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Le Sommet des peuples de Rio+20 : Les mouvements réclament des changements structurels !

DOSSIER DU VENDREDI: Alors que les gouvernements bradaient les droits reproductifs des femmes pendant la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD), les groupes féministes et ceux qui militent pour les droits des femmes se mobilisaient au Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale pour dénoncer l’économie verte, le modèle de développement néolibéral et pour mettre de l’avant des propositions féministes liées à l’avenir de notre planète.

Par Alejandra Scampini

Du 20 au 22 juin derniers, les dirigeants mondiaux et des milliers de personnes issues des gouvernements, du secteur privé, des agences onusiennes, des ONG et d’autres groupes se réunissaient à Rio de Janeiro, dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD). La conférence devait donner lieu à des discussions sur la réduction de la pauvreté, la promotion de la justice sociale et la protection de l’environnement. Parallèlement à la CNUDD, se tenait au parc du Flamengo, également situé à Rio de Janeiro, le Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale organisé par la société civile internationale.

Le Sommet des peuples: Mobilisations et réflexions

Le Sommet des peuples pour la justice sociale et environnementale conviait les organisations de la société civile, les réseaux et les mouvements de partout au monde à contester la notion de « l’économie verte » et à explorer des alternatives à cette approche qui représentait l’un des enjeux majeurs faisant l’objet de discussions entre les chefs d’État et de gouvernement participant à la CNUDD.

Les personnes participant au Sommet des peuples ont critiqué l’absence de débats entourant la gouvernance globale lors de la conférence formelle Rio+20 et cherchaient à mettre en lumière les nombreuses luttes menées à travers le monde visant à contester le modèle économique actuel, tout en renforçant la solidarité et en présentant des propositions et des solutions traitant de la crise systémique qui fait rage présentement.

Des débats, des plénières et d’autres activités ont eu lieu sous les tentes, plus de 15.000 personnes prenant part à la dernière Assemblée des Peuples. Le Sommet a revitalisé les participants et contribué à l’élaboration de plans d’action communs. Il a de plus transmis un message politique très clair à la conférence formelle Rio+20 par la voie de sa déclaration finale. Comme l’affirmait Miriam Nobre de la Marche mondiale des femmes (MMF), « Le Sommet est terminé mais la lutte se poursuit. » Cette impulsion est d’ailleurs apparente dans la Déclaration finale du Sommet des peuples qui évoque un moment historique suscitant de nouvelles convergences entre mouvements de femmes, féministes, autochtones, afrodescendants, jeunes, paysans, syndicats, peuples et communautés traditionnelles, quilombolas[1], activistes du développement et bien d’autres.

Plus particulièrement, les peuples autochtones ont assuré une très forte présence au Sommet. Ils ont notamment organisé un rassemblement international de grande envergure, soit « Indigenous Peoples International Conference on Sustainable Development and Self Determination » [Conférence internationale des peuples autochtones sur le développement durable et l’autodétermination]. Dans leur déclaration finale, les peuples autochtones du monde entier appellent à poursuivre la lutte contre les industries extractives, les investissements prédateurs, l’accaparement des terres, les relocalisations imposées et les projets de développement non durables. Ces luttes sont fondées sur le droit des peuples autochtones de définir et de mettre en œuvre leurs priorités en matière de développement économique, social, culturel et de protection environnementale et ce, en fonction de leurs propres cultures, connaissances et pratiques traditionnelles.

Les femmes réfléchissent, proposent et protestent à Rio de Janeiro

«L’objectif des groupes de femmes et des féministes ayant participé à l’organisation du Sommet consistait à créer un rassemblement inclusif, favorisant la convergence des luttes féministes ainsi que les discussions et le partage des visions critiques à l’égard du modèle de développement non durable et inéquitable », soulignait Graciela Rodriguez, d’EQUIT au Brésil. Les femmes du monde entier ont mis de l’avant leur rôle déterminant dans les débats sur l’avenir de la planète, d’un point de vue féministe.

Articulacion de Mujeres Brasileras (AMB), Articulacion Feminista Mercosur (AFM), l’Equit Institute et autres groupes ont soutenu la création et l’organisation du « Territoire global des femmes » pendant le Sommet des peuples. Cette tente destinée aux femmes offrait l’occasion de rejoindre les « gens ordinaires », la plupart étant sérieusement touchés par la crise. Le Territoire a permis de mettre en lumière les luttes auxquelles participent les femmes de partout du monde afin de garantir la pérennité des ressources : on peut notamment citer l’accès aux terres pour les femmes du Malawi, l’expansion des sociétés minières et des capitaux transnationaux dans certaines régions de l’Afrique, du Guatemala, de l’Argentine et du Pérou, ou encore l’appropriation de l’eau par les entreprises étrangères et nationales dans le bassin de l’Amazone. Les femmes représentant la Rural Women´s Assemblyen Afrique du Sud, les Quilombolas du Brésil, Via Campesina et AMB ont dialogué sur les multiples formes de résistance visant à défendre les biens communs ; ces biens qui ne peuvent être traités comme des marchandises, financés ou pris en main par quelques intervenants privilégiés. Les allocutions ont sensibilisé l’auditoire à la nécessité de réclamer de réelles solutions de la part des gouvernements, proposant la souveraineté alimentaire et l’agroécologie comme principales alternatives aux modes de production et de consommation dominant le modèle de développement économique actuel.

Les participantes au « Territoire global des femmes » s’entendaient clairement sur le fait que les alternatives ne relèvent pas uniquement de l’autonomisation économique. Plusieurs d’entre elles ont souligné que la violence est un obstacle majeur au développement. Il est en effet difficile de penser au développement alors que des femmes et des militantes sont tuées, persécutées, violées et contraintes à des mariages précoces. Par ailleurs, une participante Pakistanaise faisait remarquer qu’aucune discussion n’a eu lieu à la CNUDD sur ces questions, ce qui signale le peu d’importance que prennent la violence à l’égard des femmes, la santé sexuelle et les droits reproductifs à l’ordre du jour du développement international, tout comme dans la planification, la programmation et la budgétisation.

La Marche mondiale des femmes (MMF), en collaboration avec La Via Campesina, National Articulation on Agroecology (ANA) et Andean Coordination of Indigenous Organizations (CAOI) du Brésil, ont programmé des activités portant sur les féminismes, la souveraineté alimentaire et l’agroécologie afin de démasquer le concept de l’économie verte qui est en réalité « le même modèle de marché qui marchandise notre vie, nos corps et nos territoires ». Elles n’acceptent pas les solutions qui ne font que générer plus de commerce et qui ne changent pas le modèle de production, de consommation et de reproduction sociale. Elles affirment également que les alternatives construites et proposées à partir des peuples doivent intégrer une dimension génératrice d’égalité. Elles insistent sur le fait que les véritables alternatives globales doivent tenir compte de l’égalité entre hommes et femmes, du droit des femmes à une vie sans violence et du juste répartition du travail domestique et des soins, entre les hommes et les femmes[2].

La Marche des femmes

Au matin du 18 juin, plus de 10.000 personnes ont marché sous le slogan Les femmes contre la marchandisation de nos corps, de nos vies et de la nature ! [3]. Les femmes ont élevé la voix et brandi des bannières contre le modèle de développement capitaliste, patriarcal, homophobe et raciste. À l’aide de tambours, de sifflets, de danses, de chants et d’étendards, les femmes ont dénoncé l’économie verte. Elles ont aussi exposé les institutions transnationales et multilatérales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), faisant valoir leur rôle dans la marchandisation de la nature et l’exacerbation de la crise environnementale qui sévit sur notre planète. « Ce sont les parties responsables de la crise mondiale que nous vivons, sans compter l’accroissement de la violence et de la pauvreté chez les femmes », affirmait Nalu Faria de la MMF. « Nous devons dépasser ce modèle et pour cela nous devons dépasser la division sexuelle du travail, qui ne reconnait pas notre travail comme tel, qui nous dit que nous devons le faire par amour et en raison du fardeau de culpabilité que nous portons. Nous exigeons la reconnaissance du travail des femmes et la fin de la division sexuelle dans le travail productif ».

Pour les femmes en marche, la lutte ne concerne pas uniquement la durabilité environnementale, mais elle aspire aussi à construire un autre modèle de production et de consommation qui respecte l’égalité. « Nous sommes ici pour réclamer notre droit aux terres et notre droit de choisir comment semer et produire. La terre est la vie et elle est une expression de notre existence ; elle fait partie de l’écosystème grâce auquel nous survivons. Notre culture est profondément ancrée dans nos terres et dans la manière dont nous les utilisons », précisait une représentante de la Rural Women’s Assembly de l’Afrique du Sud.

Et l’avenir?

Lors de la conférence officielle, on n’a pas entendu de débats critiquant le système capitaliste actuel ou d’échanges sur la récession économique et la crise financière que subissent plusieurs pays depuis la débâcle financière de 2008, non plus que des réflexions entourant les éventuelles alternatives. Certaines femmes participant au Sommet des Peuples estimaient que l’espace créé par l’ONU n’incitait pas aux discussions pouvant mener à de réelles solutions aux crises systémiques. Elles ont critiqué le peu de place réservée à la société civile au sein des rencontres formelles de l’ONU. Selon plusieurs, le Sommet des Peuples proposait le seul espace authentique pour faire progresser les luttes contre le système capitaliste, patriarcal et raciste.

Les personnes participant au Sommet partageaient une vaste gamme d’expériences et des relations distinctes avec la nature pouvant favoriser l’élaboration de politiques publiques. Il n’en reste pas moins que persiste le défi de déterminer comment composer avec les contradictions entre un modèle de développement durable alternatif et le modèle néolibéral et extractif actuel. Le concept de développement durable a été fréquemment évoqué. Toutefois, l’avènement d’une telle durabilité est menacé par les accords de libre-échange, les pouvoirs des entreprises et le rôle de l’État qui s’amenuise. La déclaration finale du Territoire global des femmes rappelait aussi la faiblesse du rôle de l’ONU sur le plan de la gouvernance globale ainsi que la menace grandissante et l’érosion des engagements déjà convenus, particulièrement en matière de santé sexuelle et de droits reproductifs.

Le travail à faire semble gigantesque. La crise systémique est là pour rester et les voix des femmes du Sommet se sont élevées pour insister sur la pertinence d’établir de meilleures relations entre les humains et la nature, en plus d’explorer de nouvelles formes de production, de consommation et de reproduction sociale. Les corrélations entre l’environnement, les classes, le genre et la justice sociale nous mettent au défi de revoir les propositions féministes, entre autres éléments. Nous devons saisir ce qu’il faut mettre en place pour créer une relation plus harmonieuse avec la terre mère et arriver à considérer la terre mère comme ayant des droits.

Tout cela ne peut être accompli dans l’isolement. Nous devons favoriser les alliances avec le développement environnementaliste et les mouvements œuvrant pour la justice. Pour les mouvements féministes et pour l’ensemble de la société civile, les préparatifs en vue du Caire+20, de Beijing+20, de Vienne+20 et du Forum social mondial 2013 représentent d’excellentes occasions de tenir ces débats cruciaux.

[1] Nom donné aux communautés esclaves de descendance africaine qui se sont échappées des plantations exploitées au Brésil avant l’abolition de l’esclavage en 1888. Ces communautés vivaient dans des colonies indépendantes appelées « Quilombos », dont la plus célèbre est le Quilombo dos Palmares, au Nord-Est du Brésil.

[2] Bulletin de la Marche mondiale des femmes distribué au Sommet.

[3] Cette mobilisation était organisée par plusieurs groupes de femmes, notamment Articulación de Mujeres Brasileras (AMB), la Marche mondiale des femmes (MMF), et des femmes de mouvements mixtes comme Via Campesina, Contag, CUT, CAOI et ANA, en plus d’autres organisations féministes.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID