Informez-vous

Votre source d’information par excellence sur les dernières tendances touchant la justice de genre et les droits des femmes dans le monde

Après de décennies de luttes, les droits des travailleurs domestiques font l’objet d’une protection internationale

DOSSIER DU VENDREDI : Le 16 juin 2011, la centième Conférence annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT) a adopté la Convention concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques dans laquelle elle demande aux gouvernements de protéger les droits humains et du travail des travailleuses et travailleurs domestiques et définit des normes minimales assurant des conditions de travail décentes.

Par Kathambi Kinoti

S’agissant d’un secteur généralement non réglementé, il est difficile d’obtenir des données précises quant au nombre de travailleurs domestiques à l'échelon mondial. Les estimations de l’Organisation internationale du travail (OIT) situent le nombre de travailleurs domestiques à 52,6 millions, dont 43,6 millions, soit 83%, sont des femmes. Selon ces mêmes estimations, les travailleuses domestiques représentent 7,5% de tout l’emploi féminin salarié dans le monde entier.

Les travailleurs domestiques font une contribution majeure à l’économie mondiale : ils/elles font le ménage, cuisinent, prennent soin des enfants, des personnes âgées et handicapées, et permettent notamment aux femmes d'entrer sur le marché formel de l'emploi. Ils/elles contribuent également, et de manière significative, aux envois de fonds des pays riches vers les pays et les communautés pauvres. Malgré leur rôle fondamental au sein des ménages et leur contribution aux économies nationales et à l’économie mondiale, ces travailleuses et travailleurs connaissent souvent l’exploitation, la discrimination, de mauvaises conditions de travail et d’autres violations de leurs droits.

L’AWID s’est entretenue avec Ellene Sana du Center for Migrant Advocacy (CMA) basé aux Philippines à propos de la situation des travailleuses domestiques et des implications de cette convention pour elles et la défense de leurs droits.

 

AWID : Il a fallu lutter pendant 63 longues années pour que les droits du travail des travailleurs domestiques soient reconnus à l’échelon international. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps?

Ellene Sana (ES): Le travail domestique, généralement considéré comme un travail féminin, est sous-évalué, non réglementé et non reconnu comme profession. Il est perçu comme un débouché « naturel » pour les femmes et est qualifié, aux Philippines, comme travail reproductif par opposition au travail « productif » ou salarié.

À l’échelon international, bien que soumis à l’OIT il y a 63 ans, certains secteurs, en particulier des gouvernements et aussi des employeurs, ont fait preuve d’une certaine réticence pour faire aboutir l’examen de ce problème à sa conclusion logique, c’est-à-dire une convention de l’OIT pour le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques. Et sans un consensus entre les trois partenaires de l’OIT, à savoir les gouvernements, les travailleurs et les employeurs, la question n’a pu être abordée de façon adéquate.

À une échelle plus locale, dans le cas des Philippines, nous avons une dette en termes de législation nationale sur les travailleurs domestiques qui s’éternise au congrès depuis plus de 10 ans. Pourquoi ? Parce que les législateurs n’en voient pas l’urgence, puisqu’aux Philippines, les travailleurs domestiques sont considérés comme « faisant partie de la famille » et parce qu’un nombre important de travailleurs domestiques a des liens familiaux avec les ménages qui les emploient. Lorsqu’une travailleuse domestique est considérée « comme faisant partie de la famille », l’employeur trouve logique de ne pas la payer de façon adéquate ou opportune, de lui demander de travailler pendant de longues heures et de ne pas lui fournir un espace privé dans la maison.

AWID : Pouvez-vous nous parler des conditions le travail qui sont souvent celles des travailleurs domestiques? Quels sont quelques-uns des abus auxquels sont quotidiennement confrontées les travailleuses domestiques migrantes en particulier?

ES: Les conditions de travail sont généralement bien inférieures au niveau minimum fixé pour les travailleurs. À Hong Kong, le salaire minimum légal ne couvre pas les travailleurs domestiques migrants auxquels est appliqué le « salaire minimum autorisé » qui est inférieur au salaire minimum légal. Au Moyen-Orient, les travailleuses domestiques migrantes provenant des Philippines gagnent en moyenne 250 dollars américains par mois. Elles ne reçoivent pas toujours leur salaire dans les délais prévus, ou encore sont sous-payées, voire pas payées du tout pendant plusieurs mois. Elles n’ont pas droit non plus au paiement des heures supplémentaires, même si leur journée de travail est souvent très longue, pratiquement le double de celle d’autres travailleurs, entre 80 et 90 heures par semaine ou 16 à 20 heures par jour. Elles n’ont pas toujours droit à un jour de congé. On attend des travailleuses domestiques qu’elles soient toujours disponibles, par exemple pour prendre soin des enfants pendant la nuit, sans que ces heures supplémentaires soient considérées comme des heures de travail pour lesquelles elles devraient recevoir une rémunération ou des congés en échange.

Les agences privées de placement demandent aux travailleurs domestiques des honoraires exorbitants, même si, officiellement, la politique est qu’aucun honoraire ne peut être exigé pour cette démarche. Les travailleurs domestiques doivent payer les recruteurs à la fois dans le pays d’origine et dans celui de destination. À l’exception de quelques rares pays, comme Hong Kong, les travailleurs domestiques n’ont pas le droit d’adhérer à ou de former des syndicats et, même lorsqu’ils parviennent à en créer, il n'existe aucune mesure légale et sociale leur permettant de matérialiser ce droit.

Les travailleuses domestiques qui vivent dans les familles qui les emploient n’ont souvent que très peu, voire aucune intimité. Elles sont pratiquement enfermées dans les maisons de leur employeur sans accès au monde extérieur. À leur arrivée dans les pays de destination, il arrive souvent que les agences fouillent les possessions des travailleurs domestiques et confisquent à leur guise les téléphones portables ainsi que les contacts téléphoniques. Les employeurs prennent leur documentation personnelle, y compris les passeports, pour limiter ainsi leur mobilité. Elles sont surchargées et doivent s’acquitter de tâches multiples telles que le nettoyage, les soins, les fonctions de tuteurs, etc. À la fin de leur contrat, elles n’ont aucune certitude que les employeurs les libèrent immédiatement. Elles sont parfois retenues pour une période indéfinie ou jusqu’au moment où arrive le remplacement, ce qui peut tarder. Au Moyen-Orient, le système du kafala[1] ou parrainage aggrave encore leur situation et lie les travailleuses domestiques à leur employeur. Si une travailleuse domestique tente d’échapper à un employeur abusif, elle ne peut être rapatriée à moins que ce même employeur abusif ne donne son accord à la délivrance d’un visa de sortie.

AWID : Pourquoi la Convention 189 de l'OIT est-elle si importante? Quels sont, à votre avis, les principaux aspects positifs de la Convention?

ES: L'OIT est l'organisme international chargé d'établir des normes en matière de travail ; sa composition est tripartite, à la différence de l'Organisation des Nations Unies qui n'est composée que d'états membres.

L’adoption de la convention 189 de l’OIT reconnaît officiellement les travailleurs domestiques en tant que travailleurs dotés de tous les droits consacrés dans les différentes conventions de l’OIT. Elle stipule les normes minimums de protection des travailleurs domestiques, locaux et migrants, telles qu’elles ont été adoptées par les partenaires de l’OIT, à savoir les gouvernements, les employeurs et les groupes de travailleurs.

Je pense que le principal élément de cette convention est l’affirmation du fait que les travailleurs domestiques doivent recevoir un traitement non moins favorable que celui accordé aux autres travailleurs en général. Cela implique que ces travailleurs ont le droit à un traitement équitable et non discriminatoire en termes de conditions de travail accordées aux travailleurs en général. Cette convention leur garantit également le droit à des salaires décents et des journées de travail, à la protection sociale et à la sécurité sociale, aux jours de congé, ainsi que le droit de créer et d’adhérer à des syndicats.

AWID : La Convention est contraignante, mais les recommandations qui l’accompagnent et qui fournissent aux gouvernements des principes directeurs quant à son interprétation ne le sont pas. Qu’en pensez-vous et quelle est la conséquence d'une interprétation flexible de la Convention?

ES: Je pense que la Convention est suffisamment solide et la flexibilité des recommandations n’est pas vraiment un problème. Ni la Convention ni les recommandations ne peuvent être interprétées de façon isolée ; toutes deux forment un seul bloc.

AWID : Étant donné que la majorité des travailleurs domestiques est composée de femmes, comment pensez-vous que la convention va contribuer à la condition des femmes? Quel impact à court et à long terme pensez-vous pouvoir observer en termes de droits des femmes?

ES: la convention est une reconnaissance, attendue depuis longtemps, du fait que le travail féminin est effectivement un travail. Elle reconnaît que le travail « reproductif » est un travail et que le travail réalisé à la maison est tout aussi important que celui réalisé à l’extérieur. Le travail domestique n’est pas un débouché professionnel « naturel » pour les femmes.

La Convention complète la Recommandation générale 26 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes sur la protection des travailleuses migrantes. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) a été ratifiée par la plupart des états membres de l’ONU, y compris les principaux pays de destination comme, par exemple, ceux du Moyen-Orient.

AWID : Quelle a été la participation de votre organisation dans le lobby et le plaidoyer en faveur de l’adoption de la Convention? Comment les organisations de défense des droits des femmes ont-elles collaboré pour faire pression en faveur de l’adoption de la Convention?

ES: Lorsqu’en 2008, l’OIT s’est finalement décidée à se préparer pour l’éventuelle adoption d’une convention, nous avons adhéré à un réseau destiné à faire campagne pour la reconnaissance du travail domestique comme profession. Le CMA a servi de groupe ressource dans la discussion sur la féminisation de la migration au sein d’un groupe de travail technique composé de syndicats et de défenseur-e-s des travailleurs domestiques locaux et migrants des Philippines, côte à côte avec le gouvernement. Nous avons eu recours à la CEDAW, à la Recommandation générale 26 et à d’autres instruments internationaux sur les droits humains pour faire campagne en faveur de l’adoption de la Convention. Cette campagne a servi de plate-forme de rencontre entre les défenseur-e-s des droits des femmes et des migrants, les syndicats et les défenseur-e-s des droits des travailleurs domestiques locaux qui travaillent tous sur des problèmes interdépendants.

AWID : Après l’adoption de la Convention, beaucoup reste à faire pour veiller à sa diffusion et à sa mise en œuvre. Quels sont certains des défis et quelles sont les stratégies que les organisations de défense des droits des travailleurs domestiques pensent employer pour garantir que les dispositions de la Convention se concrétisent dans la vie quotidienne de tous les travailleurs domestiques?

ES: Nous devons diffuser l’information relative à la Convention et aux recommandations qui l’accompagnent. Notre réseau de plaidoyer doit se regrouper et s’engager dans une campagne commune en faveur de la ratification. Nous devons faire nos devoirs pour garantir que la législation nationale soit en harmonie avec la Convention, par exemple : quels sont les pays qui n’ont pas encore adopté de législation sur les droits des travailleurs domestiques ? Nous devons détecter les obstacles qui freinent l’adoption d’une législation nationale et élaborer des stratégies pour en venir à bout.

[1] Ce système est une modalité légale de parrainage visant au départ à protéger les mineurs, mais qui aujourd’hui s’applique souvent aux travailleurs domestiques migrants.

------------

Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Global
Topics
Fille
Source
AWID