial en matière de richesse et de pouvoir. Viennent ensuite les États opulents qui ne sont pas enclins à soutenir le système des droits humains, comme la Chine et qui se joignent aux discussions en adoptant généralement une perspective anti-droits. 

De nombreux États manipulent les arguments à leur avantage dans ce qui devient alors une regrettable lutte politique du type « droits humains contre développement ».

  • Autres résolutions sur les droits humains

Plusieurs autres résolutions ont été adoptées, par consensus ou par un vote. Certaines des plus notables portent sur les représailles envers les activistes, sur les enfants et les adolescents migrants non accompagnés, sur les sociétés militaires et de sécurité privées, sur le racisme/la discrimination raciale/la xénophobie, sur les peuples autochtones, et sur l’objection de conscience au service militaire.

  • La religion en tant que force politique

Comme d’habitude, nous avons observé le rôle croissant de diverses pouvoirs religieux, y compris le Vatican puisque le Saint-Siège est le seul organe religieux agissant à titre d’État; les positions du gouvernement russe reflètent l’influence de l’Église orthodoxe russe; sans compter les ONG de la droite évangéliste chrétienne qui s’opposent avec ferveur aux droits des femmes et des personnes gaies et s’attaquant, notamment, aux droits des femmes à un avortement sûr et légal.

  • Plaidoyers relatifs aux droits humains des femmes et aux droits sexuels et reproductifs

En dépit de l’opposition, et en parallèle du panel et de la résolution mentionnés plus haut, les ONG et les États ont organisé et participé à des activités éclairées et stratégiques. Par exemple, pour marquer la Journée mondiale d’action pour l’avortement sans risque du 28 septembre, la Sexual Rights Initiative a organisé une activité (en anglais) centrée sur le recours au cadre des droits humains pour favoriser l’accès à des avortements sûrs et légaux. Une autre activité a porté sur la santé reproductive et sexuelle dans les situations de conflits et d’après-conflits.


En fin de compte, la 36e session du Conseil des droits de l’homme a levé le voile sur les profondes divisions et les conflits idéologiques entre les États, mais également sur l’influence constante et positive des revendications présentées par les mouvements sociaux. Certains des éléments à l’agenda du Conseil étaient innovants et résolument féministes: en particulier, les droits liés au genre, à la santé reproductive et sexuelle et à l’avortement ont été intégrés aux discussions pendant toute la session.

Toutefois, les défenseur-euse-s des droits humains doivent maintenir leur vigilance au sein de cet espace onusien parce que, sans notre vision, les nuances qui protègent les droits de tous et toutes de jouir de l’ensemble de leurs droits humains seront reléguées aux oubliettes. Nous devons être là et nous devons décrire ce qu’il s’y produit, relevant à la fois ce qui est dit et ce qui est sciemment tenu sous silence.


Cynthia Rothschild est une activiste et consultante indépendant, centrée sur des droits humains, genre et à la sexualité.

 

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Analyses
Region
Global
Source
AWID