Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Les femmes journalistes dans l’œil du cyclone

DOSSIER DU VENDREDI : Les menaces et la violence exercées à l’encontre des femmes journalistes augmentent dans de nombreuses régions du monde.

Dans le travail qu’elles mènent pour dénoncer les injustices et témoigner les violations des droits humains, les femmes journalistes agissent en défenseures des droits humains et en tant que telles, elles doivent faire l’objet de mesures de sécurité et de protection améliorées.

Par Katherine Ronderos

Le journalisme est un métier parfois très dangereux, notamment pour les reporters qui exposent les injustices dans des environnements hostiles, corrompus et violents et dans des zones en proie à la guerre. Outre les différentes formes de violence exercées à l’encontre des journalistes, aussi bien hommes que femmes, et des obstacles à leur travail (menaces, meurtres, confiscations de matériel, déportations, arrestations et intimidation), les femmes journalistes sont également confrontées à certains risques spécifiques à leur sexe dans cette profession à dominante masculine.

Les femmes journalistes, défenseures des droits humains

Dans son troisième rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le premier consacré exclusivement à la situation des défenseures et des personnes œuvrant en faveur des droits des femmes ou sur les questions liées au genre, Margaret Sekaggya, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, a souligné que « les femmes journalistes et professionnelles des médias actives dans le domaine des droits de l’homme sont elles aussi exposées à des risques en raison de leur activité »[1].

Dans le chapitre II de son dernier rapport thématique présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Mme Sekaggya, Rapporteuse spéciale, traite des risques et difficultés spécifiques à certains groupes de défenseur-e-s, à savoir les journalistes et les professionnel-le-s des médias. Elle explique que bien que de nombreuses professions n’aient pas pour objectif spécifique la protection et la défense des droits humains en tant que tels, leur travail a un impact sur ces droits et peut en conséquence être lié à des violations des droits humains. Elle signale : « Les journalistes et les professionnels des médias couvrant des manifestations et dénonçant des violations et des abus le font souvent au risque de leur vie ». Elle affirme également que le rôle de veille joué par les journalistes et les médias est fondamental et que « les restrictions à la liberté des médias et de la presse et l’impunité dont jouissent les auteurs de violations envers des journalistes et des professionnels des médias engagés dans la défense des droits de l’homme sont porteuses d’un climat d’intimidation, de dénigrement, de violence et d’autocensure susceptible d’avoir un effet dissuasif sur le travail des intéressés »[2].

Le principal instrument international sur les défenseur-e-s des droits humains, la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme (1999) fournit un cadre juridique qui « a aussi pour ambition de protéger la fonction de contrôle et de sensibilisation des journalistes et des professionnels des médias défenseurs des droits de l’homme en reconnaissant dans son article 6 leur droit d’obtenir et de diffuser des informations relatives à l’exercice des droits de l’homme »[3]. La Résolution 1738 (2006) du Conseil de sécurité des Nations Unies condamne les attaques réalisées à l’encontre des journalistes lors des situations de conflit, en soulignant « que les États ont la responsabilité de s’acquitter de l’obligation que leur fait le droit international de mettre fin à l’impunité et de traduire en justice quiconque est responsable de violations graves »[4]. Le Conseil a exhorté les acteurs armés (tant étatiques que non étatiques) à respecter l’indépendance professionnelle et les droits des journalistes, des professionnel-le-s des médias et du personnel associé.

Arrestations, intimidation et meurtres de femmes journalistes

Les arrestations, la menace et le meurtre représentent certaines formes de violence auxquelles sont confrontées les femmes journalistes dans le monde entier en raison du travail qu’elles réalisent, une profession à dominante masculine et profondément imprégnée de normes culturelles et patriarcales. Par exemple, Reeyot Alemu, chroniqueuse au journal éthiopien Feteh, et l’une des trois lauréates du prix Courage en journalisme 2012, a été condamnée à 14 ans de prison en septembre 2011. Alemu est accusée de conspiration pour commettre des actes terroristes et de participer à une organisation terroriste. Le gouvernement éthiopien a présenté des articles écrits par Alemu critiquant ses actions comme preuve lors de son procès, ainsi que des conversations téléphoniques qu’elle avait eues concernant des manifestations pacifiques. Alemu est l’une des rares femmes reporters à oser critiquer le climat politique en Éthiopie.

Khadija Ismayilova, reporter pour Radio Free Europe/Radio Liberty de Azerbaïdjan et lauréate du prix Courage en journalisme 2012,[5]a enquêté sur et dévoilé la corruption et les abus de pouvoir qui existent au plus haut niveau en Azerbaïdjan. En mai 2012, elle a reçu un colis suspect accompagné d’une lettre anonyme, comprenant des photographies intimes prises avec des caméras de surveillance installées dans son appartement, qui la montrent pendant une relation sexuelle avec son petit-ami. Malgré les menaces de diffamation, Ismayilova a refusé de cesser ses activités et a dénoncé publiquement ses maîtres chanteurs.

En octobre 2011, la vie de la journaliste guatémaltèque Lucía Escobar a été bouleversée. Dans les jours qui ont suivi la publication de son article Des corbeaux, yeux et démons dans le journal national El Periódico, Escobar a reçu plusieurs menaces par courriers électroniques anonymes l’ayant forcée à se cacher avec sa famille. Bloggeuse et écrivaine indépendante, Asmaa al-Ghoul, basée à Gaza et lauréate du prix Courage en journalisme 2012, se consacre à l’analyse du contexte sociopolitique au Moyen-Orient. Al-Ghoul a été passée à tabac par les forces de sécurité du Hamas alors qu’elle couvrait les manifestations populaires, et s’est retrouvée contrainte à passer plusieurs nuits dans son bureau de crainte d’être assassinée en rentrant chez elle. Al-Ghoul reçoit régulièrement des menaces de mort adressées à elle et à son fils.

La journaliste russe lauréate de plusieurs prix Anna Politkovskaya a été retrouvée morte, tuée par balle, à Moscou en 2006. Les enquêtes, les rapports et les livres de Politkovskaya ont mis à jour des informations et les violations des droits humains commises lors de la guerre en Tchétchénie, le nord du Caucase et la poursuite par Vladimir Putin d’une seconde guerre tchétchène. Sa mort, ainsi que celles de nombreuses autres femmes journalistes dans le monde entier, demeure un mystère en dépit de toute l’attention et du tollé soulevé à l’échelon international.

Dénoncer la violence à l’égard des femmes journalistes

La violence sexuelle, les menaces et les attaques à l’égard des femmes journalistes sont des sujets rarement abordés au sein des cercles journalistiques, dans les médias ou les organisations non gouvernementales. Qui plus est, de nombreuses femmes journalistes des quatre coins de la planète victimes d’abus sexuels choisissent de garder le silence en raison de la discrimination culturelle et professionnelle qui pourrait leur faire perdre des missions à l’avenir.

Néanmoins, depuis peu les femmes ont décidé de parler publiquement de toute cette violence afin d’aider d’autres femmes journalistes et de les encourager à dénoncer ces crimes et exiger justice. La journaliste colombienne Jineth Bedoya et la correspondante suédoise Jenny Nordberg sont deux exemples importants de cette tendance, de ce besoin de dénoncer la situation afin de promouvoir un changement.[6]Le fait de dénoncer publiquement l’attaque brutale et l’agression sexuelle dont a été victime la journaliste Lara Logan alors qu’elle suivait pour la chaîne CBS News la situation en Égypte à la Place Tahrir en février 2011, a encouragé d’autres femmes à partager leurs expériences de harcèlement et d’agression sexuels dans le cadre de leur travail de reporters.

Motivé par le nombre croissant de demandes sollicitant des conseils en matière de sécurité personnelle émanant de femmes journalistes travaillant dans des contextes dangereux, l’Institut international pour la sécurité de la presse (INSI) a publié un livre comprenant 40 essais écrits par des femmes journalistes sur leurs expériences et les difficultés auxquelles elles sont confrontées dans leur travail. Le livre No Woman's Land – On the Frontlines with Female Reporters, lancé à l’occasion de la Journée internationale de la femme, a pour objectif d’accroître la sensibilisation sur les dangers, identifier des solutions communes de sécurité et de protection, et aider les femmes désirant s’aventurer dans cette profession en leur permettant de recevoir les conseils des femmes ayant vécu cette expérience.[7]Le meurtre de la correspondante américaine Marie Colvin, lauréate de nombreux prix,[8]alors qu’elle couvrait le siège de Homs en Syrie, survenu à peine quelques jours avant le lancement du livre, montre la pertinence et l’opportunité de cette publication, qui aborde également le manque d’attention portée aux menaces, aux violations des droits humains, à la discrimination de genre et à la violence sexuelle dont sont victimes les femmes journalistes, notamment dans les zones de conflit. Les recettes de ce livre iront à la formation en sécurité au profit des femmes journalistes.

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a revu son manuel afin de mieux aborder la question du risque d’agression sexuelle. En mai 2012, un nouveau Guide de sécurité des journalistes a été publié, comprenant des sections consacrées aux manières de se protéger de la violence sexuelle et de couvrir les manifestations.

Des changements structurels sont nécessaires

La contribution essentielle des femmes au journalisme doit être reconnue et appréciée. Caroline Wyatt, correspondante de BBC News, signale que les femmes journalistes apportent une perspective différente dans leur couverture des guerres, que l’on peut résumer ainsi : « un peu moins d’attention aux bombes et aux balles, et un peu plus à ce que la fin du régime Taliban dans le nord signifie pour les familles rencontrées et pour leur avenir ».[9]

Les femmes journalistes doivent pouvoir réaliser leur travail dans des conditions adéquates de sécurité et de protection et avec un appui de haut niveau. Toutefois, comme signalé par Zeina Awad, co-animatrice de Fault Lines, faire de ce débat le récit d’une victimisation féminine n’est pas de grande utilité.[10]Cependant, les décisions biaisées en fonction du sexe continuent d’avoir une incidence sur les missions confiées et la carrière des femmes correspondantes pourrait en payer les conséquences. Tina Susman recommande qu’au lieu d’empêcher les femmes reporters (perçues comme des victimes de viol potentielles) de se rendre dans les zones de conflit, leurs agences, éditeurs et collègues devraient plutôt leur offrir de meilleures conditions et des conseils efficaces en matière de sécurité.[11]

Des mesures propres à chaque sexe sont nécessaires pour aborder les défis auxquels sont confrontées les femmes journalistes d’investigation qui travaillent sur des questions liées aux droits humains, les chroniqueuses qui défendent une réforme des droits humains, les femmes reporters qui suivent et communiquent les violations des droits humains et les bloggeuses.

Vous avez votre mot à dire

Que faut-il faire pour mieux protéger les femmes journalistes ?

Par quels autres groupes de défenseures des droits humains vous sentez-vous concernées

[1] Margaret Sekaggya, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme. Groupes de défenseurs des droits de l’homme à risque : journalistes et professionnels des médias ; défenseurs s’occupant de questions foncières ou environnementales ; jeunes et étudiants défenseurs. Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, A/HRC/19/55, 21 décembre 2011.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Résolution 1738 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée à l’unanimité en décembre 2006, SC/8929.

[5] Le prix Courage en journalisme est l’unique prix international à reconnaître la bravoure des femmes journalistes. En mai, la Fondation internationale des femmes œuvrant dans les médias (IWMF) a annoncé le nom des remarquables lauréates du prix en 2012, à qui il sera rendu honneur à New York et à Los Angeles en octobre.

[6] Voir Lauren Wolfe, “L’agression sexuelle contre les journalistes : le crime qui musèle”, Comité pour la protection des journalistes, 7 juin 2011.

[7] Voir Anna Reitman, “No Woman’s Land: on the frontlines with female reporters”, Women’s Views on News, 8 mai 2012.

[8] Journaliste de l’année : Association de la presse étrangère (2000) ; Courage en journalisme : Fondation internationale des femmes œuvrant dans les médias (2000) ; Meilleur correspondant étranger de l’année : Prix de la presse britannique (2001) ; et Meilleur correspondant étranger de l’année : Prix de la presse britannique (2010).

[9] Voir Hannah Storm, “Safety of women journalists on the frontline highlighted in new book”, The Guardian, 8 mars 2012.

[10] Voir Zeina Awad, “On the front lines with female journalists”, Al Jazeera, 8 mars 2012.

[11] Voir Tina Susman, “War Reporter: Prepare Us, Rather Than Caution Us”, WomenseNews, 3 juin 2012

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID