
Saskia Poldervaart

La construction d’économies féministes a pour objet de créer un monde où l’air est respirable et l’eau buvable, où le travail est significatif et où nous bénéficions de soins pour nos communautés et nous-mêmes, où chacun-e peut jouir de son autonomie économique, sexuelle et politique.
Dans ce monde où nous vivons aujourd’hui, l’économie continue de s’appuyer sur le travail de soins non rémunéré et sous-évalué des femmes au service des autres. La poursuite de la “croissance” ne fait que développer l’extractivisme--un modèle de développement fondé sur l’extraction et l’exploitation massives des ressources naturelles, qui continue de détruire les populations et la planète tandis qu’elle concentre les richesses entre les mains des élites mondiales. Parallèlement, l’accès aux soins de santé, l’éducation, les salaires décents et la sécurité sociale sont réservés à une poignée de privilégiés. Ce modèle économique repose sur la suprématie blanche, le colonialisme et le patriarcat.
En adoptant la seule « approche pour l’autonomisation économiques des femmes», on ne fait guère qu’intégrer davantage les femmes dans ce système. Cela peut constituer un moyen temporaire de survie. Nous devons semer les graines d’un nouveau monde possible pendant que nous abattons les murs du monde existant.
Nous croyons en la capacité des mouvements féministes à créer de vastes alliances entre mouvements qui leur permettent d’oeuvrer pour le changement. En multipliant les propositions et visions féministes, nous cherchons à construire les nouveaux paradigmes d’économies plus justes.
Notre approche doit être interconnectée et intersectionnelle, car nous ne pourrons jouir d’aucune autonomie sexuelle et corporelle tant que chacun·e d’entre nous ne jouira pas de ses droits économique ni d’une autonomie financière. Nous voulons travailler avec celles et ceux qui s’opposent à la montée mondiale de la droite conservatrice et des fondamentalismes religieux et la contrent, car tant que nous n’aurons pas ébranlé les fondements même du système actuel, aucune économie ne saura être juste.
Promouvoir des programmes féministes : Nous nous opposons au pouvoir des entreprises et à l’impunité concernant les violations des droits humains en travaillant avec des allié-e-s afin de nous assurer que les perspectives féministes, relatives aux droit des femmes et à la justice de genre sont intégrées dans les espaces politiques. A titre d’exemple, vous pouvez vous informer sur le futur instrument juridiquement contraignant concernant “les sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits humains” au Conseil des droits humains des Nations Unies.
Mobiliser des actions solidaires : Nous oeuvrons à renforcer les liens qui existent entre les mouvements féministes et les mouvements en faveur de la justice fiscale, y compris à réclamer les ressources publiques perdues à cause de flux financiers illicites afin de garantir une justice de genre et sociale.
Enrichir nos connaissances : Nous fournissons aux Défenseuses des droits humains (WHRD) des informations stratégiques qui s’avèrent vitales dans la lutte contre le pouvoir des entreprises et l’extractivisme. Nous contribuerons à développer une base de connaissances autour du financement local et mondial et les mécanismes d’investissements qui alimentent l’extractivisme.
Créer et élargir les alternatives : Nous participons et mobilisons nos membres et nos mouvements à envisager des économies féministes et à partager nos savoirs, nos pratiques et nos programmes féministes en faveur d’une justice économique.
« La révolution corporative s’effondrera si nous refusons d’acheter ce qu’ils nous vendent: leurs idées, leurs versions de l’histoire, leurs guerres, leurs armes, leur notion d’inéluctabilité. Un autre monde est non seulement possible, mais il est aussi déjà en bonne voie. Quand tout est tranquille, je peux l’entendre respirer. » Arundhati Roy, War Talk.
Une étudiante, une scénariste, une leader, une avocate. Les quatre femmes auxquelles nous rendons hommage ci-dessous avait toutes leur propre façon de vivre leur activisme, mais elles avaient en commun la promotion et la défense des droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans*, queer et intersexes. Nous vous invitons à vous joindre à nous pour commémorer ces défenseuses, leur travail et l'héritage qu’elles nous ont laissé. Faites circuler ces mèmes auprès de vos collègues et amis ainsi que dans vos réseaux et twittez en utilisant les hashtags #WHRDTribute et #16Jours.
S'il vous plaît cliquez sur chaque image ci-dessous pour voir une version plus grande et pour télécharger comme un fichier
En 2016, nous nous sommes réuni-e-s pour le 13e forum international de l’AWID, à Bahia au Brésil, qui a accueilli 1 800 participant-e-s venu-e-s de 120 pays et territoires à travers le monde. Le Forum a servi d’espace essentiel pour la mise en place de stratégies et la constitution d’alliances au sein des mouvements féministes et d’autres mouvement de justice.
Nous savons que les droits des femmes et les mouvements féministes sont des éléments moteurs pour l’instauration d’un changement transformateur durable. Au sein de nos mouvements, l’organisation, la résistance et la réponse au difficile contexte se précisent, et dans ce monde de plus en plus connecté, le potentiel des actions collectives de mouvements divers s’est fortement accru. C’est précisément là le travail essentiel que l’AWID cherche à amplifier et à soutenir.
Nous cherchons à informer et outiller les organisations et mouvements de droits des femmes afin de les aider à être en mesure de répondre aux opportunités qui se présentent et de contrecarrer les menaces. Nous appuyons une visibilité accrue et une meilleure compréhension des initiatives pour les droits des femmes et les menaces auxquelles elles font face, et nous oeuvrons également à influer sur les acteur-trice-s et les institutions qui façonnent le devenir des droits de la personne et du développement.
Le 13e forum international innovant de l’AWID s’est tenu du 8 au 11 septembre 2016 à Bahia, au Brésil, sur le thème : « Horizons féministes ; Construire un
pouvoir collectif pour les droits et la justice ».
Bien qu’une grande partie de l’énergie de l’AWID ait été investie en 2016 dans la tenue du Forum, la réflexion et l’énergie de près de 500 partenaires, intervenant-e-s, animateur-trice-s, artivistes, facilitateur-trice-s, écrivain-e-s, innovateur-trice-s en TI, performeur-euse-s, dont beaucoup sont des meneur-euse-s dans leur domaine, ont été mises à profit. Et en reconnaissance du passé et du combat de Bahia, nous avons accueilli deux jours de Forum des Féminismes Noirs , à l’initiative d’un groupe de travail de féministes Noires du monde entier.
À propos du défi au pouvoir corporatif : Nous avons publié Contester le pouvoir corporatif : Les luttes pour les droits des femmes, la justice économique et la justice de genre avec le Solidarity Center, qui dévoile la portée et l’ampleur du pouvoir corporatif et souligne comment la collusion qu’entretiennent les entreprises nationales et transnationales avec les élites et autres puissant- e-s acteur-trice-s influence les vies des femmes et des peuples opprimés. Ce rapport présente des clés de stratégies de résistances, en soulignant cinq combats qui se sont saisis de la collaboration entre mouvements pour contester le pouvoir corporatif.
Sur les économies féministes : Nous avons publié Propositions féministes pour une économie juste avec le Centre pour le leadership mondial des femmes (CWGL en anglais) et le Réseau de Développement et de Communication des Femmes Africaines FEMNET.
Sur l’opposition aux fondamentalismes : Le Diable est dans les détails : à la croisée du développement, des droits des femmes et des fondamentalismes religieux détaille la façon dont les fondamentalismes religieux entravent le développement et les droits des femmes en particulier, et offre des recommandations aux acteur-trice-s du développement pour le renforcement des droits des femmes.
Sur le thème de l’activisme des jeunes féministes : Avec FRIDA, nous avons lancé Courageuses, créatives, résilientes : les organisations de jeunes féministes dans le monde : un état de lieux à l’occasion du Pôle d’activisme des jeunes féministes lors du Forum de l’AWID. Ce projet de cartographie des jeunes féministes s’appuie sur les données collectées dans 1 360 demandes de subventions reçues par FRIDA entre 2012 et 2014, qui incluaient 694 interlocutrices issues de 118 pays différents !
l’AWID, en partenariat avec d’autres organisations féministes et de droits des femmes, a lancé des actions de plaidoyer et de dialogue afin de rechercher de meilleures solutions pour les programmes de droits des femmes, dont le travail avec le consortium .Count Me In!
Les expériences des femmes en situation de handicap, les femmes Noires et Afro-descendantes, les travailleuses du sexe, les femmes Autochtones, les personnes trans et intersexes, les travailleuses domestiques, et la manière dont leurs vies sont impactées par les nombreuses oppressions et la violence ont été placées au centre et au premier plan du processus du Forum.
Au cours des 16 jours d’activisme, et grâce aux contributions de nos incroyables membres, nous avons lancé l’Hommage aux défenseur-e-s des droits humains des femmes 2016 pour honorer la mémoire des défenseur-e-s qui nous ont quitté- e-s.
Notre partenariat avec The Guardian et Cash Mama : la section sur les droits des femmes et l’égalité de genre (en anglais) sur le portail du développement dans le monde du Guardian a permis d’attirer davantage d’attention sur les groupes et les problématiques qui ne font généralement pas l’objet d’une couverture médiatique adéquate.
La recherche documentaire peut se dérouler tout au long de votre initiative. Elle peut vous aider à encadrer vos travaux, à choisir des questions de sondage et à comprendre vos résultats.
Dans cette section
- Préciser le contexte
- S’appuyer sur les connaissances existantes
- Sources éventuelles d’information pour la recherche documentaire
1. Sites Web et rapports annuels des donateurs
2. Sources d’information en ligne
La réalisation de recherches documentaires tout au long de votre initiative peut vous aider à encadrer vos travaux, à choisir les questions de sondage et à vous fournir une clarté contextuelle, tout en rehaussant votre compréhension des résultats de votre sondage. Vous pourriez notamment comparer les similarités et les différences entre les résultats de votre sondage et l’information diffusée par la société civile et les donateurs.
Il se peut que vous déceliez des tendances dans les résultats de votre sondage et que vous souhaitiez mieux les comprendre.
Par exemple, vos données de sondage pourraient révéler que les budgets des organisations diminuent, mais cela ne vous dit pas pour quelle raison cette situation se produit. L’analyse des publications vous donne un contexte et vous révèle certaines des raisons pour lesquelles ces tendances surviennent.
La recherche documentaire garantit également que vous appuyez votre recherche sur les connaissances existantes touchant à votre sujet d’intérêt, confirmant ainsi la validité et la pertinence de vos résultats.
Vos résultats pourraient être complémentaires ou contradictoires par rapport aux connaissances actuelles, mais ils doivent faire référence aux données existantes sur le sujet.
Pour que votre recherche soit complète et englobe tout le panorama du financement qui entoure votre sujet, examinez une gamme de secteurs de financement.
Vous pouvez notamment considérer :
- Les fonds pour les femmes
- Les fondations privées et publiques
- Les organisations non gouvernementales internationales (ONGI)
- Les agences bilatérales et multilatérales
- Les acteurs et actrices du secteur privé
- Les philanthropes
- Les groupes de financement participatif
Inclure tout secteur pertinent dans le cadre de référence de votre recherche.
Par exemple, vous pourriez décider qu’il est important d’effectuer des recherches sur les organisations non gouvernementales (ONG) locales.
Voici des sources directes d’information sur les actions des bailleurs de fonds qui contiennent habituellement des renseignements sur les politiques et les budgets. Si vous réalisez vos recherches avant d’interviewer les donateurs, vos questions seront mieux ciblées et vos interviews plus solides.
• 1-2 mois
• 1 personne (ou plus) chargée de la recherche
7. Synthétisez les résultats de votre recherche
Marianne Mesfin Asfaw est une féministe panafricaine qui se consacre à la justice sociale et à la construction communautaire. Elle est titulaire d'une licence en études de genre et en relations internationales de l'Université de la Colombie-Britannique (UBC) et d'un master en études de genre et de droit de l'Université SOAS de Londres. Auparavant, elle travaillait dans l'administration universitaire et le soutien aux étudiant·e·s internationaux·ales, de même qu’à titre de chercheuse et d’animatrice dans des espaces féministes à but non lucratif. Elle a également travaillé et été bénévole auprès d'organisations non gouvernementales, notamment Plan International, dans des rôles administratifs. Avant d'occuper son poste actuel, elle a travaillé dans le soutien logistique et administratif à l'AWID. Elle est originaire d'Éthiopie, a grandi au Rwanda et est actuellement basée à Tkaronto/Toronto, au Canada. Elle aime lire, voyager et passer du temps avec sa famille et ses ami·e·s. Pendant les mois les plus chauds, on peut la trouver en train de se promener dans des quartiers familiers à la recherche de cafés et de librairies obscurs dans lesquels flâner.
Les ultraconservateurs ont développé un certain nombre d’arguments relatifs aux droits humains sur le plan international, lesquels instrumentalisent la religion, la culture, la tradition et la souveraineté nationale dans le but de porter atteinte aux droits liés au genre et à la sexualité. Les acteurs anti-droits s’éloignent de plus en plus d’un langage explicitement religieux.
Nous constatons de plus en plus fréquemment que des acteurs rétrogrades – qui dénigraient auparavant le concept des droits humains – tentent désormais de le récupérer et de le manipuler pour atteindre leurs objectifs.
Ce discours émergent qui prospère actuellement semble inoffensif, mais il fonctionne comme un cadre général abritant de multiples positions patriarcales et anti-droits.
Le thème de la « protection de la famille » est donc un exemple particulièrement parlant de l’évolution de la stratégie de certains acteurs rétrogrades que utilisent désormais un plaidoyer holistique et intégré.
L’argumentaire sur la « protection de la famille » est utilisé pour déplacer le sujet de droits humains de l’individu vers des institutions déjà puissantes.
Il prône également une conception unitaire, hiérarchique et patriarcale de la famille qui suppose une discrimination à l’égard des formes familiales situées en dehors de ces limites rigides. Il tente également d’atténuer l’importance actuellement accordée à la reconnaissance et à la protection des droits des membres vulnérables de la famille pour privilégier la non-discrimination, l’autonomie et l’absence de violence dans le contexte des rapports familiaux.
Le Saint-Siège et un certain nombre de groupes chrétiens de défense des droits cherchent à s’approprier la notion de droit à la vie pour servir leur lutte contre l’avortement. En introduisant la doctrine religieuse conservatrice dans le langage des droits humains, ils soutiennent l’idée qui veut que le droit à la vie, tel qu’énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s’applique dès le moment de la conception.
Aucun des instruments universels relatifs aux droits humains ne vient étayer ce discours. Pourtant, c’est une stratégie attrayante pour les acteurs anti-droits dans la mesure où le droit à la vie ne peut être violé en aucune circonstance et qu’il constitue une norme juridiquement contraignante.
Les acteurs anti-droits utilisent un certain nombre d’arguments dans leur campagne pour porter atteinte aux droits sexuels. Ils soutiennent que les droits sexuels n’existent pas ou qu’il s’agit de « droits nouveaux » nuisibles aux enfants et à la société et/ou que ces droits sont en opposition avec la culture, la tradition ou le droit national.
Dans le cadre onusien, les conservateurs plaident contre le droit à une éducation sexuelle complète (ESC) en attaquant ce concept à plusieurs niveaux. Ils prétendent que l’ESC viole les « droits parentaux », qu’elle nuit aux enfants et qu’il s’agit d’un endoctrinement idéologique plutôt que d’une forme d’éducation. Ils affirment également que cette éducation sexuelle complète est imposée aux enfants, aux parents et aux Nations Unies par de puissants lobbyistes qui cherchent à tirer profit des services qu’ils fournissent aux enfants et aux jeunes.
Les tentatives visant à invalider les droits relatifs à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre prolifèrent. Les ultraconservateurs font valoir le fait que l’application des principes et du droit relatifs aux droits humains – qui existent pourtant depuis longtemps – consiste en fait à créer de « nouveaux droits ». Ils prétendent enfin que le contenu des droits devrait varier radicalement parce que ceux-ci devraient être interprétés à l’aune de la « culture » ou des « particularismes nationaux ».
Les organisations de la droite chrétienne se mobilisent depuis longtemps contre les droits reproductifs, aux côtés du Saint-Siège et d’autres alliés anti-droits. Elles affirment souvent que les droits reproductifs sont en fait une forme de contrôle de la population imposée par l’Occident aux pays du Sud global. Paradoxalement, ce discours émane le plus souvent d’acteurs issus des États-Unis et de l’Europe occidentale, dont beaucoup travaillent activement pour exporter leur rhétorique et leurs politiques fondamentalistes.
Ces acteurs rétrogrades reprennent également des arguments « scientifiques » élaborés par des groupes de réflexion ultraconservateurs et citent des sources usant de méthodologies de recherche peu fiables pour montrer que l’avortement a de nombreux effets secondaires psychologiques, sexuels, physiques et relationnels.
Les acteurs anti-droits visent à promouvoir le concept de « protection de la famille », mais ils tentent également de créer une nouvelle catégorie de « droits parentaux » à laquelle les normes existantes relatives aux droits humains ne donnent aucun fondement.
Paradoxalement, ce discours tente de dévoyer les systèmes de protection des droits dont les enfants jouissent par principe, tels qu’énoncés dans la Convention relative aux droits de l’enfant, pour renforcer les droits des parents à exercer un contrôle sur leurs enfants et à limiter leurs droits.
Les acteurs anti-droits tentent de plus en plus fréquemment de s’approprier et de subvertir les références et les arguments défendus par les défenseuses des droits humains, et notamment la notion de violence contre les femmes (VCF).
Dans le cadre de la Commission sur la condition de la femme ainsi que dans d’autres espaces, ces acteurs utilisent notamment la technique rhétorique suivante : ils abordent la violence contre les femmes comme un cadre dans lequel il est possible d’intégrer des arguments hostiles aux droits reproductifs et de nature patriarcale.
Les ultraconservateurs, par exemple, défendent l’idée qui veut que les relations intimes entre partenaires qui ne sont ni hétéronormatives ni traditionnelles constituent un facteur de risque de violence. Ils soulignent que les pères sont nécessaires à la protection des familles contre la violence.
Le Saint-Siège se livre à une critique incessante du genre, de l’« idéologie du genre », des « radicaux du genre » et de la théorie du genre. Les acteurs anti-droits interprètent souvent le terme « genre » comme un code caché pour parler des droits des personnes LGBT*Q. La droite religieuse utilise le concept de genre comme un outil transversal qui relie beaucoup de ses thèmes de prédilection. De plus en plus souvent, les opposant-e-s acharné-e-s à ces notions de genre se braque sur les questions relatives à l’identité de genre et aux droits des personnes trans*.
À l’heure actuelle, un certain nombre d’ultraconservateur utilisent la rhétorique de la complémentarité des sexes. Leur argumentaire est structuré autour de l’hypothèse de la différence entre les sexes : les hommes et les femmes sont censés jouer des rôles différents mais complémentaires dans le mariage et la vie familiale, mais aussi dans leur engagement dans la vie communautaire, politique et économique.
La référence aux rôles « naturels » vise à rejeter fondamentalement le caractère universel des droits humains en matière d’égalité et de non-discrimination.
Cet argument est également utilisé pour justifier les violations de ces droits par les États et les acteurs non étatiques. Il contribue en outre au non-respect de l’obligation faite aux États de lutter contre les préjugés et les pratiques fondés sur des rôles stéréotypés attribués aux hommes et aux femmes.
Ce discours suggère que les gouvernements nationaux sont injustement ciblés par les organes des Nations Unies ou par d’autres États agissant par l’intermédiaire de l’ONU. Il s’agit d’une tentative de déplacer le sujet des droits humains de l’individu ou de la communauté marginalisée qui subit une violation de ses droits vers une institution puissante et/ou rétrograde, à savoir l’État, dans le but de justifier des exceptions nationales aux droits universels, voire de soutenir l’impunité des États.
Les acteurs anti-droits ont récupéré la rhétorique de la liberté de culte pour justifier les violations des droits humains. Mais les ultraconservateurs se réfèrent à la liberté de culte d’une manière qui contredit frontalement l’objectif de ce droit humain et est en opposition fondamentale avec le principe de l’universalité des droits.
Le raisonnement avancé est que la liberté de culte est menacée et compromise par la protection des droits humains, en particulier de ceux liés au genre et à la sexualité.
Selon l’argument central des conservateurs, le droit à la liberté de culte est destiné à protéger une religion plutôt que la liberté des personnes d’avoir ou de ne pas avoir de croyances religieuses.
Pourtant, en vertu du droit international relatif aux droits humains, le droit protège les croyants plutôt que les croyances, et le droit à la liberté de religion, de pensée et de conscience comprend le droit de ne pratiquer aucune religion ou de ne pas adhérer à une croyance, mais aussi celui de changer de religion ou de conviction.
Les acteurs anti-droits utilisent communément des tactiques fondées sur les références à la culture et aux traditions pour saper les droits humains, dont le droit à l’égalité. Présentée comme monolithique, statique et immuable, la culture apparaît souvent comme une réalité en totale contradiction avec les « normes occidentales ».
Dans les débats politiques internationaux, les acteurs anti-droits font allusion à la culture pour saper l’universalité des droits : ils préconisent un relativisme culturel qui éclipse ou limite les revendications en matière de droits. Ces acteurs font également un usage rétrograde de la notion de droits culturels, qui repose sur une représentation volontairement faussée du concept de droit humain. Les États doivent veiller à ce que les pratiques traditionnelles ou culturelles ne soient pas détournées pour justifier certaines violations du droit à l’égalité.
Le droit relatif aux droits humains prévoit en effet l’égalité d’accès, de participation et de contribution à tous les aspects de la vie culturelle pour tous et toutes, y compris les femmes, les minorités raciales et religieuses ainsi que les personnes dont le genre et la sexualité sont non conformes.
Les acteurs anti-droits engagés dans les espaces politiques internationaux manipulent de plus en plus fréquemment les références à l’universalité des droits humains fondamentaux pour inverser le sens de l’universalité des droits.
Plutôt que d’utiliser le terme universel pour décrire l’ensemble des droits humains indivisibles et interdépendants, les ultraconservateurs délimitent et décrivent un sous-ensemble de droits humains « véritablement fondamentaux ».
Les autres droits considérés comme des « droits nouveaux » et facultatifs, seraient donc laissés à la discrétion des États. Cette rhétorique est particulièrement efficace dans la mesure où le contenu de la catégorie des droits véritablement universels reste implicite, ouvrant ainsi la porte à des variations dans l’interprétation.
Télécharger le chapitre complet (en anglais)
Nous aspirons à faire du Forum de l’AWID un réel rassemblement mondial, où participeront une gamme diverse de mouvements, de régions et de générations. Dans ce but, l’AWID mobilise des ressources pour un Fonds d’accès limité, qui soutiendra les coûts liés à la participation de certaines personnes au Forum.
Le 14ème Forum international de l’AWID se tiendra du 11 au 14 janvier 2020 à Taipei, à Taïwan.
Pour ce Forum de l’AWID, il n’y aura pas de processus de candidature.
En supplément, l’AWID financera la participation d’environ 100 personnes de la région d’accueil du Forum. Les membres des comités du Forum (Contenu et méthodologie, Accès et Accueil) ainsi que les membres du Groupe de travail des artistes recevront aussi un soutien du Fonds d'accès.
Nous avons listé d’autres options pour financer votre participation au Forum de l’AWID sur cette page qui contient des idées de financement.
Ekaete Judith Umoh est une défenseure internationale des droits des personnes en situation de handicap et experte en développement inclusif. Elle analyse avec finesse les questions relatives au genre, au handicap et au développement inclusif. Son rêve est d’accroître la visibilité des femmes et des filles en situation de handicap au sein du mouvement féministe international et dans tous les efforts de développement à travers le monde.
Passionnée d’activisme et de politique, Ekaete devient la première femme élue présidente de l’Association nationale des personnes en situation de handicap (Joint National Association of Persons with Disabilities, JONAPWD), au Nigéria. À ce titre, elle dirige les organisations de personnes en situation de handicap dans la lutte pour la signature de la loi nigériane sur le handicap de 2019, qu’elle défendait sans relâche depuis plus de 17 ans. Par la suite, elle rejoint CBM Global en tant que directrice nationale et joue un rôle pionnier à la tête de son équipe pendant trois ans, pour briser le cercle de la pauvreté et du handicap au Nigéria. Outre son activisme dans le domaine du handicap, Ekaete a été consultante auprès de plusieurs agences de développement, proposant son expertise technique de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la conception de programmes et projets.
par Esra Özban
Dans un monde obsédé par le produit final, donner la priorité au processus est une méthode fondamentalement féministe. Les processus sont importants, et la sélection d’œuvres artistiques n’y fait pas exception. Alors que nous décidions quels films de la région d’Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord (SWANA) représenteraient et s’inscriraient le mieux dans le thème des Réalités féministes, la pandémie à laquelle nous sommes toujours confronté·e·s continue à transformer radicalement nos vies. Le simple fait de penser, d’écrire ou de m’exprimer est devenu un combat de tous les jours. Je n’arrivais à respecter aucune de mes échéances, j’envoyais les uns après les autres des courriels d’excuses à Kamee Abrahamian avec qui je travaillais en tant que commissaire indépendante pour le projet de Ciné-Club Féministe de l’AWID. Le soutien indéfectible de Kamee, sa compréhension et ses précieuses suggestions me rappelaient que, même dans deux parties différentes du monde, en tant que collègues qui ne se côtoient jamais en chair et en os, nous pouvons cocréer des microversions des Réalités féministes pour lesquelles nous vivons et auxquelles nous aspirons.
Pour moi, les Réalités féministes ont beaucoup à voir avec les sororités. Des sororités qui aident les femmes à déminer la région d’Artsakh/Haut-Karabakh. Des sororités nourries dans le Vegan Inclusive Trans Cake préparé par de jeunes féministes trans à Ankara, qui rappellent aux cis-ta qu’elles ne sont pas les bienvenues pour la génération Z. Des sororités qui poussent parmi les brins de menthe sur le toit de Dragica Alafandi dans le camp de réfugié·e·s de Dheisheh en Palestine occupée, dans Sowing Seeds of Resistance. Des sororités qui englobent et accueillent des proximités intimes, sexuelles et révolutionnaires dans le parc Gezi avec #resistayol. Des sororités qui mettent à jour une rencontre imaginée entre deux générations de femmes en exil, dans les rues de Haïfa, avec Your father was born 100 years old and so was the Nakba. Des sororités entre espèces qui construisent un (courageux) espace fictif, créé par Mounia Akl dans son Submarine, où la rebelle Hala, qui refuse de quitter une ville qui croule sous les déchets, est abandonnée à son sort avec un chien pour seul ami.
Cette sélection regroupe des petits morceaux de nombreuses Réalités féministes réalisées dans la région de SWANA ces dernières années. Nous continuerons à imaginer, apprendre et partager des incarnations féministes d’espoir et de pouvoir. En attendant, continuons à nous plonger dans les puissantes alternatives auxquelles ces cinéastes et personnages donnent vie dans ces films. Nous pouvons cocréer chacune des étapes, chacun des gestes et chacune des tentatives, en continuant de cohabiter dans ce monde avec d’autres qui vivent des Réalités féministes et continuent à donner vie à leurs rêves.
De Emily Mkrtichian et Jesse Soursourian
« Avec de beaux visuels associés à des scènes de vérité convaincantes, Motherland est une démonstration de camaraderie et de force entre femmes… Ce film est un témoignage de femmes du monde entier qui sont prêtes à travailler plus dur pour surmonter les obstacles qu'elles rencontrent. »
- Nosarieme Garrick, réalisatrice primée
« Motherland est une visualisation inspirante de solidarité, de courage et de cran… »
- Collectif Hers is Ours (La sienne est nôtre), organisateur du Festival Outsider Moving Art & Film
Motherland from jesse soursourian on Vimeo.
Emily Mkrtichian, à propos des Réalités féministes et d’Artsakh/HK
Nous avons filmé le court-métrage Motherland en République d’Artsakh, en 2018. Chacune de ces femmes me fascinait, par sa force, sa résilience et son humour – malgré le contexte dans lequel elles vivent. Ce contexte, en 2018, était celui du lendemain de la guerre brutale des années 1990, suite à laquelle leur pays est demeuré un territoire non reconnu (ou contesté, aux yeux de la communauté internationale), qui n’a pas reçu l’autonomie et l’indépendance dont bénéficient de très nombreux autres pays. L’Artsakh a également fortement souffert des conséquences visibles dans tous les lieux ayant subi de violents affrontements, et qui frappent bien souvent sur les femmes : troubles de stress post-traumatiques (TSPT), taux élevés d’alcoolisme, taux élevés de violence conjugale, une moindre égalité et moins de libertés pour les femmes, peu – voire pas – de représentation des femmes en politique et aux fonctions publiques. Face à tous ces défis, ce film tente de saisir et rendre compte du feu et du pouvoir des femmes d’Artsakh, qui pourraient ne pas correspondre au paradigme du féminisme occidental traditionnel mais qu’elles ont créé pour elles-mêmes grâce à des liens communautaires forts, l’attention pour leur famille, un dur labeur et la capacité à en rire ensemble. La République d’Artsakh est aujourd’hui à nouveau ravagée par une autre guerre qui lui a arraché 70 % des terres que ces femmes avaient fait grandir en les considérant leurs. Mais je peux vous promettre que ces femmes, et des milliers d’autres, continuent à tenir leurs familles, leurs communautés et leur culture debout avec les mêmes réseaux de soins, d’engagement à travailler dur et d’éclats de rire révoltés face à un avenir incertain.
De Baladi-Rooted Resistance
« Un film opportun à voir après avoir été témoin du dernier bombardement de Gaza par les forces de défense israéliennes. Un aperçu de la manière dont les femmes des communautés palestiniennes survivent à l'oppression structurelle, à travers l'histoire d'une bibliothèque de semences traditionnelles... et des femmes qui les maintiennent comme une forme de rébellion florissante. »
- Jessica Horn, stratège féministe panafricain·e, écrivain·e et cocréateur·rice de The temple of her skin (Le temple de sa peau)
« Regarder des femmes se rassembler et travailler collectivement pour l'autonomie alimentaire est, à mes yeux, à la fois thérapeutique et autonomisant. »
- Collectif Hers is Ours (La sienne est nôtre), organisateur du Festival Outsider Moving Art & Film
L’équipe de Baladi-Rooted Resistance, à propos des Réalités féministes
« Comment parler de Résistances féministes quand on vit à Deheisheh, un camp de réfugié·e·s palestinien·ne·s construit il y a 70 ans en Cisjordanie occupée pour abriter 3 000 réfugié·e·s, et qui en compte aujourd’hui 15 000?Ou quand la terre que l’on cultive est constamment menacée par des colons illégaux?
Quand on est une femme en Palestine occupée, on doit se battre non seulement contre le patriarcat mais également contre le colonialisme et une occupation militaire brutale. »
Dragiča et Vivien se battent contre ces multiples systèmes de domination, à leur manière.
Vivien se sert de semences indigènes pour aider les Palestinien·ne·s à préserver leur identité. Cultiver les aliments traditionnels, selon des méthodes traditionnelles, est porteur de sens : « Si on n’est plus productrice, on reste consommatrice, et quelle meilleure manière de réduire quelqu’une en esclavage qu’en en faisant sa consommatrice? Cela a lieu dans le monde entier, mais ici c’est doublé de l’occupation militaire. »
En Cisjordanie, 31,5 % des ménages souffrent d’insécurité alimentaire. Grâce à son jardin de comestibles sur son toit, Dragiča est parvenue à renforcer l’autonomie alimentaire de sa famille. Dans le camp bondé, où l’armée israélienne fait régulièrement des incursions la nuit pour arrêter et harceler les résident·e·s, le toit de Dragiča nourrit non seulement sa famille, mais nourrit surtout son âme. »
De Rüzgâr Buşki
Rüzgâr Buşki, à propos des Réalités féministes
« Je ne sais pas quoi dire à propos des Réalités féministes, mais en tant qu’artiste trans, en tant qu’activiste en Turquie, je sais que nos réalités sont rudes. Nous vivons dans la violence : physique, psychologique, économique et sexuelle! C’est la raison pour laquelle nous devons construire nos propres réseaux, et cocréer des microréalités les unes pour les autres est une Réalité féministe pour moi. #resistayol est mon premier film. Au début, je prévoyais de faire un film par/avec/pour des personnes trans qui ne tente pas de convaincre quiconque du fait que les personnes trans sont des personnes humaines, et qui ne soit pas centré sur la sensibilisation aux questions trans. Mais le soulèvement de Gezi, l’un des plus gros soulèvements de l’histoire de la Turquie, a eu lieu et le film s’est transformé en autre chose.
Je crois que le processus de production influence vraiment le devenir d’un film. Nous avons véritablement essayé de faire travailler des femmes, des personnes trans et non binaires à chacune des étapes du film. Le film est fait par des personnes qui se sont rassemblées dans un esprit de camaraderie, par amitié. Kanka Productions est fondé sur un esprit de camaraderie transféministe. Je veux que ce film donne espoir, qu’il soigne parce que nous portons toutes et tous de nombreux traumatismes dans nos corps; c’est ce qui nous constitue et ce qui nous relie. La guérison est un processus interminable et nous devons créer des espaces où respirer. #resistayol est une heure de respiration collective. »
Boysan Yakar dans #resistayol
« Alors, des lubunyas (queer) étaient assis·es dans le parc, et tout à coup, des bulldozers sont arrivés et tout le monde s’est senti frustré. Bref, c’est ce qui s’est passé. C’est le parc des Lubunyas et nous avions trente jours pour expliquer cela à cette immense ville. Tout le monde a reconnu que la nuit, des ibnes (pédés) baisent dans ce parc... Le Bloc LGBTI y a déplacé notre communauté. Nous ne faisions déjà absolument pas confiance à l’État, ni à la police, et ne disposions d’aucune sécurité. Nous avons défini nos propres manières de faire les choses, nos propres lois et coutumes pour survivre... Nous avons rapidement instauré la loi à Gezi... dans le souci de créer une langue et une compréhension communes entre tous ces groupes. La langue LGBTI du vivre-ensemble s’est propagée dans tout le parc. C’était la marche des Fiertés tous les jours, tout le monde lançait sans cesse des « ayol ». Nous avons égayé la langue nauséabonde et obsolète de la gauche. Je pense que nous avons eu une telle influence parce qu’on nous a renié·e·s pendant tant d’années. Des plus radicaux·ales aux plus conservateur·trice·s et nationalistes, tout le monde avait besoin de nous parce que tout le monde s’est habitué à se confronter à tout, tout le temps. Ils et elles n’avaient pas l’habitude de voir tant d’énergie, notre énergie. C’est pour ça que c’était un espace politique génial pour nous. Chaque jour,nous nous faisions un devoir de reprendre notre plus gros combat là-bas, le principal, qui est notre combat pour la visibilité et la reconnaissance. C’est pour cela que nous avons eu si mal de devoir quitter Gezi. »
De Pembe Hayat
« ... une déclaration variée, montrant la joie qui existe dans les amitiés au sein de la communauté queer en Turquie comme manifestation de rébellion et de résistance. »
- Nosarieme Garrick, réalisatrice primée
«... amusant, léger et aléatoire. Dans un monde constamment marqué et meurtri par la violence contre la communauté trans, rien, aucune action n'est (malheureusement) privée de sens. Il en va aussi de la joie, de l'amour et du hasard signifiant! »
- Collectif Hers is Ours (La sienne est nôtre), organisateur du Festival Outsider Moving Art & Film
Cayan Azadi dans Vegan Inclusive Trans Cake
« Salut les Barbie, les Ken, les poupées en porcelaine, les Craquinoux. Les copines de Chucky, les sœurs de Chucky, les beaux-frères de Chucky, et sans oublier les beaux-frères amants.
Alors, pourquoi avons-nous fait ce gâteau?
Nous avons entendu dire qu’une travailleuse du sexe trans avait tenté de se suicider, suite à des violences de gardiens et de policiers dans la rue. Elle est toujours au poste de police, et c’est la raison même pour laquelle nous avons fait ce gâteau. Ce gâteau travesti a été préparé pour montrer que nous existons à tous les moments de la vie, que nous persistons à exister, et ce gâteau illustre que cela ne sera pas effacé ou ignoré par la société.
Oui, il y a de la violence dans nos vies. Oui, il y a aussi beaucoup d’ombres, mais malgré cela, nous pouvons quand même nous amuser et profiter de la vie autant que possible. Bon appétit, sœurette! »
De Razan AlSalah
De Mounia Akl
« Il est réalisé comme un poème qu’on écrit… simple, un peu abstrait et émouvant. »
- Collectif Hers is Ours (La sienne est nôtre), organisateur du Festival Outsider Moving Art & Film
Esra Ozban:
Esra Ozban est programmateur·rice et réalisateur·rice de films originaire de Turquie. Son travail artistique, curatorial et universitaire se trouve à la croisée entre autres des pratiques archivistiques critiques, du travail du sexe, de la pornographie et des cultures cinématographiques féministes/queer.
Nous comptons actuellement parmi nos membres plusieurs centaines d’organisations parmi les plus connues et novatrices. Les critères d’adhésion sont les mêmes que pour les personnes, mais les cotisations diffèrent et les services proposés tentent de répondre à leurs besoins particuliers.
La conspiration du cercle des écrivain·e·s | Wazina Zondon
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Également connue sous le nom de Réseau de recherche Teta, la conspiration des écrivain·e·s a été fondée en 2021 dans le cadre des cercles d’écriture hebdomadaires de Kohl. Le Réseau est un groupe transnational d’écrivain·e·s queer et féministes qui se consacrent à l’écriture, à la réflexion et à la création de monde collectifs. | Wazina Zondon est une Afghane élevée à New York. Elle centre son travail de recueil d’histoires et de narration sur les souvenirs collectifs et les rites de passage dans la diaspora. Elle travaille actuellement sur Faith : in Love/faith in love (Foi : en amour / Foi en l’amour), travail qui (re)retrace l’histoire d’amour de ses parents et l’empreinte d’amour héritée de sa famille. |
L’amour est sur le marché noir en enfer
car l’amour est un acide
qui ronge nos barres de fer.
Mais toi, moi et demain,
on jure en se tenant la main
que les luttes se multiplieront.
La scie à métaux a deux lames.
Le fusil a deux canons.
Nous portons la liberté en notre sein.
Nous sommes un complot.
Il est de notre devoir de lutter pour la liberté.
Il est de notre devoir de vaincre.
Nous devons nous aimer et nous soutenir mutuellement.
Nous n’avons rien d’autre à perdre que nos chaînes.
« Love » d’Assata Shakur
Voilà la question que pose Wazina Zondon dans son récit de souvenir collectif Loveprint. Loveprint est une déambulation, un chevauchement, un détour qui (re)crée, là où se rejoignent les entrevues et les essais personnels, nos histoires de famille et nos connaissances sur l’amour, les relations de couple et les aventures amoureuses. Sur les conseils de Wazina, la conspiration du cercle des écrivain·e·s s’est retrouvée autour d’une tentative de reproduction de cette épreuve littérale, sous la forme d’une écriture collective dans laquelle nos différentes histoires, nos genres et nos identités sexuelles se complètent et se contredisent. Nos voix empiètent les unes sur les autres, les unes complètent les phrases des autres et nous créons une conversation, un mémorial, des morceaux de nous qui parlent à un « nous ».
Je suis ce que l’on appelle un « joyeux accident ». Il y aurait beaucoup à dire à ce propos – une vie accidentelle, mais dans le même temps totalement voulue. Je sens que cela a façonné ma manière d’aimer. Je ne tombe pas simplement amoureuse, je prends le risque de la glissade qui me fera tomber. Ça a peut-être fait de moi une amor fati.
On m’a dit que je n’étais pas une enfant voulue. Donc, j’ai grandi et je suis devenue une adulte non voulue. Les origines de mon impression d’amour viennent d’avoir été éternellement non bienvenue. Je ne suis pas le fruit d’un amour ou d’une quelconque émotion joyeuse, mais bien plutôt de douleur et de fardeau. Je n’ai pas d’impression d’amour – du moins pas dans ce sens-là.
Je sais avec certitude que mes parents se sont aimés à un moment, mais la santé mentale est un tel démon – si personne ne lui tient tête, il n’y a pas de gagnant.
Je n’associerai jamais « l’amour » à mes parents ou à la famille normative. En grandissant, l’amour était accompagné de tant de violence et de responsabilités que je n’avais pas demandées, et pour lesquelles je n’étais pas prête. Alors que mes parents « s’aimaient », c’était un éthos toxique de violence, de jalousie et d’insécurité dans lequel grandir. J’ai grandi avec une immense faim de stabilité, et c’est ce que je suis aujourd’hui. Je prends des risques, mais jamais dans mon « espace d’amour ».
Je ne sais pas pourquoi ma mère a choisi d’accueillir une enfant
(moi) en son sein. Elle ne m’aime pas sous cette forme.
Ma mère me dit que si je dois penser à « trouver » l’amour, je ne devrais jamais prendre son mariage en exemple. Mon impression d’amour vient au contraire des chiens que j’élève depuis deux décennies (18 ans précisément). Le contraire est également vrai – ils m’ont élevée. Je comprends de mieux en mieux cet amour et ses différents niveaux, en leur compagnie.
Je n’ai pas découvert l’amour avec une « impression ». Dans notre maison, nous ne parlons pas d’amour. J’ai dû m’enseigner à aimer. J’ai dû y travailler dur. Malgré cela, j’échoue et malgré cela, je continue d’essayer et d’échouer tous les jours. L’échec est peut-être mon impression d’amour.
Mon impression d’amour est l’attention, la chaleur et la compréhension
que je donne aux personnes qui m’entourent, qu’il s’agisse d’un inconnu,
d’une amie, d’une proche ou d’une amante.
Mon impression d’amour est politique – sans calcul et sans réflexion.
Je suis né·e sous une pluie de bombes.
Mon impression d’amour est le négatif
de ce moment-là.
J’en sais plus sur ce que l’amour n’est pas que je n’en sais sur ce qu’est l’amour.
L’amour, ce n’est ni l’anxiété ni la panique.
L’amour, ce n’est pas de demander la permission de vivre ou de respirer. C’est toujours à propos de l’amour et il n’y a pas d’amour sans liberté.
Tout ce que l’on fait, on le fait avec le cœur, sauf l’amour. L’amour, c’est se servir de son esprit.
Je crains parfois que le langage de mon amour ne se perde dans la traduction.
--- Il y a de nombreuses manières
de cartographier les origines
de
la manière de ne pas
aimer
aimer juste assez
aimer beaucoup trop
aimer un peu
perdre un peu
à l’amour
à l’amour perdu ---
Je ne supporte pas l’idée du couple. Je ne supporte pas l’idée de vivre seule en vieillissant non plus. Je suis fatiguée de tout faire toute seule, de déménager seule, de payer le loyer et les factures toute seule… Je m’imagine avoir un arrêt cardiaque toute seule, et ça m’effraie. Je n’ai absolument pas envie de « me mettre en couple ». Je veux un monde où je peux épouser une amie, acheter une maison avec une amie, ne pas avoir de rapports sexuels.
Aimer plusieurs personnes ne corrompt
absolument pas l’amour partagé à deux, et que l’amour
soit romantique ou non n’est vraiment pas si
important que cela.
Lorsque je réfléchis à l’état déplorable de mes relations, je me rends compte que je suis dans le type de relation auquel on m’a formée. Malgré toute ma « radicalité », je n’ai toujours pas désappris les foutues normes de genre.
Mon besoin de stabilité ne me semble pas « assez radical ». Je veux sortir de cette catégorisation. Je veux quelque chose que je n’ai jamais eu. Je veux le rendre beau. Je veux me sentir belle et en sécurité – et seule la stabilité me procure ces sensations. Sûre, hors de danger, savoir que le foyer n’a rien à voir avec la violence ni les tensions.
--- Impression d’amour – j’aime sentir les livres pour voir où ils
ont été imprimés
Je tente de réfléchir à l’origine de ma compréhension et de ma
pratique de l’amour
A-t-on besoin d’origine, n’est-ce pas pareil à la pureté? Pas de
pureté ni d’origine de l’amour.
Pourquoi est-ce la compréhension et la pratique, et non
« l’émotion » qui vient à l’esprit? ---
Lorsque j’appelle mes parents, je ne raccroche pas après que l’on se soit dit au revoir, pour pouvoir entendre les bruits de la maison.
Lors de mon enterrement sunni, je veux que toutes les femmes et tous les hommes se rassemblent pour mon enterrement. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de ne pas pouvoir dire au revoir à des morts d’un autre sexe? Il sera sunni parce que ma mère voudrait qu’il le soit. Il sera écologique – pas besoin de pierre tombale. J’adore tous les rituels funéraires. Le Coran c’est bien, mais je veux aussi de la musique. J’aime vraiment Asmahan, Oum Koulthoum et The Stones Roses.
J’ai une liste de musiques pour la semaine, du lundi au vendredi. Et deux autres pour la fin de semaine : une pour les samedis et une pour les dimanches. Je voudrais que celles et ceux qui m’ont aimée mettent la musique que j’écoutais, en respectant les jours – avec une légère tolérance tant que l’on respecte les listes de musiques.
Je veux être entourée par la ou les personnes qui m’auront aimée, même pour un bref instant. En musique et entourée de bouquets de fleurs coupées. Je ne veux pas qu’on me trouve morte; je veux mourir en riant avec des êtres aimés.
Je veux que l’on se rappelle de moi comme de quelqu’un qui aimait.
I don’t need to feel loved in death. I need the people around me to feel I loved them, even after I die. Being loved in death is about those who are alive. So I think more about how we come together as a living and loving community in the death of those we love and live with. How we take their memories with us. How we become archives of their lives.
--- Parfois, on ne peut aimer les gens que dans leur mort ---
Je dois revenir en arrière à l’idée du corps connecté à un espace. Ma famille est très réduite et, bien que ne venions pas de différents endroits, c’est comme si chaque génération était partie dans un nouveau lieu. C’est peut-être la raison pour laquelle la mort n’est pas reliée à un endroit spécial, à un cimetière. Il est courant dans notre famille d’enterrer les morts sans nom ou pierre tombale, ou de disperser les cendres dans le vent. Je me sens apaisée par ce genre de commémoration sans lieu fixe. L’idée que mes cendres puissent fertiliser une nouvelle vie me donne le sentiment d’être aimée, d’être remémorée par la re-création. Ma grand-mère est décédée en début d’année du fait de complications suite à la vaccination. Deux heures après son décès, ma famille riait aux larmes en repensant aux blagues qu’elle faisait, à sa manière hilarante de raconter des histoires. Nous avons ri et l’avons aimée, et c’était comme si elle était à nouveau assise avec nous. Voilà ce qui me ferait me sentir bien – pouvoir fertiliser les sols, fertiliser les conversations et une commémoration collective.
--- Il y avait
Deux rues dans lesquelles
Je marchais
Je courais
Je jouais
Je demeurais
Il y avait
Cinq heures pendant lesquelles
Le soleil était chaud
Le ciel était bleu
La terre était verte
Il y avait
Une fleur que je pouvais
Sentir
Toucher
Pincer
Écraser
Il y avait
Les amies que je pouvais
Caresser
La nourriture
Que je pouvais
inhaler
La langue
Qui me glissait des
lèvres
Il pourrait toujours y avoir
Tous ces nombreux lieux
Et des choses
Et des gens
Après moi ---
Peut-être qu’une promesse que je serai « spatialement commémorée » en tant que plante et soignée à tour de rôle, jusqu’à ce qu’elle devienne un arbre, serait suffisante. Pas de nom, pas de plaque – juste la plante/l’arbre, et savoir qu’on en prendra soin. Quant à mon corps, je veux qu’il soit incinéré sans aucune forme de rituel et que les cendres de mes os soient libérées dans la mer d’Arabie.
J’ai besoin que l’on traite mon corps aussi subversivement qu’il a vécu.
Je ne veux pas être enterrée à côté de ma famille. Dans ce petit tiroir à côté de toutes les personnes qui ne m’ont jamais connue. Coincée dans la mort comme je l’ai été dans la vie. Je veux être incinérée, et que mes cendres soient finalement libres.
Je veux être autorisé·e à passer, pas pendre dans l’entre-deux, pour être une présence, un processus actif, un trépas.
Je vous demanderai de :
Je veux que l’on se souvienne de moi pour l’amour que j’ai mis dans ce monde. Je veux que
mon corps soit donné, et que mes organes continuent d’alimenter
l’amour d’une ou d’autres vies.
--- L’odeur du jasmin ---
Cette édition du journal, en partenariat avec Kohl : a Journal for Body and Gender Research (Kohl : une revue pour la recherche sur le corps et le genre) explorera les solutions, propositions et réalités féministes afin de transformer notre monde actuel, nos corps et nos sexualités.
نصدر النسخة هذه من المجلة بالشراكة مع «كحل: مجلة لأبحاث الجسد والجندر»، وسنستكشف عبرها الحلول والاقتراحات وأنواع الواقع النسوية لتغيير عالمنا الحالي وكذلك أجسادنا وجنسانياتنا.