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Le Forum urbain mondial - Faire participer les femmes des communautés de base à la planification urbaine

DOSSIER DU VENDREDI: Le Forum urbain mondial 6 (WUF6) a été tenu à Naples du 1er au 7 septembre 2012.

L’AWID s'est entretenue avec Carmen Griffiths, Directrice exécutive du Construction Resource and Development Center (CRDC), et dirigeante et organisatrice de GROOTS Jamaïque[1] à propos de la participation des femmes des communautés de base à cet évènement majeur en matière de planification urbaine mondiale.

Par Susan Tolmay

AWID: Qu'est-ce que le Forum urbain mondial?

Carmen Griffiths (CG): C’est un Forum organisé tous les deux ans par UN HABITAT, il s'agit en l'occurrence de la sixième version, comme instance qui réunit tout un éventail d'acteurs concernés par la planification des villes, à savoir les ministres des gouvernements, les autorités locales, la société civile, les organisations de femmes des communautés de base, les responsables de la planification, les ingénieurs et architectes, les universitaires, etc., pour aborder les enjeux associés aux villes, analyser la façon dont les villes sont planifiées et voir comment les intérêts de tous les acteurs sont pris en considération dans cette planification.

Nous vivons dans un monde de plus en plus urbanisé et les espaces urbains doivent être planifiés, car faute de planification, les villes peuvent commencer à présenter de sérieux problèmes. C'est pourquoi cette instance a été créée pour permettre aux parties prenantes d'échanger des idées et de voir ce qui a été fait dans d'autres villes de façon à ce que chacun profite de ce partage de connaissances.

AWID: Qu'entend-on par urbanisation ?

CG: L'urbanisation est un processus par lequel de plus en plus de personnes quittent les zones rurales pour se rendre dans les villes à la recherche de meilleures conditions de vie et d'emploi. Le constat actuel et que trop de gens vivent dans les villes, ce qui exerce une pression sur l'infrastructure et les services tels que le logement, l'eau et l'assainissement, et engendre un malaise social. En Jamaïque, par exemple, la population est de 2,5 millions de personnes et, selon les estimations actuelles, un demi-million d'entre elles vit dans la zone métropolitaine de Kingston dans des conditions d'habitation insoutenables et avec une infrastructure incapable de répondre aux besoins de l'explosion urbaine.

L'urbanisation contribue dès lors à exacerber la pauvreté, car les gens quittent les zones rurales pour venir s'installer dans des villes où elles ne peuvent trouver de logement, raison pour laquelle elles sont obligées de construire des habitations précaires et des cabanes ; par ailleurs, le squat devient un grave problème. Les gens occupent des terrains et s'emparent de tout espace possible pour construire des établissements informels qui rapidement deviennent problématiques en raison du manque d'infrastructure de base. Les gouvernements ont un rôle important à jouer dans la planification, car les personnes sans emploi dans les zones rurales vont inévitablement chercher dans les villes de quoi vivre et subvenir aux besoins de leur famille.

AWID: Comment ce phénomène affecte-t-il les communautés en général et les femmes en particulier ?

CG: Il affecte les communautés, car les gens vivent dans des conditions déplorables, sans infrastructure, à savoir sans routes, sans eau et sans assainissement, dans des habitations qui ne devraient pas être construites à ces endroits. La Jamaïque est un pays vulnérable aux catastrophes naturelles, en particulier des ouragans, et ce genre de construction ne résiste pas à ce type de catastrophe. C'est pourquoi les établissements informels sont les plus touchés et que les habitations sont détruites chaque fois que nous sommes victimes d'une catastrophe. Cette situation engendre également des problèmes en matière de santé en raison de l'absence d'eau et de services d'assainissement, tels que les maladies propagées par l'eau comme la diarrhée, etc.

Les conditions de vie dans un milieu urbain surpeuplé et non planifié ont surtout un impact sur les femmes (et les enfants), en particulier lorsqu'elles sont chefs de ménage. Les données dont nous disposons montrent en effet que les victimes de cette situation sont, en majeure partie, des ménages dirigés par des femmes. Le CRDC a effectué une étude sur les ménages dirigés par des femmes et a conclu, à l'époque, que 51-52 % de tous les ménages étaient dirigés par des femmes. Si l'on considère que les enfants ne peuvent aller à l'école, parfois en raison de la délinquance et de la violence ou parce qu'ils n'ont pas une alimentation adéquate, et si l'on ajoute à cela le fait qu'ils vivent dans de mauvaises conditions de santé et environnementales, on voit qu'il est indispensable que les parties prenantes se réunissent et analysent la façon de planifier les vies de manière à garantir un logement à tous les utilisateurs. Chacun a le droit d'utiliser la ville, mais cette utilisation doit être planifiée par toutes les parties prenantes et les acteurs les plus vulnérables doivent nécessairement participer à cette négociation.

AWID: Comment les femmes se sont-elles organisées et comment ont-elles participé au WUF 6 ?

CG: La force de GROOTS et de la Commission de Huairou est l'organisation de femmes des communautés de base. Bien avant cette manifestation, les femmes ont commencé à s'organiser, à se rencontrer et à discuter de leurs propres problèmes à l'échelon local, discussions qui ont ensuite servi de base aux débats du Forum. Avant le WUF, la Commission de Huairou et GROOTS ont organisé un séminaire d'une semaine appelé Grassroots Women Academy, qui a constitué pour les femmes des communautés de base un espace de formation et de partage et d'échange d'informations. L'académie a été planifiée de façon à ce que les femmes des communautés de base d'autres pays rencontrent des femmes dans la ville d'accueil du WUF afin d'aborder les questions relatives aux femmes pertinentes pour les discussions du Forum et analyser les expériences réussies de femmes dans d'autres parties du monde. L'académie de femmes des communautés de base émet généralement une déclaration dont les priorités sont présentées par différentes femmes à l'occasion de leur participation aux ateliers formels. En outre, les femmes des communautés de base interviennent généralement dans plusieurs panels, ce qui leur permet non seulement d'exposer et de faire connaître leurs pratiques, mais aussi d’introduire leur « agenda dans l'agenda ». Cette année, 56 femmes des communautés de base provenant de 12 pays ont participé au forum de Naples pour présenter leurs expériences quant à ce qui a fonctionné et ce qui doit encore être accompli dans leur pays en matière de développement urbain et de gouvernance communautaires.

La déclaration finale de l'académie, qui fait le point des discussions tenues, a pour but de faire pression pour un changement de politique à l'échelon mondial, mais elle constitue également une feuille de route que les femmes peuvent utiliser à leur retour pour amorcer ou pour faire progresser leur action dans leurs propres villes.

Finalement, en termes d'organisation, l'espace réservé aux femmes permet de réunir des partenaires de l'Académie, des maires, des technocrates des gouvernements locaux, des dirigeants d'organismes importants, des bailleurs de fonds, etc., avec lesquels les femmes peuvent s'entretenir séparément. À ce forum, le Secrétaire général adjoint et Directeur exécutif d’UN HABITAT, Dr. Joan Clos, a assisté à notre réunion pour entendre ce que les femmes avaient à dire dans ce domaine ; les femmes des communautés de base s'engagent donc aux échelons mondial, national, local et communautaire pour garantir que la planification des villes les prenne en considération, car elles sont souvent majoritaires dans les villes.

Il est important de signaler que c'est la première fois que les femmes des communautés de base ont la possibilité d'évoluer dans des espaces formels comme celui-ci ; des espaces comme GROOTS et la commission de Huairou ont été créés pour que les femmes des communautés de base puissent faire part de leurs préoccupations et fassent connaître aux dirigeants la réalité qu'elles connaissent sur le terrain. Dans cet espace mondial, nous pouvons parler et juger par nous-mêmes : ceci nous habilite davantage, à notre retour, pour communiquer à nos bases les résultats des discussions et nous aide à exiger à nos dirigeants locaux d'assumer la responsabilité de ce qu'ils ont dit au sein de ces espaces mondiaux.

AWID: Quels ont été les principaux thèmes abordés dans les débats ?

CG: Les femmes parlent de criminalité et de la façon dont celle-ci a un impact sur elles dans le milieu urbain : nous souhaitons que les politiques et les programmes mis au point dans les villes reflètent les opinions et les intérêts des femmes; par exemple, UN HABITAT travaille actuellement sur un programme intitulé «Parce que je suis une fille » qui analyse ce qu'implique le fait d'être une jeune fille dans une ville.

Le programme « Des villes sûres » analyse la corrélation existante entre la violence et la planification des villes et se pose la question de savoir comment se sentent les femmes dans les villes et si elles se sentent en sécurité. En Jamaïque, nous avons mis au point un processus de vérification de la sûreté impliquant les femmes et les autorités locales et qui permet de détecter dans la ville des zones qui ne sont pas sûres et où l'infrastructure est peu adaptée aux femmes. Par exemple, si vous avez des difficultés et devez utiliser une chaise roulante, il apparaît que certaines parties de la ville ne prennent pas ces besoins en considération ou qu'à certains endroits de la ville, l'éclairage des rues est insuffisant ce qui crée un danger pour les femmes qui doivent les emprunter pour rentrer chez elles le soir.

Il y a donc un problème d'autonomisation économique et de création d'emploi pour les femmes dans les villes ; la question générale de l'accès à la terre et à la propriété est également prioritaire dans notre agenda. J'ai parlé de résilience urbaine et des mesures à prendre pour que tous comprennent ce qu'implique cette résilience urbaine au niveau des femmes des communautés de base.

AWID: Le Groupe consultatif sur les questions de genre (Advisory Group on Gender Issues (AGGI)) a été lancé au Forum WUF6, quelle est l'importance de cet organisme?

CG: L’AGGI est un nouveau groupe qui vient d'être établi et qui rassemble des représentants des gouvernements, de groupes professionnels et d'organisations de base qui offriront des conseils à UN HABITAT quant aux programmes et politiques de genre à mettre en œuvre à l'échelon mondial. Ceci est la première fois qu'un groupe prêtera conseil au Directeur exécutif quant aux orientations à suivre par UN HABITAT en matière de genre et aux priorités à défendre lors des réunions avec les gouvernements. Ceci a également des implications en termes de financement, car il arrive que les gouvernements fassent sourde oreille lorsque nous nous adressons à eux à l'échelon local sous le prétexte d'appliquer une perspective politique qui n'est pas nécessairement bénéfique pour la communauté. Nous espérons donc que ce groupe permettra à UN HABITAT d'aborder ces questions dans toutes les instances possibles d'interaction avec les gouvernements.

[1]Réseau national de groupes de femmes de base dans les zones rurales et urbaines de la Jamaïque

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID