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L’invisibilité n’est pas un bouclier pour nous protéger de la lesbophobie

DOSSIER DU VENDREDI : La première Marche de Lesbiennes de Rosario, en Argentine s’est déroulée le 7 mars et a rassemblé plus d’une centaine de personnes pour commémorer la Journée de la visibilité lesbienne et de lutte contre la lesbophobie. L’AWID s’est entretenue avec plusieurs activistes sur l'importance de cette journée.

Par Gabby De Cicco

La marche a été convoquée par le groupe de lesbiennes féministes indépendantes « Las tortas de Chavela », et durant la soirée du samedi 7 mars, face au fleuve Parana, tout semblait différent dans le Paseo de la Diversidad sexual (Promenade de la Diversité sexuelle), lieu de départ de la manifestation. D’autres collectifs LGTBI de la ville se sont joints à la marche, comme Vox Asociación Civil (Association civile Vox) et des groupes d’autres mouvements sociaux, comme le groupe de la communauté autochtone Mapuche. L’itinéraire de la marche incluait une participation à l’activité culturelle et musicale « El Destape lésbico » (Lesbiennes découvertes), organisé par le groupe lesbien Las Safinas, puis une manifestation devant la Cathédrale, pour terminer devant l’emblématique Monument au Drapeau.

La marche a été ponctuée de drapeaux arc-en-ciel, de pancartes illustrées de slogans politiques lesbiens et d’un nom scandé sans cesse par les manifestantes : Natalia “Pepa” Gaitán, ou la Pepa.

La Pepa Gaitán et la Journée de la visibilité lesbienne

Le 7 mars 2010, Natalia Pepa Gaitán, 27 ans, a été assassinée d’un tir de carabine par Daniel Torres, beau-père de son amie. Pepa était une« torta chonga »[1]qui travaillait avec sa famille dans une cantine communautaire d’un quartier périphérique de la ville de Córdoba. Elle était très appréciée par son engagement dans le travail social qu’elle réalisait.

Gabriela Lorenzo, activiste lesbienne féministe et membre du groupe organisateur de la marche, expliqua à l’AWID que « nous, tortas, nous sommes appropriées de cette journée en raison de sa signification et l'avons transformée en une journée spécifique de visibilité pour montrer que la lesbophobie existe et qu'une lesbienne peut mourir du fait d'être lesbienne. L’invisibilité n’est pas un bouclier pour nous protéger de la lesbophobie. C'est un thème que nous devons continuer à aborder en tant que lesbiennes. Beaucoup continuent de se cacher pour éviter les agressions, mais cela n’empêche pas la lesbophobie de tuer quand même, par exemple dans les cas de suicide ».

La marche a été convoquée sous le mot d'ordre : « Pour lutter contre la lesbophobie, les tortas défilent dans la joie d'être visibles ». Lorenzo rappelle le contexte de la mort de Pepa, « ce crime de haine a eu lieu à un moment historique où l'Argentine semblait progresser en matière de droits, c'est-à-dire en plein débat sur le mariage égalitaire ». Pour Lorenzo et d'autres activistes, il est extrêmement important de reconnaître l'existence de la lesbophobie externe et de la lesbophobie internalisée ; mais il est tout aussi important de reconnaître que, pour certaines lesbiennes, « le fait d'être visibles nous rend heureuses ; pour nous, c'est en cela que consiste le militantisme, un espace de joie, et que le fait d'être avec d'autres lesbiennes fait partie de notre vie. C’est pourquoi nous avons proposé cette consigne pour la marche : nous faisons face à la lesbophobie avec la joie de la visibilité ».

Pour la journaliste et activiste lesbienne féministe, Irene Ocampo, la journée de la visibilité est « la journée durant laquelle nous nous exprimons pour dire à la société que nous voulons plus continuer à faire l'objet de violences au sein des familles, dans les écoles, les lieux de travail, du fait d'avoir une orientation sexuelle ou une expression de genre différente de la norme. C'est également une journée pour célébrer la vie, nous exprimer librement, nous souvenir de tous celles qui nous ont précédé dans l'action et nous ont permis de pouvoir nous exprimer aujourd'hui, de nous penser et de célébrer une culture lesbienne moins souterraine, plus inclusive dans notre propre diversité ».

Réflexions sur la justice

Le procès de Torres s'est déroulé entre le 23 juillet et le 8 août 2011. Torres a été condamné à quatorze ans de prison pour « homicide volontaire aggravé par l'utilisation d'une arme à feu ». Bien que le tribunal ait appliqué la peine requise par le procureur et que le fémicide ait été mentionné, la mère de Pepa, Gabriela Vásquez, et d'autres activistes ont manifesté leur mécontentement car ni le tribunal ni le procureur n’ont établi que le crime avait été motivé par l'identité sexuelle de Pepa.

Fabi Tron, lesbienne féministe chonga, a pu suivre le procès de Daniel Torres à l'intérieur de la salle du tribunal et a été la seule lesbienne qui a pu relater chaque jour l'évolution des débats. L'année dernière, elle a réuni ces chroniques dans un ouvrage intitulé « Quiénes mataron a la Pepa Gaitán » (Qui a tué Pepa Gaitán ?).

Tron expliqua à l’AWID qu'elle avait déjà une position très critique bien avant le début du procès qui a finalement conduit à la condamnation de Daniel Torres. Tron signale : « nous vivons dans une société dans laquelle la norme qui impose l'hétérosexualité obligatoire a pour corollaire la lesbophobie, ou la misogynie, c'est-à-dire le contrôle des hommes sur les femmes. C'est ici que se produit la contradiction car on demande de rendre justice pour un fait qui est la conséquence d'un système hétéro-patriarcal qui favorise la violence faite aux lesbiennes, aux femmes. Nous sommes éduquées au sein d'une société qui est homo-lesbo-transphobique, qui est misogyne et machiste. Il s'agit de mandats non écrits, mais qui, faute d'un regard critique, sont rapidement internalisés. C'est pourquoi, dans cette situation particulière, il a toujours été clair pour moi que Torres avait agi de la façon promue par ce système. Un procès et un Code pénal qui impose des peines pour l'assassinat d'une autre personne ne suffisent pas, car les lesbiennes continuent d'être assassinées. Souvent, les lois sont établies pour freiner des actes commis par des personnes. Pour moi, cette question doit faire l'objet de nombreux débats au sein des mouvements LGTBI, ou de groupes militants, car nous devons penser à d'autres modes de justice ».

Tron, qui est une activiste pionnière et historique, mise sur un débat collectif qui puisse conduire à la création d'autres modalités de justice. Elle explique : « Je n'ai pas de réponses mais je crois que nous devons chercher à établir une justice dans laquelle ce type d'action ne se répète pas. Ceci ne peut être garanti par la loi, mais par l'action commune visant à une transformation totale de la société. Quoi qu'il en soit, nous continuerons d'utiliser les outils que nous donne le système : les procès et leurs sentences qui sont censés servir de « réparation » symbolique pour la famille et pour certaines d'entre nous, alors qu'en fait il n'y a pas de réparations possibles étant donné qu'il s'agit d'une blessure qui ne peut être refermée et qui continuera de suppurer à jamais. Ainsi, pour certaines d'entre nous, comme activistes, il n'y a pas de justice possible, et la justice ne sera réellement possible que lorsque ce genre de choses n'arrivera plus, comme disait la poétesse Macky Corbalán ».

[1] Lesbienne masculine.

Photo de la marche

Promenade de la Diversité et pancartes affichant les slogans de la Marche

La Marche débute son trajet

Deux activistes de ""Eva tiene 2 mamás" (Eva a 2 mamans)

Marche en cours et distribution de flyers

Irene Ocampo

Des activistes devant la Cathédrale de Rosario

Category
Analyses
Source
AWID