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Allons-nous assister à de réels progrès dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles à la 57e session de la Commission de la condition de la femme?

DOSSIER DU VENDREDI: L’AWID analyse les différents enjeux présentés par le thème considéré prioritaire pour cette année pour la 57e session de la Commission de la condition de la femme (CSW 57) qui sera tenue au siège des Nations Unies à New York, du 4 au 15 mars 2013 : L’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles.

Par Susan Tolmay

Des Etats membres, des défenseur-e-s et des organisations des droits des femmes, des syndicats, des institutions et des organisations religieuses, ainsi que des organisations des droits humains se réuniront une fois de plus à New York, à l'occasion de la réunion annuelle d'une durée de deux semaines qui visera à évaluer les progrès accomplis au niveau de l’égalité des sexes, à identifier les défis, à établir des normes mondiales et à élaborer des politiques concrètes pour promouvoir l’égalité des sexes et la promotion des femmes à travers le monde. Bien que la question ait été analysée à maintes reprises par la CSW, la violence à l'égard des femmes et des filles est un phénomène qui ne montre aucun signe de régression. En fait, la violence à l'égard des femmes et des filles a même parfois enregistré une recrudescence en termes du nombre d'attaques et de la brutalité des faits commis, et se présente aujourd'hui sous de nouvelles formes. Il est donc important de se poser la question de savoir ce qui a été fait, quels sont les défis posés par la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles et comment le phénomène peut être associé à l'agenda de développement pour l'après 2015 actuellement à l’examen?

Instruments existants

En dépit du grand nombre de déclarations, de conventions, de plans d'action et d'autres instruments, en particulier, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Déclaration et Programme d’action de Vienne, le Programme d’action de Beijing (BPfA), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR) et la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, où il est affirmé que les droits de l’homme doivent être garantis à tous et à toutes et que la violence à l'égard des femmes et des filles constitue une violation des droits de la personne humaine, le phénomène de la violence à l'égard des femmes et des filles ne montre aucune régression.

Bien que ce type de violence soit profondément enraciné dans toutes les sociétés, il reste largement sous-déclaré et peu documenté. Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies a qualifié la violence faite aux femmes comme « …la violation des droits de l’Homme la plus honteuse. Elle est peut-être la plus répandue. Elle ne connaît pas de clivages géographiques, culturels ou sociaux. Tant que des actes violents continueront d’être perpétrés, nous ne pourrons prétendre à des progrès pour atteindre l’égalité, le développement et la paix. »[i] L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’au moins une femme sur trois dans le monde a déjà été battue, contrainte à avoir des rapports sexuels ou victime d'autres mauvais traitements durant sa vie.[ii]

Certaines régions comme l’Afrique, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), l’Amérique latine et plus récemment l’Europe ont élaboré des instruments régionaux et certains pays ont réalisé des efforts concertés pour appliquer des stratégies et des plans d'action à l'échelon national et local pour combattre la violence à l'égard des femmes et des filles; leur mise en œuvre s’est toutefois révélée insuffisante.

Les Femmes défenseures des droits humains en danger

L’Assemblée générale des Nations unies a adopté, en 1999, la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l'homme. Afin de soutenir sa mise en œuvre et réunir des informations sur la situation réelle des défenseur-e-s des droits humains dans le monde, le Secrétaire général des Nations Unies a créé, en 2000, le mandat de Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l'homme.

Dans son troisième rapport publié en 2010, le premier consacré à la situation des femmes défenseurs des droits de l’hommes et de ceux qui œuvrent en faveur des droits des femmes ou s’occupant de questions liées au genre, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, Mme Margaret Sekaggya, a mis l'accent sur la nécessité d'adopter une approche soucieuse de l’égalité des sexes pour faire face à la gravité des violations, des poursuites et des menaces de mort proférées à l'encontre des femmes défenseures des droits humains (défenseurs) et de leurs familles. Le rapport indique que « les femmes défenseures des droits de l'homme sont plus exposées que leurs homologues masculins à certaines formes de violence et à d'autres types de violations, ainsi qu'aux préjugés, à l'exclusion et au rejet. Cela tient souvent au fait que l’on considère que ces femmes contestent les normes socioculturelles acceptées, les traditions, les perceptions et les stéréotypes concernant la féminité, l’orientation sexuelle ainsi que le rôle et la condition de la femme dans la société ».[iii]

Les défenseures sont le fer de lance de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et aux filles, fournissent un soutien essentiel aux femmes et aux filles qui ont fait l'objet de violence, et dénoncent l'impunité. En cette qualité, les défenseures doivent être reconnues comme des acteurs indispensables dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des filles, et doivent être protégées à leur tour contre la violence. Des membres de la Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains et d'autres avocats des droits des femmes feront pression auprès des états membres pour que les conclusions qui émaneront de la CSW soient rédigées dans un langage plus énergique, reconnaissent et formulent des recommandations pour s'attaquer à la violence perpétrée contre les défenseures. La Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains souhaite que les gouvernements résolvent le problème du manque de mesures de protection efficaces et propres à chaque genre, du manque de volonté des autorités gouvernementales et de la non reconnaissance, de la part des fonctionnaires, du rôle d'acteurs étatiques comme auteurs des violations contre les droits des défenseures.

Défis et réaction

Au sein d’instances telles que la CSW, les avocats des droits des femmes sont de plus en plus souvent obligés de consacrer leur énergie et leurs ressources à la défense de conquêtes antérieures, plutôt qu'à progresser dans la mise en œuvre de droits déjà reconnus et à prôner la protection contre les nouvelles formes de violence qui ne cessent d'apparaître.

Les fondamentalismes sont en constante augmentation dans le monde entier. Selon une enquête de l’AWID auprès de 1.600 activistes des droits des femmes de plus de 160 pays, 76 % des interviewé-e-s ont constaté une montée globale des fondamentalismes religieux au cours des 10 dernières années[iv]. Dans l'expérience de 8 activistes des droits des femmes sur 10, les fondamentalismes religieux ont eu un impact négatif sur leur action. A la session de l'année dernière, la CSW 56 n’est pas parvenue à se mettre d’accord sur les conclusions; ce résultat particulièrement décevant est en grande partie imputable à une forte opposition conservatrice et fondamentaliste. Les gouvernements conservateurs ont fait pression pour préserver les valeurs « traditionnelles » et « morales » et restreindre la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes, enfreignant ainsi les droits humains garantis au préalable par le droit international.

Les corps des femmes, souvent considérés comme des éléments porteurs ou distinctifs d'une identité religieuse, communautaire ou culturelle, sont la cible de tous types de fondamentalismes, qu’ils soient religieux, traditionnels, culturels, ethniques et nationalistes. Le coût entraîné par la transgression des normes imposées par les acteurs fondamentalistes (qu’il s'agisse d'acteurs étatiques ou non-étatiques comme la famille, la communauté, les groupes paramilitaires ou extrémistes) est souvent la violence physique et sexuelle, mais aussi l'intimidation, l'expulsion, la diffamation, la suppression du financement des organisations de femmes, etc. La violence exercée par les fondamentalistes ne vise pas seulement les femmes, mais aussi des groupes minorés en termes de sexualité, d'ethnie et de religion et tous ceux qui transgressent ou sont accusés d'avoir transgressé les normes établies par les acteurs fondamentalistes.[v]

Les Activistes des droits des femmes qui se réuniront au sein de la CSW devront travailler dur pour veiller à ce que les droits déjà convenus ne soient pas torpillés par les forces conservatrices et fondamentalistes et que la CSW57 soit synonyme de progression et non pas de régression dans le combat contre les violations des droits humains des femmes.

L'action requise

Les conclusions finales de la CSW57 doivent mettre l'accent sur la mise en œuvre des droits déjà convenus. Etant donné que les défenseures se heurtent à une violence croissante en raison de leur activité et de l'action menée dans des domaines qui remettent souvent en question les normes culturelles, religieuses et traditionnelles, il est indispensable que la CSW les reconnaisse à la fois comme parties prenantes au combat contre la violence à l'égard des femmes et des filles et aussi comme victimes de cette violence, et qu’elle formule des recommandations concrètes pour résoudre ce problème de la violence perpétrée à l'égard des défenseures.

Mais aucun de ces changements ne se produira tant que les gouvernements continueront de se croiser les bras et d'accepter que les droits des femmes soient bafoués en toute impunité. Il faut qu'existe une volonté politique pour mettre en place des mesures qui réduisent considérablement le nombre de femmes dont les droits sont bafoués chaque jour dans le monde. Les groupes des droits des femmes qui seront présents à la CSW demanderont aux états de réaffirmer les engagements internationaux déjà convenus ; de renforcer la mise en œuvre des cadres juridiques et politiques, ainsi que la reddition des comptes ; de s'attaquer aux causes structurelles et aux facteurs de risque afin de prévenir la violence à l'égard des femmes et des filles ; de renforcer les interventions et les services multisectoriels face à la violence à l’égard des femmes et des filles ; et d’améliorer l’assise de preuves en matière de violence à l’égard des femmes et des filles.

Le programme de développement pour l'après 2015[vi]

La question émergente de la session de la CSW de cette année est l’approche des Principaux problèmes d'égalité entre les sexes qui devront être reflétés dans le cadre de développement de l'après 2015. Les organisations des droits des femmes ont déjà amorcé des discussions sur le Programme de développement de l'après 2015 et la coalition des femmes pour l'après 2015 a élaboré un document de position intitulé en anglais, Perspectives from the Post-2015 Women’s Coalition. Le principe essentiel est que le programme pour l'après 2015 doit, comme base non négociable, être ancré dans et fondé sur les cadres existants en matière de droits humains, en particulier le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (ICPD PoA), le Programme d'action de Beijing et les accords conclus ultérieurement. Les membres de la Coalition se réuniront à New York pour discuter d'un programme ambitieux pour l'après 2015 qui doit aborder le thème de la violence à l'égard des femmes, de l'accès universel à la santé sexuelle et reproductive, de la reconnaissance totale des droits sexuels et reproductifs, de la participation intégrale des femmes et des filles, ainsi que des droits économiques et sociaux des femmes, en mettant l'accent sur le rôle des femmes au sein de l'économie qui a été largement sous-estimé jusqu'à présent.

Il est à espérer que la CSW souligne le caractère prioritaire du problème de la violence à l'égard des femmes et des filles pour parvenir à la réalisation du développement durable, de la paix et de la sécurité, des droits humains, de la croissance économique et de la cohésion sociale et recommande que l'élimination de la violence à l'égard des femmes et des filles soit considérée comme un domaine prioritaire dans le cadre de développement de l'après-2015.

Ce dossier du vendredi est le premier d'une courte série de dossiers consacrés à l'étude de thèmes liés à la CSW. Le prochain Dossier du Vendredi se penchera sur les résultats de l'analyse globale menée par l’AWID à propos de l'action soutenue par le Fonds du Ministère des Pays-Bas pour l’Objectif 3 du Millénaire pour le développement (MDG3), qui montre comment les femmes ont fait déplacer des montagnes, et qui prône l'octroi d'un financement accru et soutenu à l'action en faveur des droits des femmes et à l'organisation des femmes pour lutter contre la violence à l'égard des femmes et des filles.

[i] « Un monde libre de toute violence à l'égard des femmes » Video-conférence mondiale des Nations Unies, 8 mars 1999

[ii] Organisation mondiale de la santé. (2005) « WHO Multi-Country Study on Women’s Health and Domestic Violence against Women: Initial Results on Prevalence, Health Outcomes and Women’s Responses. »

[iii] Pour en savoir plus: http://awid.org/Library/Women-s-Human-Rights-Defenders-A-clear-target-of-violence-and-repression

[iv] Veuillez consulter Cassandra Balchin, Towards A Future Without Fundamentalisms,AWID: Toronto, 2011, http://www.awid.org/fre/Library/Vers-un-avenir-sans-fondamentalismes2

[v] AWID talking points on religion, culture and tradition for CSW57

[vi] Voir les Dossiers du Vendredi de l’AWID: Le Programme de Développement pour l’après-2015 – En quoi consiste-t-il et comment y participer et Une Analyse critique du Programme de développement des Nations Unies pour l’après-2015

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID