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Les Droits Humains plutôt que la pathologisation

Les clés de la compréhension de la lutte pour la dépathologisation du surpoids

L’obésité fait partie de la grande diversité humaine et pourtant, du point de vue hégémonique de la médecine, tous les types de surpoids sont considérés en eux-mêmes comme un risque pour la santé, cette question se résumant en une simple opération arithmétique dont les variables sont l’excès de nourriture malsaine et le manque d’exercice.

Le résultat de ce calcul place les personnes concernées dans une étrange situation : elles sont atteintes d’une maladie dont la guérison dépend davantage de leur propre volonté que du traitement qu’elles reçoivent et dont les causes, tant biologiques que culturelles, sont traitées comme une simple question de prise en charge individuelle de leur alimentation. Mais les personnes obèses vivent une réalité un peu plus complexe qui soulève des questions relatives aux particularités de chaque individu autant que des problématiques collectives comme les rituels alimentaires familiaux, l’accès aux aliments ou encore les différentes catégories intersectionnelles de nature sociale et culturelle auxquelles nous appartenons.


Qu’est-ce que la pathologisation et comment affecte-t-elle les personnes en surpoids ? 

La pathologisation des adultes et des enfants en surpoids est le processus qui conduit à considérer ces personnes comme des malades à cause de leur seul volume corporel et de leur poids que l’on considère comme excessif par rapport à des normes universelles qui ont varié au cours de l’histoire, pour des raisons plus économiques que scientifiques. Le savoir médical a fait du surpoids une pathologie comme il l’a fait d’autres variations corporelles, excluant ainsi la possibilité que la diversité soit une matrice permettant de comprendre les corps humains.

En outre, la marchandisation de la santé a par exemple permis à l’industrie du régime et des traitements associés de réaliser des bénéfices considérables tout en liant indéfectiblement la minceur à la santé.

Ces diagnostics servent à perpétuer les distinctions normatives entre les expériences du poids corporel considérées comme saines et les autres considérées comme pathologiques. Ils contraignent les personnes à s’inscrire dans un modèle corporel idéal, indépendamment des facteurs multiples qui président à la configuration de chaque corps et de son histoire de vie. Selon nous, activistes du surpoids, la médicalisation du surpoids a contribué à accroître la stigmatisation des personnes obèses. De plus, cette pathologisation est un obstacle au dépassement des attitudes et des stéréotypes nuisibles sur le surpoids qui prolifèrent dans la société, ainsi que des barrières auxquelles se heurtent les personnes obèses dans tous les aspects de la vie quotidienne. 

La stigmatisation du surpoids contribue indéniablement à la marginalisation, à la discrimination et à l’exclusion des personnes obèses dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, des transports, du logement et de la santé. Elle nous expose également à la violence et au harcèlement. Outre les difficultés que ces personnes rencontrent dans leur accès à l’emploi, la pathologisation se manifeste plus encore, paradoxalement, sous la forme d’une inégalité de l’accès à la santé. Elle trouve aussi son expression dans les menaces à notre intégrité physique que représentent certaines pratiques médicales amincissantes.

À l’instar de l’activisme intersexe qui souligne toute l’importance de rendre visible le vécu des personnes intersexes, nous devons faire savoir qu’en tant que patient-e-s, il est fréquent que notre parole ne soit pas entendue et que nos mots soient déformés. La stigmatisation du surpoids a des conséquences négatives sur notre bien-être psycho-physique et se combine avec d’autres formes intersectionnelles d’oppression liées au statut socioéconomique, au genre, à l’orientation sexuelle, à l’âge et à d’autres variables.

L’activisme en faveur de la dépathologisation de la diversité corporelle, de genre et sexuelle : un futur commun

Quand on m’a invitée à prendre part au Forum international 2016 de l’AWID dans le cadre de la session « Dépathologisation : une lutte qui nous concerne tous et toutes », organisée par Global Action for Trans* Equality (GATE) [Action mondiale pour l’égalité trans*], j’ai eu l’impression que l’activisme naissant des personnes obèses des pays du Sud en faveur de la construction d’un mouvement plus large de défense de la diversité corporelle commençait à se matérialiser. L’activisme des personnes obèses dans lequel je suis engagée n’en est qu’à ses débuts. Nous sommes dans une phase d’élaboration de stratégies de dépathologisation et nous avons beaucoup à apprendre des autres activismes et des allié-e-s comme les personnes avec qui je partagerai cette session. C’est la raison pour laquelle ma participation au Forum est bien plus qu’un succès personnel : elle représente pour moi un pas supplémentaire vers une plus grande reconnaissance des perspectives des personnes obèses comme nouvelles occasions de changement social et nouveaux points de vue théoriques et pratiques visant à célébrer la diversité corporelle.

Cette session sera une occasion pour des activistes du monde entier d’échanger sur les défis que nous devrons relever pour lutter contre les diagnostics imposés et les violations des droits humains des personnes dont les caractéristiques sont classées parmi les pathologies. Elle sera aussi une occasion d’élaborer en commun des stratégies visant à rompre avec les dynamiques de pathologisation, de discrimination et d’exclusion qui fragilisent ou restreignent considérablement notre accès aux droits fondamentaux. Je pense que les féministes ainsi que les activistes intéressé-e-s par les droits des personnes trans*, intersexes, fonctionnellement diverses ou obèses peuvent apprendre beaucoup de la lutte contre la dépathologisation que mènent chacun de ces mouvements à l’aide de leurs propres matrices. Comme nous l’avons mentionné dans notre invitation à cette session, nous vivons un moment historique parce que l’occasion nous est donnée renverser la situation et de travailler ensemble à la dépathologisation de notre avenir commun. Je vous invite donc tous et toutes à affirmer que la dépathologisation est un thème féministe et à défendre la diversité corporelle, de genre et sexuelle dans le monde entier.


A propos de l'auteure

Laura Contrera (Argentine, 1977-) : Activiste obèse de la diversité corporelle. Professeure de philosophie et avocate. Elle vit et travaille dans l’agglomération de Buenos Aires où elle publie le fanzine Gorda ! et donne des cours de second et de troisième cycle respectivement dans les universités nationales de La Matanza et Lomas de Zamora. Elle a écrit différents chapitres de livres et des articles sur le genre, les identités, les sujets, les corps et les droits. Cette année, elle a codirigé avec Nicolás Cuello la publication d’un livre sur l’activisme des personnes obèses aux éditions Madreselva : Cuerpos sin patrones. Resistencias desde las geografías desmesuradas de la carne [Corps sans modèles : résistances dans la perspective des géographies démesurées de la chair].

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Analyses
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Global