Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Dénouer, mettre à nu et renouer : trente ans de féminisme latino-américain

DOSSIER DU VENDREDI: L’AWID, s’est entretenue avec Ana Cristina González, membre du Comité de Coordination Stratégique, à propos des objectifs et des attentes figurant au programme de l’imminente « 12ème Rencontre Féministe des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes » (EFLAC) qui se tiendra en Colombie, à Bogota, du 23 au 26 novembre 2011. Cette rencontre marque un moment historique, puisqu’elle fête 30 ans de Rencontres, la première s’étant produite elle aussi en Colombie.

Par Gabriela De Cicco

AWID: Pourriez-vous nous parler des objectifs du Comité de Coordination pour cette édition de l’EFLAC ?

Ana Cristina González (ACG): Il s’agit d’un pari collectif, né au terme de deux années de travail en groupe. Pour nous, cette Rencontre comprend deux aspects très importants : 30 ans après le premier EFLAC, c’est, d’une part, une rencontre de bilan. On dresse le bilan des espaces, des voix qui s’y sont multipliées, des différences qui, comme beaucoup le pensent, se sont ancrées ; de l’identité, qui constitue l’empreinte de plus en plus évidente de notre mouvement féministe. Nous voulons découvrir les stratégies qui nous ont fait progresser, comme celles qui ne nous ont pas permis d’avancer. Les bilans servent à regarder de l’avant, et permettent donc à la fois de réévaluer, de réorienter et de recommencer.

D’autre part, cette Rencontre est aussi une fête : rien que de pouvoir dire que cela fait 30 ans que nous nous réunissons est une bonne raison de fêter ! En ce sens, nous souhaitons que cette Rencontre soit aussi un espace de festivités, et que les gens y sentent l’esprit de commémoration… Mais je ne voudrais pas en dire trop pour ne pas gâcher l’effet de surprise. Nous nous concentrons d’une part sur la notion de commémoration et de bilan, et d’autre part sur la mémoire. Au cours de ses trois journées, la Rencontre encouragera des discussions et des débats autour de questions importantes et de sujets catalyseurs qui permettront de consolider les discussions.

AWID: Qu’est-ce qui a changé dans l’organisation et la structure même de la Rencontre ?

ACG: Nous avons réparti notre travail entre plusieurs comités qui, de la méthodologie au financement, prennent en charge les différents sujets. Le comité de financement a accompli un travail important, puisqu’il est parvenu à faire couvrir 85% des frais totaux de la Rencontre.

Il me semble que la planification est l’un des domaines qui s’est développé le plus : le mouvement féministe est en effet devenu plus complexe dû aux nombreux entrelacements inhérent au féminisme. Aussi, nous aimerions que les jeunes femmes, les femmes indigènes et celles qui incarnent la diversité sexuelle puissent elles aussi participer afin de pouvoir englober tous les sujets.

Nous devons parler d’autonomie, des droits sexuels, d’éco-féminisme, de l’habitat, des droits de l’homme, des sujets qui font l’ « ordre du jour ». Si beaucoup de défenseures des sujets en question ont tendance à structurer le mouvement, il existe aussi les tranches plus « anarchistes » du mouvement, dépourvues de structure ou presque. Nous devons tenter d’articuler ces différents aspects. Alors que la première Rencontre affichait beaucoup de spontanéité, d’autres ont été davantage axées sur un ordre du jour particulier ; je crois que notre proposition conjugue un peu les deux.

AWID: Pourriez-vous d’ores et déjà nous dire de quelles façons les concurrentes pourront participer à l’EFLAC ?

ACG: Cette rencontre, à l’instar de toutes les rencontres, va brasser beaucoup d’activités en parallèle. Nous aurons deux espaces qui offrent la possibilité d’interagir, ainsi que des activités et des espaces permanents tels que la Prise en charge personnelle, l’étape de la Mémoire, et les activités artistiques et culturelles.

Deux grands espaces seront ouverts aux débats : les « Provocations », qui sont des débats de groupes sur des grands sujets du féminisme, au cours desquelles nous prétendons « dénouer, mettre à nu et renouer »[1]. Nous souhaitons favoriser au maximum le dialogue autour de sujets comme l’autonomie, la sexualité et les droits sexuels, l’Etat laïc, les droits humains, le post-féminisme et le transféminisme, l’habitat, les institutions politiques, ou encore la division sexuelle du travail, entre autres. Il y a environ 10 ou 15 sujets. L’idée, ce serait que les femmes s’inscrivent et travaillent sur un sujet donné pendant la Rencontre en empruntant la méthodologie que nous leur proposons. Quel en sera le retentissement ? Serons-nous capables de créer ces espaces de dialogue que nous imaginons depuis si longtemps ? Nous aurons plusieurs heures pour parler du même sujet, ce qui représente pour moi un très gros défi interne.

Le deuxième espace, les « Rencontres de la Rencontre », se présente comme des tranches de temps délimitées, et conçues pour y réaliser ses activités ponctuelles, que ce soit pour participer à un atelier, effectuer le lancement d’un livre, ou encore diffuser une vidéo. Et puis nous ferons les grandes commémorations : l’inauguration, la clôture et le 25 novembre (25N), où nous avons l’intention de descendre dans les rues.

Nous voudrions donc inviter les personnes à lire les provocations avant de se rendre à la Rencontre, et de bien penser le sujet auquel elles souhaiteraient participer. Vous savez à quel point nous, les féministes, pouvons être têtues ! Elles vont certainement arriver et improviser trois provocations qu’on n’avait certainement pas planifiées. On les entendra peut-être dire que « ce sujet est très ennuyeux, (qu’) il ne se passe rien, ici ». Ainsi, la provocation peut très bien prendre le premier jour et s’éteindre le lendemain. Tout peut arriver dans un espace comme le nôtre.

AWID: L’inclusion et l’autonomie ont été des sujets difficiles pour les EFLAC. Comment les avez-vous gérés dans l’organisation actuelle ?

ACG: Le fait d’intégrer l’Autonomie relève pour nous d’une intention de transparence politique, car le désaccord qui sépare les Autonomes des Institutionnelles a créé un point de tension. Nous n’avons pas réussi à établir le dialogue, et j’ignore si nous y parviendrons cette fois-ci. C’est pour cette raison que nous avons décidé de consacrer dorénavant deux journées à ce sujet, pour que celles que cela intéresse puissent dialoguer. C’est à ça que servent les Provocations. J’ignore ce que les Autonomes penseront de cet espace. Nous ne sommes, pour notre part, ni fermées ni réfractaires à aucun espace.

Nous avons par ailleurs l’intention d’étendre les invitations à l’inauguration comme à la clôture à d’autres femmes colombiennes qui auront la possibilité de participer à certains espaces de la Rencontre si elles n’assistent pas à la Rencontre dans son intégralité.

En revanche, nous misons politiquement très fort sur le 25 novembre pour créer un 25N qui reflète ce que nous aurons accompli en 30 ans de commémoration. La violence à l’encontre des femmes est un sujet qui concerne tout le monde. Ce n’est plus le sujet des féministes ; il est aussi bien abordé par les NU que par les gouvernements locaux, les gouvernements nationaux et les mouvements les plus rebelles, c’est un sujet déjà tout inscrit pour nous à l’ordre du jour public.

Nous essayons autant que possible d’assurer la diversité parmi les participantes y compris les femmes afro-descendantes, les femmes indigènes, les réseaux LGBTI et les jeunes filles. Et nous faisons un suivi auprès des réseaux pour nous assurer qu’ils ont toutes les informations pour s’inscrire et nous leur demandons de nous faire appel s’ils rencontrent des difficultés.

Nous imaginons que cette Rencontre se fera avec la participation de personnes transgenres et dans la diversité sexuelle. Sur la fiche, il y a bien un champ indiquant l’orientation sexuelle mais il n’est pas obligatoire, c’était juste pour nous faire une idée. Nous avons discuté avec le Ministère des Relations Etrangères, et avons spécifiquement abordé le sujet des personnes transgenres, en leur signalant que le personnel de l’Immigration devait être sensibilisé pour éviter toute maltraitance à leur arrivée dans notre pays.

AWID: Quels sont les défis que vous avez rencontrés au cours du processus d’organisation ? Dans quelle mesure les plus grands mouvements féministes et de femmes de la région reflètent-ils ces défis ?

ACG: Nous avons hérité des tensions issues des Rencontres précédentes. La plus évidente est la divergence entre féministes autonomes et féministes institutionnelles ; les Rencontres lesbiennes ont elles aussi affronté des divisions. Comme vous le saviez peut-être déjà, peu avant l’EFLAC se tiendra une Rencontre de Pratiques et d’Actions Féministes organisée par des femmes qui ne se décrivent pas comme étant autonomes, et qui pensent d’une manière générale que l’organisation des Rencontres féministes ne correspond pas à l’idée qu’elles se font du féminisme. Elles ont donc créé un espace plus écologique, plus alternatif, qui a sa propre logique, et affirment qu’elles ne le font pas dans un esprit d’opposition. Mais d’une certaine manière, elles se définissent hors de cet espace malgré tout.

Je crois que l’ordre du jour actuel est déjà assez compliqué comme ça, c’est un ordre du jour qui intègre à la fois l’agenda social, culturel et économique, bien entendu. Si nous voulons mettre en œuvre tous les changements, il faut que nous adoptions une approche sociale. A mon avis, il faudrait aussi que nous abordions et cherchions des nouvelles stratégies pour intégrer des sujets comme l’avortement. C’est l’un des sujets à l’ordre du jour, et il le restera tant que nous vivrons dans une société patriarcale. On trouve dans notre région des pays patriarcaux à l’extrême qui applique la défense absolue, où l’avortement est un crime rendu passible de peine, et puis on trouve des pays plus permissifs. Dans la pratique, toutefois, le chemin est encore truffé d’obstacles qui empêchent les femmes de décider de leur propre corps.

Pour moi, ces 30 ans marquent un cycle. Mais quel cycle ? Et qu’adviendra-t-il après ? Nous devrions tenter, ensemble, de répondre à ces questions.

[1] Ici, comme à d’autres occasions, Ana Cristina González fait un jeu de mots en référence à l’intitulé du 12ème EFLAC, Dénouer, mettre à nu et renouer: 30 ans de Féminisme en Amérique Latine et aux Caraïbes”.

Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’espagnol par Camille Dufour

Category
Analyses
Region
Global
Source
AWID