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Droits économiques et justice pour les travailleuses et travailleurs domestiques

DOSSIER DU VENDREDI : Les travailleuses et travailleurs domestiques apportent une contribution considérable à l'économie mondiale. Elles/ils renforcent les économies locales et étrangères en assumant les tâches de soins ; de plus les travailleuses et travailleurs migrant-e-s envoient chez eux des fonds qui constituent une partie substantielle du produit intérieur brut de leur pays d’origine. Malgré cela, le travail domestique n'a été régi par aucune régulation pendant longtemps et les travailleuses et travailleurs domestiques sont confrontés à des violations de leurs droits économiques et à de nombreux obstacles pour avoir accès à la justice.

Cet article fait partie d’une série de Dossiers du Vendredi portant sur des problèmes et sur des débats liés au thème du Forum AWID 2012 et établissant les liens entre les questions des droits des femmes et le pouvoir économique. Pour plus d'informations sur l’emploi et le travail, veuillez cliquer ici.

En juin 2011, l'Organisation internationale du travail (OIT) a adopté la Convention 189 concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques (C189). Le processus de ratification a été lent, raison pour laquelle a été lancée en 2012 la « Campagne 12 pour 2012 » pour promouvoir la ratification de la Convention.

L’AWID s'est entretenue avec Marieke Koning de la Confédération syndicale internationale (CSI) sur les implications de la Convention 189 pour les droits économiques et la justice des femmes.

AWID: Quelle est la situation de la Convention depuis son adoption en juin de l'année dernière ?

Marieke Koning (MK): « C’est la fin de l'esclavage moderne ! » se sont exclamés les travailleuses et travailleurs domestiques qui ont été témoins de l'adoption historique de la Convention 189 (C 189) et de la Recommandation 201 concernant les droits des travailleuses et travailleurs domestiques lors de la Conférence de l'OIT en juin 2011. Pour ces travailleuses et travailleurs, ainsi que les 50-100 millions de travailleuses et travailleurs domestiques dans le monde, l'adoption de la C 189 est un témoignage de reconnaissance internationale et de respect pour le travail domestique, un instrument international auquel ils peuvent avoir recours pour réclamer leurs droits et qui peut aider des millions de travailleuses et travailleurs à sortir de l’informalité et à trouver des emplois formels.

Deux ratifications sont nécessaires pour l'entrée en vigueur de la C 189. La première ratification, de la part des Philippines, devrait se produire prochainement et 30 autres ratifications pourraient se concrétiser entre 2012 et 2014. De nouvelles lois et réformes sont en cours d'adoption et d'élaboration en Indonésie, en Inde, à Singapour et en Espagne. Mais nous devons rester vigilantes, car le parlement évoque la possibilité de reporter les débats en Indonésie et l'évolution du climat politique, notamment la réalisation d'élections nationales, rend plus incertaine la ratification de la Convention dans certains pays.

AWID: Quel a été le poids du pouvoir économique des travailleuses domestiques et migrantes sur le processus qui a conduit à l'adoption de la Convention ?

MK: La contribution à l’économie de leur pays des travailleuses domestiques migrantes assumant un travail rémunéré de soins qui permet à d'autres femmes d'entrer sur le marché du travail a été un argument de poids dans les négociations qui ont conduit à l’adoption de la C189.

Les négociations tenues durant la Conférence de l’OIT en juin 2010 et juin 2011 ont été intenses ; d’emblée, toutes les parties prenantes estimaient « qu’il fallait faire quelque chose », mais les employeurs et la majorité des gouvernements préféraient se limiter à une Recommandation. Une Convention, une fois ratifiée, oblige les gouvernements à adapter leur législation nationale. La délégation syndicale, composée notamment de syndicats de travailleuses et travailleurs domestiques, a présenté de nombreux exemples et arguments démontrant la nécessité d’une Convention. Les syndicats ont fait ressortir les similitudes des situations d’abus et d’exploitation dans tous les pays et ont fait référence aux législations en vigueur dans plusieurs pays du Nord et du Sud. Le soutien à l'idée d'une Convention s'est renforcé avec les déclarations de l'Afrique du Sud et du Brésil qui, au nom de leurs régions, ont manifesté leur ferme volonté politique de se prononcer en faveur d'une Convention.

AWID: Comment la C189 aborde-t-elle la question de l'équité des salaires, des avantages et des conditions de travail ? Quelles en sont les implications pour la situation économique et le pouvoir des femmes ?

MK: Le travail domestique étant réalisé traditionnellement par des femmes à l’intérieur du domicile, il n'est pas considéré comme une profession en soi. Il n'est ni valorisé, ni reconnu, ni respecté. Pendant trop longtemps, des dizaines de millions de travailleuses et travailleurs domestiques ont été exclus de la législation nationale, sous-rémunérés ou sans aucune rémunération, obligés de travailler pendant de longues heures et victimes d'exploitation et d'abus. Le travail réalisé par les travailleuses et travailleurs domestiques n'est pas visible et se fait dans l'isolement entre les quatre murs de la maison. La plupart sont virtuellement prisonnier-e-s ou esclaves : on ne leur permet pas de quitter la maison ou de contacter leur famille.

C'est pourquoi l'adoption de la C 189 est historique. Elle reconnaît le travail domestique comme un emploi et stipule les droits minimaux des travailleuses et travailleurs domestiques. Une fois ratifiée, la Convention renforcera le pouvoir économique des millions de travailleuses domestiques qui ont droit à un salaire minimum et à des prélèvements exceptionnels et clairement précisés.

La C189 fait référence à un traitement équitable entre les travailleuses et travailleurs domestiques et le reste des travailleurs en termes de durée normale du travail, de compensation pour les heures supplémentaires, de périodes de repos journalier et hebdomadaire et de congés payés annuels. Les périodes de « disponibilité »[i] sont désormais reconnues comme heures de travail. Les travailleuses et travailleurs domestiques auront accès à la protection sociale, à la protection de la maternité ; ainsi qu'aux avantages de santé et de sécurité. Ces dispositions vont considérablement améliorer le pouvoir économique des travailleuses et travailleurs domestiques.

Les employeurs et les travailleuses et travailleurs domestiques doivent aujourd'hui signer un contrat où sont explicités les termes et conditions de leur emploi et les travailleuses et travailleurs domestiques à demeure ont désormais le droit de décider de loger ou non dans la maison.

Elles/ils auront désormais accès aux tribunaux, ce qui permettra de mettre un frein aux pratiques abusives de nombreuses agences de placement. La C189 vise en outre à changer la vie des millions de femmes et des jeunes filles piégées dans le travail domestique des enfants et le travail forcé.

Finalement, la C 189 accorde aux travailleuses et travailleurs domestiques le droit de s'organiser, de négocier collectivement et de former des syndicats. Ce droit fondamental leur est nié dans la plupart des législations nationales du travail ; c'est pourquoi, grâce aux droits consacrés dans la Convention, les travailleuses et travailleurs domestiques pourront finalement défendre et négocier l'amélioration de leurs droits dans la loi et dans la pratique ainsi que dans le cadre d'accords de négociation collective.

AWID: Qu'est-ce que la campagne 12 pour 2012 ?

MK: La campagne 12 pour 2012 cherche à obtenir 12 ratifications de la C189 en 2012 et à organiser les travailleuses et travailleurs domestiques en syndicats, ainsi qu'à renforcer leurs syndicats. Douze ratifications en 2012 sont l'objectif minimum - nous devrons obtenir un nombre substantiel de ratifications en 2012 pour garantir que la Convention garde son statut d'instrument international de grande valeur.

La CSI a lancé la campagne 12 pour 2012[ii] le 19 décembre 2011 en partenariat, notamment, avec le Réseau international des travailleurs/ travailleuses domestiques (IDWN) qui unit des syndicats et des réseaux de travailleuses et travailleurs domestiques du monde entier.

Des campagnes 12 pour 2012 sont en cours dans 73 pays ! Et le nombre de pays ne cesse de s'accroître chaque mois. Les équipes de campagne ravivent l'activisme dans le monde entier et se présentent comme un réseau faîtier favorisant la coalition entre les syndicats, les syndicats de travailleuses et travailleurs domestiques et les organisations de migrants, de droits humains et des femmes de façon à maximiser la pression sur les gouvernements. Nos stratégies consistent à accorder la priorité à la C189 dans l'ordre du jour des réunions tripartites entre les syndicats, gouvernements et employeurs ; à organiser des réunions avec des parlementaires pour accroître le soutien à la ratification et des manifestations et des actions publiques devant les parlements.

AWID: Certains pays sont déjà bien avancés dans le processus de ratification de la Convention, à savoir la Belgique, le Pérou, les Philippines et l'Afrique du Sud. Quelles sont, à votre avis, les dynamiques internes/internationales particulières de ces pays qui favorisent le processus de ratification de la Convention ?

MK: La plupart des pays les plus proches de la ratification ont fait l'objet d'une sensibilisation sur le problème des travailleuses et travailleurs domestiques et ont adopté des mesures pour modifier leur législation du travail et répondre à certains besoins fondamentaux de ces travailleuses et travailleurs. Certains pays ont joué un rôle notable durant les négociations de la Conférence de l'OIT, comme les Philippines, l'Afrique du Sud, le Brésil, la Namibie, l'Australie et l'Uruguay. Dans le cas des Philippines, le gouvernement est conscient que la ratification de la C189 lui permettra de protéger les millions de concitoyen-nes qui travaillent dans d'autres pays comme domestiques ainsi que les travailleuses et travailleurs domestiques nationaux qui bénéficieront également de cette ratification. Le gouvernement des Philippines a mis sur pied un Groupe de travail technique incluant des syndicats, notamment des syndicats de travailleuses et travailleurs domestiques et des organisations de femmes migrantes, pour faciliter la consultation périodique sur le processus de ratification. Des processus similaires sont en cours en Afrique du Sud et au Brésil.

Dans d'autres pays, les syndicats se sont fortement engagés (par exemple, dans les pays scandinaves) et ont mis la C189 en toute première place de l'agenda tripartite. Mais rien n’est acquis d’avance. Au Pérou, où nous nous attendions à une prompte ratification, le soutien initial en faveur de la C189 s’est considérablement amenuisé après les élections gouvernementales. C’est pourquoi les équipes de la campagne 12 pour 2012 doivent rester vigilantes pour obtenir un maximum de ratifications d'ici à la fin de l'année.

AWID: Que faire pour assurer le suivi et l'application de mesures correctives en cas de non-respect?

MK: Les pays qui ont ratifié la Convention doivent l’appliquer dans la législation et dans la pratique, processus qui peut s’avérer très lent pour certains gouvernements. D’autres possèdent déjà une législation conforme à la Convention et ne devront introduire que quelques amendements, voire aucun, à leur législation nationale. Certains pays ne ratifieront peut-être pas la C189 mais appliquent les normes de l’OIT dans leurs législations et politiques.

Les pays qui ratifient la Convention doivent faire rapport périodiquement à l’OIT quant à son degré de mise en œuvre. Dans bon nombre de pays, la Convention ratifiée est directement applicable dans la législation nationale; en d'autres termes, un tribunal peut invoquer les droits stipulés dans la Convention en cas de différends juridiques impliquant les droits des travailleuses et travailleurs domestiques. En outre, l’OIT a mis en place des mécanismes de recours qui peuvent être utilisés, par exemple, par les syndicats pour déposer une plainte contre des vices d’application de la C189.

La C189 est une norme minimum. Après la ratification de la Convention, les travailleuses et travailleurs domestiques ont le droit de s’organiser et de former des syndicats. Ceux-ci peuvent ainsi renforcer leur pouvoir de négociation collective et négocier des nouvelles améliorations - législatives et dans la pratique- avec les employeurs et le gouvernement, rendant donc justice à des millions de travailleuses domestiques.

Informez-vous, Impliquez-vous !

[i] Les heures de « disponibilité » sont celles où, en dehors de son horaire normal de travail, il est demandé, par exemple, de s’occuper d’un enfant malade.

[ii] La champagne 12 pour 2012 est aujourd’hui une plateforme à laquelle participent de nombreux partenaires: l’IDWN, les Fédérations syndicales mondiales IUF et PSI, la Confédération européenne des syndicats (CES), Human Rights Watch, Migrant Forum Asia (MFA), Caritas, Solidar et World Solidarity. D’autres organisations devraient y adhérer prochainement.

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID