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Des économistes féministes réagissent à une note récemment publiée par le FMI intitulée « L’emploi des femmes et l’économie: Les avantages macroéconomiques de l’égalité des sexes » (Partie 2)

DOSSIER DU VENDREDI – Dans la deuxième partie de notre série en deux volets sur la note du Fonds monétaire international (FMI) intitulée L’emploi des femmes et l’économie : les avantages macroéconomiques de l’égalité des sexes, plusieurs économistes féministes, en particulier la Professeure Stephanie Seguino avec la Professeure adjointe Elissa Braunstein et le Dr. Anit N. Mukherjee se penchent sur les déficiences du rapport en ce qui concerne l’écart salarial entre les genres, la manière dont les politiques macroéconomiques perpétuent les inégalités entre les genres, le taux de participation des femmes au marché du travail et les activités de soins non rémunérées.

Par la Professeure Stephanie Seguino avec la Professeure adjointe Elissa Braunstein et le Dr. Anit N. Mukherjee

La Prof. Stephanie Seguino[i] et la Professeure adjointe Elissa Braunstein[ii] affirme que, selon cette Note de discussion, « assurer aux femmes l'égalité des chances économiques et mettre en valeur le potentiel réel de la main-d’œuvre féminine pourraient contribuer de façon significative à la croissance et au bien-être futurs (p. 12).” L'argument qui sous-tend cette note est que les économies qui imposent des restrictions à la participation de la main-d’œuvre féminine perdent en efficacité.

Le rapport reconnait que les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes, et ce, de manière discriminatoire. On pourrait conclure que cet état de choses est dû au comportement idiosyncrasique de l’employeur qui rend compte de stéréotypes dépassés. Selon le rapport, ce problème peut être résolu moyennant l’application de solutions juridiques. Toutefois, le rapport n’indique pas que l'écart salarial entre les genres est alimenté par la ségrégation professionnelle, les femmes étant concentrées dans les professions et les emplois faiblement rémunérés. L’association entre le plus haut niveau d'enseignement atteint par les femmes, leur participation accrue sur le marché de l’emploi et leurs salaires inférieurs se traduit par l'augmentation des recettes des entreprises. Il s’avère que, dans certains pays, l'écart salarial entre les genres a en fait servi de stimulant à la croissance grâce à son effet sur l’investissement et les exportations. Une pléthore d’études publiées par des économistes féministes dans des revues universitaires confirme que, dans certains pays, l'écart salarial entre les genres a, par son effet sur l’investissement et les exportations, contribué à stimuler la croissance. Aucune de ces études n’a été citée dans la note du FMI.

Les économistes féministes soulignent également que les politiques macroéconomiques prônées par le FMI ont contribué à perpétuer l’inégalité entre les genres dans le monde entier. Plusieurs exemples sont cités : la politique de contraction monétaire qui réduit les services publics, ce qui entraîne une charge supplémentaire pour les femmes et rend plus difficile leur accès à un emploi rémunéré ; le régime de ciblage de l'inflation, qui contribue à la hausse des taux de chômage, avive la concurrence pour des emplois déjà rares, souvent au détriment des femmes qui sont également confrontées à la violence familiale résultant parfois de la perte de la fonction de soutien de famille de la part des hommes ; la déréglementation financière qui a engendré une instabilité économique à l’échelle planétaire, contexte dans lequel les femmes portent souvent le fardeau le plus lourd, car elles aident leur famille à surmonter les crises en travaillant plus longtemps et en jouant le rôle d'amortisseurs des chocs émotionnels subis par leurs familles.

En termes de politiques, les auteur-e-s de cette brève note recommandent un nombre restreint de politiques standards axées sur le marché qui mettent l’accent sur les incitations individuelles pour se tourner vers le travail rémunéré, sans aborder les obstacles de type plus structurel qui freinent l’autonomisation des femmes. Elles et ils proposent, par exemple, que les gouvernements pratiquent une imposition individuelle plutôt que sur le revenu familial, afin d’inciter les femmes à entrer sur le marché de l’emploi. Elles et ils recommandent également l’octroi de crédits d’impôt aux employeur-euse-s pour les encourager à engager des femmes, sans évaluer l’impact de cette mesure sur les budgets publics requis pour les dépenses en infrastructure et les dépenses sociales nécessaires pour alléger le travail de soins des femmes. Finalement, et de manière assez surprenante, elles et ils prônent une réduction des allocations familiales qui, selon eux, pourraient « dissuader » les femmes d’entrer sur le marché du travail. Très peu est dit sur l’impact de l’accès des femmes à des emplois mal rémunérés sur le bien-être des enfants, comparé aux aides sociales accordées aux familles pour la prise en charge des enfants. Le fait que les femmes exercent des emplois précaires et mal rémunérés risque de compromettre cet objectif.

Le rapport recommande l'application des politiques du FMI plutôt que d'apporter des changements à des caractéristiques structurelles des économies qui sont, de loin, les principaux obstacles à l'égalité des genres, ou d'approuver des lois proactives en faveur des femmes, par exemple en ce qui concerne les salaires minimums/de subsistance. Ces politiques concernent la prolifération d'emplois faiblement rémunérés, le caractère fragmenté des filets de sécurité sociale, la mobilité des entreprises qui maintient les salaires à la baisse et la déréglementation financière qui contribue à la stabilité. Les auteur-e-s ne font aucune mention ni critique de l'ensemble des recommandations de politiques formulées depuis plus de quinze ans dans le but d'améliorer les politiques macro-économiques et promouvoir l'égalité des genres pour résoudre ces problèmes. Par exemple, la note omet de mentionner l'utilité des politiques de réconciliation en Europe qui visent à promouvoir l’équilibre entre le travail et la famille pour les femmes et pour les hommes. Une des principales déficiences de cette note est qu'elle ne prend pas position vis-à-vis des études approfondies et abondantes concernant le genre et la macroéconomie, ce qui, en définitive, compromet la validité du résultat de l'analyse.

Une lacune particulièrement grave dans cette note du FMI est l'absence de toute mention aux séquelles de la crise financière de 2008 sur l'égalité des genres. Les programmes d'austérité appliqués en Europe sont un coup de frein à la poursuite de l'égalité des genres et un recul par rapport aux progrès accomplis grâce aux lois sur la réconciliation durant les années 1990, avant que la crise n'éclate. L'austérité s'est en outre traduite par des réductions qui touchent de façon disproportionnée les mères, en particulier les mères célibataires, comme l'a démontré le Groupe des femmes sur le budget du Royaume-Uni.

Contrairement à l'analyse que fait le FMI de l'égalité des genres, les économistes féministes font ressortir l'importance du rapport de force. L'inégalité des genres se produit et reproduit chaque jour, non seulement par le biais de la dynamique familiale, mais aussi par celui des institutions et de l'environnement politique macroéconomique. L'entrée des femmes sur le marché de l'emploi rémunéré peut effectivement stimuler la croissance, mais sans doute en raison du pouvoir disproportionné dont jouissent les entreprises par rapport aux femmes et qui se traduit par une plus grande discrimination salariale.

En d'autres termes, l'inégalité salariale entre hommes et femmes est souvent une source majeure de croissance résultant de l'entrée massive des femmes sur le marché de l'emploi rémunéré. La tendance à la baisse des budgets publics accroît la pression sur les femmes et les pousse à « choisir » un emploi rémunéré, par rapport à un travail non rémunéré, mais à un coût très élevé, en particulier pour l'accroissement de la productivité à long terme. Le FMI, en revanche, n’aborde pas les questions du déséquilibre des rapports de force, du rôle des institutions et du cadre stratégique, ni du rôle du travail de soins dans la promotion du développement et de la croissance.

Il serait souhaitable que le FMI fasse une revue complète de la littérature sur le genre et la croissance, dans des journaux scientifiques à comité de lecture, notamment Feminist Economics, World Development, Cambridge Journal of Economics, plutôt que de faire un choix sélectif d’une recherche qu’il souhaite mettre en valeur, en ignorant les autres. Bien que prônant le libre marché, le FMI ne semble pas disposé à affronter le libre marché des idées.

Dans une autre réponse, le Dr. Anit Mukherjee[iii]affirme que l'égalité des genres a fait l'objet d'un regain d'intérêt à l'issue de la crise budgétaire et financière mondiale. Le récent rapport du FMI sur « L’emploi des femmes et l’économie : Les avantages macroéconomiques de l’égalité des sexes » est une tentative de réunir les preuves disponibles en faveur d'une justification économique de la « participation » accrue des femmes sur le marché de l'emploi et l’occasion de prôner des politiques visant à éliminer les prétendues « barrières » qui les empêchent de contribuer pleinement aux activités productives au sein de l'économie.

L’hypothèse qui sous-tend ce document est que le taux de participation de la main-d’œuvre féminine est faible et qu’il doit augmenter. Cette participation accrue créerait un stimulant supplémentaire pour favoriser la hausse du revenu par habitant. Même dans les pays avancés de l'OCDE, cette augmentation du taux de participation de la main-d’œuvre féminine se traduirait par un accroissement de 5% du PIB aux États-Unis d'Amérique et de 9% au Japon, progression qui serait nettement plus nette encore dans les pays en développement, par exemple 34% en Égypte. Le postulat est donc que la réalisation de l'égalité des genres sur le marché de l'emploi permettrait des gains d'efficacité dans le monde entier.

Ce cadre comptable standard de la croissance est trompeur à de nombreux égards. En premier lieu, le taux de participation de la main-d’œuvre féminine n'est pas fondé sur une analyse ventilée par genre du « travail » dans différents contextes conceptuels et pratiques. L’omission la plus grave en matière de comptabilité de la croissance et de revenu national est le travail non rémunéré (voir Waring, If Women Counted). Rien que reconnaissant l'apport majoritaire des femmes au travail non rémunéré, le document ne suggère aucun changement dans les normes en matière d'information afin d'intégrer des indicateurs ventilés par sexe du travail non rémunéré (travail de soins). Selon des estimations initiales, la valeur économique du travail réalisé par les prestataires de soins en Australie a été calculée à 21,4 milliards d’heures durant la période 2009-2010, soit une moyenne de presque 1000 heures par personne. Les 11,1 millions de travailleur-e-s équivalents temps plein dans les soins non rémunérés représentent plus de 20 % de l'ensemble de la main-d’œuvre employée à temps plein en Australie. En 2009-2010, la valeur de l'économie des soins a été estimée à quelque 112.4 milliards de dollars australiens, soit 8.8% du PIB, ce qui équivaut à pratiquement 20% de l'ensemble du travail rémunéré. La valeur des soins non rémunérés est estimée à 650,1 milliards de dollars australiens, soit 50.6% du PIB et six fois la taille du secteur des soins rémunérés. Les femmes représentent 77% des travailleur-e-s des soins rémunérés et 66% des travailleur-e-s des soins non rémunérés[iv].

En deuxième lieu, le fait de passer d'un travail non rémunéré de subsistance, ménager et de soins, d'une part, à un emploi « productif » rémunéré, d’autre part, ne constitue pas un choix économique. L’indicateur du taux de participation de la main-d’œuvre féminine est donc une mesure discontinue et inadéquate pour réaliser une analyse de la comptabilité de la croissance qui permette de déterminer l'impact macroéconomique de l'égalité des genres sur le marché du travail. Ceci est particulièrement le cas dans les économies où continuent de prédominer les modes traditionnels de production et la propriété communautaire des actifs, ce qui s'applique à une majorité des pays analysés dans cette étude, à l'exception de quelques économies de l'OCDE. D'emblée, l'hypothèse sur laquelle les décisions de fourniture de main-d’œuvre féminine basées sur les taux salariaux établis sur le marché sont supérieures aux systèmes traditionnels où les femmes prédominent à la fois dans les activités productives et non rémunérées remet en question la méthodologie utilisée dans cette note.

La contribution des femmes au « travail » et à la « production » exige une approche beaucoup plus nuancée que la seule application d'indicateurs partiels comme le taux de participation de la main-d’œuvre féminine. Il est certes encourageant que le FMI ait reconnu le rôle de l'égalité des genres comme objectif important à atteindre, mais il est indispensable que l'analyse économique des marchés du travail aille au-delà de l'habituel postulat néoclassique. Les questions du travail non rémunéré, de la production de subsistance et de la participation communautaire qui déterminent les décisions de la vaste majorité des femmes du monde entier vis-à-vis du marché de l'emploi doivent être au centre de toute analyse économique.

Édité par Rochelle Jones

Lire la partie 1 : http://www.awid.org/fre/Actualites-et-Analyses/Dossier-du-Vendredi/Des-economistes-feministes-reagissent-a-une-note-recemment-publiee-par-le-FMI-intitulee-Les-femmes-le-travail-et-l-economie-les-gains-macroeconomiques-a-attendre-d-une-egalite-des-sexes-Partie-1

[i] Stephanie Seguino est professeure d’économie à l’Université du Vermont, USA. Elle mène actuellement des recherches sur le rapport entre l’inégalité, la croissance et le développement. Elle s'intéresse plus particulièrement aux effets de l'égalité des genres sur les résultats macroéconomiques et a récemment publié un article sur le rôle joué par la dimension de genre en termes macroéconomiques dans les pays qui connaissent des difficultés de balance des paiements qui limitent leur croissance. Elle a également étudié les effets des politiques monétaires restrictives en termes de genre et de race. Elle est associée de recherche à la Faculté d'études orientales et africaines (SOAS) de l'Université de Londres, chargée de recherches à l’Institut de recherche en économie politique, rédactrice adjointe de Feminist Economics, et ancienne présidente de l'Association internationale pour l'économie féministe.

[ii] Elissa Braunstein est professeure adjointe au Département d'économie de l'État du Colorado. Dans ses travaux, elle utilise une perspective féministe pour mieux comprendre les processus et les résultats économiques à l'échelle macroéconomique et internationale, notamment en ce qui concerne le développement économique et l’égalité des genres. Elle a publié de nombreux articles dans des revues universitaires et politiques. Ses recherches actuelles sont centrées sur la macro modélisation des soins, l'estimation économétrique des coûts du patriarcat pour la croissance économique, et l'évaluation de l'impact des changements économiques récents dans la région de l'Amérique latine sur l'inégalité des genres sur le marché de l'emploi. Elle prête régulièrement des avis de consultance auprès de plusieurs institutions internationales de développement, notamment l'OIT, l’UNRISD, et ONU Femmes.

[iii] Anit N. Mukherjee est consultant de l’Initiative pour le Genre et la Gestion des Politiques Économiques du PNUD. Il est spécialisé dans les politiques et les finances publiques, notamment en ce qui concerne l'éducation, la santé, la pauvreté et le genre dans les pays en développement.

[iv] Waring, Mukherjee, Reid and Shivdas, 2013, Anticipatory Social Protection: Claiming Dignity and Rights, London:Commonwealth Secretariat www.security4women.org.au/wp-content/uploads/eS4W-Counting-on-Care-Work-in-Australia-Final-Report.pdf

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Analyses
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AWID