Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Des économistes féministes réagissent à une note récemment publiée par le FMI intitulée « Les femmes, le travail et l’économie : les gains macroéconomiques (à attendre) d’une égalité des sexes » (Partie 1)

DOSSIER DU VENDREDI – Le Fonds monétaire international (FMI) a publié en septembre 2013 une note intitulée L'emploi des femmes et l’économie : les avantages macroéconomiques de l'égalité des sexes. Ce rapport cherche à déterminer « si les femmes peuvent participer à la vie active dans les mêmes conditions que leurs homologues masculins. Sont-elles en mesure de contribuer pleinement à la croissance et à la prospérité économique mondiale ? ».

Par Mariama Williams

Dans cette série qui comprend deux parties, nous vous présentons les réactions d’éminentes économistes féministes à ce rapport. Dans la première partie, la Docteure Mariama Williams fait une analyse critique de la note du FMI, en soulignant les aspects positifs et négatifs des diverses sections du document. Dans la seconde partie, la Professeure Stephanie Seguino, la Professeure adjointe Elissa Braunstein et le Docteur Anit N. Mukherjeese penchent sur les déficiences du rapport en ce qui concerne l’écart salarial entre les sexes, la manière dont les politiques macroéconomiques perpétuent les inégalités entre les genres, le taux de participation des femmes au marché du travail et les activités de soins non rémunérées.

La Dre. Mariama Williams[i] signale que, s’il est vrai que la note du FMI n’aborde pas d’aspects nouveaux[ii], celle-ci revêt une grande importance pour une raison très simple, à savoir qu’elle émane du FMI. Le FMI a une crédibilité et une influence sans égal auprès des ministres des finances et des banques centrales. Cela revient à dire que si le FMI affirme que l’égalité des genres est une question importante, cette dimension devient dès lors essentielle. C’est précisément ce que la note affirme, de manière relativement explicite, en mettant l’accent sur les points saillants suivants :

  • La contribution des femmes aux chiffres d’activité, de croissance et de bien-être économiques est nettement inférieure à leur potentiel ;

  • Les progrès vers l’égalité des genres semblent marquer le pas, et ;

  • L’inégalité entre les genres a de graves conséquences macroéconomiques.

Bien que la note du FMI ne s’éloigne pas explicitement de la préoccupation traditionnelle du Fonds vis-à-vis du compromis entre croissance et équité, elle signale indirectement que « les défis liés à la croissance, à la création d’emplois et à l’inclusion sont intimement liés ».

La note fait preuve d’une grande crédibilité en s’appuyant sur des recherches actuelles sur la question du genre et du marché du travail, et en faisant ressortir les liens entre gains macroéconomiques et pertes économiques dus à une inégalité persistante entre les genres. La note comprend également un bref ensemble de recommandations visant à accroître la contribution de la politique budgétaire à l’égalité des genres. Dans l’ensemble, la note transmet un message positif sur l’importance de l’égalité des genres pour la performance économique et évoque la préoccupation que suscite le ralentissement apparent des progrès en vue de l’égalité des genres. Il convient de souligner que la note aborde la question du travail non rémunéré. Elle signale que dans la plupart des économies, les femmes consacrent beaucoup plus de temps que les hommes au travail non rémunéré (à savoir prendre soin des enfants et s’occuper des tâches ménagères), une activité qui n’est pas prise en compte dans le PIB. Cependant, la note n’approfondit pas la question.

La note s’avère décevante sur deux points : en premier lieu, elle tend à instrumentaliser la question de l’égalité des genres et, en second lieu, bien qu’elle souligne l’impact potentiel de l’égalité des genres sur la politique macroéconomique, elle s’abstient d’aborder les conséquences néfastes de la politique macroéconomique sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes.

La première section de la note, intitulée ‘Macroeconomic implications of the labour market divide: does gender matter?’ (Conséquences macroéconomiques de la ségrégation sur le marché du travail : le genre est-il important ?) présente des arguments utiles aux défenseur-e-s du genre qui luttent en faveur de l’intégration des dimensions du genre et sociales aux politiques du travail et d’emploi, ainsi que le cadre macroéconomique dans lequel s’inscrivent ces politiques.

Toutefois, le fort accent mis sur la contribution de l’égalité des genres à la performance macroéconomique -bien qu’important - renforce une tendance observée chez les organisations internationales, à savoir d’aborder les inégalités entre les genres et les partis pris sexistes ainsi que la discrimination à l’égard des femmes essentiellement en termes de leur impact sur la contribution des femmes à l’activité économique et à l’amélioration de la performance macroéconomique. Il est nécessaire de souligner le fait que l’égalité des genres est intrinsèquement positive et souhaitable. Elle est basée sur les obligations des pays membres du FMI en matière de droits humains : les femmes doivent jouir - au même titre que les hommes - d’un accès égalitaire aux ressources tangibles et intangibles afin de pouvoir maximiser leurs choix et leurs options au sein de la société.

En laissant de côté l’approche de l’égalité des genres axée sur les droits, il n’est pas surprenant que la note du FMI n’aborde pas la contribution et les conséquences éventuelles de l’approche du Fonds en matière de politiques macroéconomiques sur l’égalité des genres et l’autonomisation économique des femmes potentielles. La conséquence est que les liens entre l’inégalité entre les genres et le modèle d’entreprise du Fonds et ses fonctions fondamentales (prêts, surveillance économique et financière et conseils en matière de politiques) ne sont pas examinées. Cela est surprenant compte tenu de la vaste littérature qui existe (les publications les plus récentes concernent la crise financière mondiale de 2008-2009), des analyses des crises financières asiatiques des années 90 et des critiques aux politiques d’ajustement structurel des années 80, qui dénoncent que l’approche du Fonds en ce qui concerne la gestion des taux de change et les politiques budgétaire et monétaire a des conséquences néfastes graves sur les femmes, la pauvreté, le travail et l’économie. Bien que la note consacre quelques lignes à la pauvreté, elle ne cherche aucunement à analyser les dynamiques de la pauvreté qui sous-tendent la question des femmes et du travail et l’impact des politiques budgétaire et monétaire sur ces dynamiques.

Bien qu’il soit indéniable que les programmes d’appui pour la réduction de la pauvreté et la facilitation de la croissance (PRGF) mis en œuvre dans les pays en développement ont permis de soutenir des questions sociales, il n’en demeure pas moins que les ajustements macroéconomiques fondamentaux établis dans les programmes appuyés par le FMI ont maintenu leur mode d’action habituel comme si de rien n’était, à savoir assainissement budgétaire et conditionnalités, avec des conséquences néfastes tant pour le secteur de l’emploi que pour le secteur social. Par exemple, l’une des recommandations fondamentales du Fonds en matière de politiques aux décideurs économiques des pays en développement est basée sur la réduction des services gouvernementaux et de l’emploi dans le secteur public - un domaine clé dans lequel les femmes affichent des progrès solides et durables, tant en termes de quantité que de qualité d’emploi : dans certains pays, les femmes sont plus nombreuses à occuper des postes de cadres dans le secteur public que dans le secteur privé. Toutefois, invariablement, les conseils du Fonds aux économies en difficulté en matière de politiques se basent sur la réduction de l’emploi dans le secteur public et la facilitation de la privatisation des entreprises publiques. De même, les conseils en matière de taux de change ne tiennent généralement pas compte des impacts sur les prix et sur l’emploi dans l’économie nationale, par exemple les conséquences inflationnistes de la dévaluation.

La troisième section, intitulée ‘gender-specific labour market characteristics’ (Caractéristiques sexospécifiques du marché du travail), attire l’attention sur le fait que les femmes contribuent de manière considérable au bien-être économique par le biais du travail non rémunéré, qui limite également leur disponibilité pour avoir un emploi rémunéré. Dans une section ultérieure, il est signalé qu’un meilleur accès à des services de garde d’enfants complets, abordables et de qualité permettrait aux femmes de disposer de temps pour avoir un emploi formel. La note souligne également la persistance d’écarts pervers entre les genres, ayant un impact néfaste sur la performance économique.

La quatrième section de la note, intitulée ‘Policies in support of higher female labour force participation’ (Politiques appuyant une plus forte participation des femmes au marché du travail), part du principe selon lequel « des politiques exhaustives et bien conçues peuvent être efficaces pour accroître les opportunités économiques des femmes et leur participation économique concrète ». Il y est signalé, à juste titre, que les politiques budgétaires offrent des perspectives considérables en vue d’accroître la participation des femmes au marché du travail. Toutefois, l’argument selon lequel les prestations sociales et les pensions affaiblissent le lien entre l’offre de main d’œuvre et les revenus évolue sur un terrain miné du fait que celui-ci pourrait conforter les convictions conservatrices qui affirment que l’aide sociale dissuade les gens de travailler et, en conséquence, justifier l’austérité actuelle qui promeut des coupures dans les programmes sociaux gouvernementaux. Dans de nombreuses sociétés, une hausse des dépenses sociales est en mesure de favoriser les femmes en permettant d’accroître leur disponibilité pour réaliser un travail productif, d’accroître la rentabilité de leurs entreprises, d’accroître le temps consacré aux loisirs et de les libérer du fardeau de la surcharge de travail. L’investissement en infrastructures sociales est également en mesure d’offrir aux femmes plus de temps pour étudier et trouver d’autres manières épanouissantes d’améliorer leur bien-être.

Bien qu'un grand nombre des mesures de politique budgétaire proposées dans la note puissent être pertinentes en ce qui concerne les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tels que les États-Unis (à savoir réduction du coin fiscal pour le deuxième salaire), il convient de signaler que celles-ci présentent un intérêt plus limité dans les pays en développement. D'autres propositions - telles que les avantages fiscaux au profit des travailleurs percevant un bas salaire - peuvent s'avérer utiles lorsque leur mise en œuvre est possible, notamment dans les économies émergentes. Toutefois, pour un nombre important de pays en développement à faible revenu, la stratégie requise pour promouvoir une hausse du taux d'activité, y compris la participation des femmes au marché du travail et la création d'emplois, doit porter non pas sur l'imposition mais sur la dépense. Ces pays doivent investir en éducation primaire, tertiaire et en formation technique et promouvoir l'éducation de la petite enfance et les services de garde d'enfants, améliorer les routes de desserte pour les femmes rurales, accroître l'appui gouvernemental en matière de structures de stockage et de distribution, sensibiliser au genre les services de vulgarisation, et développer l'information sur la commercialisation pour accéder aux marchés internationaux. Dans le même temps, les réglementations et les principes internationaux régissant les sociétés transnationales qui promeuvent la mise en conformité avec les systèmes fiscaux nationaux peuvent permettre aux pays en développement d'accroître leurs recettes fiscales et de les dépenser au profit des priorités sociales et de développement.

Toutefois, les principales mesures budgétaires sans appel visant à accroître le taux d'activité des femmes abordées dans la note sont liées à la mise en œuvre de prestations familiales sous la forme de dispositifs de congé parental. Les autres mesures en matière de dépense budgétaire abordées dans le rapport, telles que la réforme des allocations pour enfants à charge et d'autres prestations sociales, ne reçoivent qu'un appui limité. L'argument avancé est que la réforme des allocations pour enfants à charge pourrait inciter les gens à ne pas travailler. Par ailleurs, la note préconise également de raccrocher les prestations liées à l'exercice d'un emploi à la participation à la vie active. En conséquence, l'accent est mis essentiellement sur le marché du travail formel, alors que dans les pays en développement, de nombreuses femmes restent cantonnées dans le secteur informel et des économies de subsistance. Le fait que seules les dépenses visant à améliorer ou permettre l'accès des femmes au marché du travail (à savoir les systèmes de garde d'enfants, les réformes des pensions, les dépenses pour l'éducation des femmes et l'amélioration des infrastructures rurales) jouissent d'un appui inconditionnel fait qu'une attention réduite soit accordée aux femmes qui travaillent dans l'agriculture ou la production pour compte propre. D'une manière générale, l'ensemble des politiques abordées en vue d'accroître la demande de main d'œuvre féminine est cohérent avec les conclusions de nombreuses publications et les bonnes pratiques en ce qui concerne les économies émergentes. Toutefois, sans la mise en œuvre de certains ajustements des cadres de politique macroéconomique, les mesures abordées resteront un idéal auquel aspirer pour les pays pauvres en développement, qui seront matière à réflexion dans leurs stratégies nationales de développement.

Dans la section de conclusion du document, intitulée ‘Further IMF Work to strengthen the role of Women in the Economy’ (Approfondir le travail mené par le FMI en vue de renforcer le rôle des femmes dans l'économie), la note signale que le FMI continuera de contribuer à approfondir l'analyse des effets macroéconomiques de l'inégalité entre les genres et de l'inclusion, y compris son activité de surveillance. On n'observe cependant pas d'engagement à analyser l'impact de la politique macroéconomique sur l'inégalité entre les genres et l'inclusion. La principale compétence du FMI se situant dans ce domaine et ses interventions les plus retentissantes étant liées aux programmes de surveillance et aux crises des paiements extérieurs, il apparaît insuffisant que le FMI s'appuie sur la Banque mondiale et l'OCDE. Le FMI envisage-t-il d'intégrer les questions liées au genre dans l'élaboration de ces programmes ? En ce qui concerne la surveillance, le FMI a-t-il l'intention d'attirer l'attention sur les retombées néfastes des politiques des pays développés sur l'égalité des genres en général, et plus spécifiquement dans les pays en développement[iii] ? Un autre domaine important qu'il conviendrait d'approfondir d'après la note est celui de l'analyse du FMI en matière de politiques budgétaires. Ici, la réponse politique spécifique est centrée sur les codes des impôts, c'est à dire l'identification et la suppression des dispositions discriminatoires à l'égard des femmes. Il existe toutefois d'autres mécanismes plus généraux et plus profonds en matière de politique budgétaire auxquels le Fonds pourrait s'intéresser. Il s'agit, par exemple, de mesures budgétaires visant à assurer une dépense soucieuse de l'égalité des genres ainsi que d'interventions en faveur de l'égalité non liées au genre qui seront favorables aux communautés et aux femmes.

Dans l'ensemble, il convient de féliciter la Directrice générale du Fonds monétaire international, Mme Christine Lagarde, qui a évoqué cette note à l'occasion de divers forums et a ainsi attiré une attention considérable sur l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes, une attention bien plus importante que celle qu'une note de ce type aurait suscitée autrement.

Édité par Rochelle Jones

[i] Mariama Williams, titulaire d'un doctorat, est administratrice principale au Centre Sud de Genève, en Suisse. Elle est également directrice de l'Institut de droit et d'économie, en Jamaïque. Elle est l'auteure d'un éventail de publications consacrées au genre et à l'économie et a une vaste expérience dans les domaines des crises des dettes souveraines, de la politique commerciale internationale et du développement macroéconomique et économique. Elle est également une ancienne membre du comité directeur et coordinatrice adjointe des recherches sur l’économie politique de la mondialisation (commerce) - Alternatives de développement avec les femmes pour une nouvelle ère (DAWN, 2003-2008) et une ancienne chercheuse pour le Réseau international sur le genre et le commerce (IGTN, 2000-2008). Elle a également siégé à la Commission consultative internationale sur le progrès des femmes dans le monde - rapport bisannuel publié par le Fonds des Nations Unies pour les femmes (UNIFEM) en 2000, et ancienne membre du conseil d'administration de l'Association pour les droits de la femme et le développement (AWID, 2002-2004). Elle est actuellement membre du conseil fiduciaire de la Fondation Dag Hammarskjold, en Suède.

[ii] La note présente essentiellement des données et des analyses tirées du rapport de la Banque mondiale Rapport sur le développement dans le monde 2012 : Égalité des genres et développement, auxquelles viennent s'ajouter des analyses de l'OCDE ainsi que les observations et conclusions d'un document de travail antérieur du FMI, intitulé Gender and its Relevancy to Macroeconomics (Stotsky 2006).

[iii] Mes sincères remerciements à Manuel Montes, du Centre Sud, pour cette observation des plus pertinentes.

Category
Analyses
Region
Global
Topics
Pauvreté
Source
AWID