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Microcredit Pitfalls: The Experience of Dalit Women in India

DOSSIER DU VENDREDI : La microfinance est souvent considérée comme un moyen offrant un fort potentiel de réduction de la pauvreté. Cependant, en dépit de certains succès, les accords de microcrédit avec des prêteurs sans scrupules contribuent fréquemment à empirer des situations déjà difficiles, en enfonçant davantage les femmes dans la pauvreté et le désespoir. De nombreuses femmes dalits ont pâti de l’envers du microcrédit, la forme de microfinance la plus répandue.

Par Kathambi Kinoti

Les Dalits en Asie du Sud représentent un groupe défavorisé. D’un point de vue historique, ce groupe, considéré comme une caste inférieure, a toujours été confronté à la discrimination. Jugés « intouchables », ils ont toujours réalisé le travail « impur », tels que la tannerie, le nettoyage des égouts, le ramassage des carcasses d’animaux, le balayage des rues et toute autre tache considérée « polluante ». Aujourd’hui, les Dalits restent souvent considérés des parias et leur statut « impur » provient soit de leur travail actuel, soit de leur origine.

La discrimination à l’égard des Dalits

La constitution indienne vise à protéger les Dalits de la discrimination et établit des mesures visant à améliorer leur statut social et économique. Cependant, les dispositions pertinentes de la constitution considèrent les Dalits comme étant hindous, et par conséquent, les Dalits non hindous sont encore plus discriminés.

Malgré cette protection juridique, les tabous sociaux restent prédominants et perpétuent la discrimination à l’égard des Dalits, notamment ceux qui continuent de vivre dans des zones rurales. Ils sont confrontés à l’exclusion sociale et sont mêmes menacés d’abus physique s’ils refusent de réaliser les basses besognes qui correspondent à leur caste. Il existe de nombreuses formes de discrimination à l’égard des Dalits, qui ont également un impact sur leur bien-être. Dans les villages ne disposant pas d’eau courante, les Dalits ont un accès limité aux puits. Les Dalits n’ont généralement pas le droit de manger avec d’autres personnes, ils doivent boire dans des verres différents dans les stands à thé des villages et manger avec des couverts différenciés dans des restaurants ayant des secteurs séparés.

La situation des femmes dalits

La plupart des femmes dalits subissent une triple oppression « en tant que Dalits, en tant que femmes et en tant que pauvres ». Leur caste et leur sexe les défavorisent et qui plus est, elles sont généralement pauvres et ont peu ou pas d’éducation formelle. Environ 76% des femmes dalits ne savent pas lire et écrire. Ce taux élevé d’analphabétisme a des conséquences néfastes sur le progrès des communautés dalits.

Leur statut social et économique les empêche de prendre de décisions qui pourraient contribuer à améliorer leur situation. La mécanisation accrue des processus agricoles et l’accent mis sur les cultures marchandes aux dépens des cultures vivrières ont réduit considérablement l’emploi des femmes. D’autre part, les secteurs de ressources communautaires dans les villages, dans lesquels les femmes avaient accès à du poisson et à des légumes, ont été transformés au profit de la production de cultures commerciales.

Les femmes dalits sont vulnérables à la violence sexuelle, y compris aux viols collectifs, et sont confrontées à de nombreux obstacles lorsqu’elles cherchent à faire punir les injustices dont elles ont été victimes. Dans le cadre du système devadasi, les jeunes filles dalits sont souvent consacrées à des divinités de temple, une pratique qui viole de nombreux droits, y compris leurs droits sexuels et reproductifs.

Les conditions économiques difficiles ont contraint les hommes dalits à émigrer vers les villes, laissant derrière eux leurs femmes à la tête de leurs familles. Les conditions sociales et économiques n’ont fait qu’appauvrir les femmes et les enfants.

La La promesse du microcrédit

La microfinance correspond aux services financiers disponibles au profit des personnes pauvres : crédit, transferts de fonds, assurance et épargne. La forme de microfinance la plus répandue est le microcrédit.

En 2006, l’économiste bangladais, le Dr. Mohammad Yunus, fondateur de l’institution de microfinance Grameen Bank, a reçu le prix Nobel de la paix pour son travail innovateur de mise à disposition de financements au profit des personnes pauvres au Bangladesh. La philosophie de Yunus est que de tout petits prêts peuvent faire une différence énorme sur la vie des personnes pauvres et que l’appui à l’esprit d’entreprise est décisif pour mettre fin à la pauvreté.

Les banques sont généralement réticentes à accorder des petits prêts non seulement parce que leurs rentabilités sont faibles, mais également parce que les personnes pauvres ne possèdent pas de biens leur servant de garanties. Le microcrédit fournit un capital d’affaire à de nombreuses personnes pauvres qui autrement ne pourraient pas accéder au modeste capital de démarrage dont elles ont besoin pour lancer leur petite affaire. Rien qu’en Inde, d’après un reportage d’actualité de la BBC, 30 millions de personnes ont obtenu des microcrédits depuis la création de ce concept. La microfinance est considérée une solution optimale de levée de capitaux au profit des femmes pauvres qui n’ont pas accès au crédit autrement.

La plupart des clients de la banque Grameen sont des femmes et Yunus a signalé que bien souvent, les femmes pauvres sont les meilleures gestionnaires de ressources très limitées. Les femmes pauvres sont confrontées à de nombreux défis pour accéder au crédit auprès des principales institutions financières. Souvent, elles ne possèdent pas de biens à offrir en garantie des prêts ou de cautions pour assurer le remboursement. Les institutions de microfinance n’exigent pas les conditions onéreuses que les banques traditionnelles imposent à leurs clients pour l’obtention d’un prêt. Dans de nombreux cas, l’unique exigence est que les femmes forment des groupes d’entraide dont les membres se portent garants les uns des autres. Le succès du système de la microfinance est fondé sur l’observation selon laquelle les personnes pauvres manquent rarement à leurs obligations de paiement et que lorsque cela arrive, les partenaires du groupe d’entraide interviennent pour réunir la somme due par leur collègue. Les femmes utilisent souvent le microcrédit pour acheter des machines à coudre, installer des stands de nourriture ou acheter du bétail dont les produits peuvent être vendus. De nombreuses femmes ont également eu recours au microcrédit pour faire face à un besoin de financement immédiat, par exemple pour payer des frais de scolarité.

Le microcrédit ne profite pas toujours aux femmes

Le microcrédit est le prêt de petites sommes d’argent à un client à un moment donné. Souvent, les femmes reçoivent des petits prêts ponctuels qui répondent à un besoin initial, mais ne les aident pas à élargir leur petite affaire. Cela signifie que la situation financière des bénéficiaires ne s’améliore pas forcément à long terme.

S’il est vrai que la microfinance a profité à de nombreuses femmes, il n’en demeure pas moins que pour d’autres, les conséquences furent négatives. D’après un reportage d’actualité de la BBC, une communauté rurale dans l’état d’Andhra Pradhesh, en Inde, a vécu une vague de suicides liés à l’incapacité des bénéficiaires de microcrédits de rembourser leurs dettes. Suite à cette situation, le gouvernement de cet état aurait pris des mesures énergiques contre les opérations des prêteurs abusifs. Un grand nombre des personnes à s’être suicidées étaient des femmes dalits.

D’après Fatima Burnad, de Tamil Nadu Women’s Forum (forum des femmes du Tamil Nadu), à l’origine, le microcrédit relevait du gouvernement et des organisations à but non lucratif. Le gouvernement indien encourageait les femmes à créer des groupes pour épargner et obtenir des prêts auprès de sa structure de micro-prêt, Women’s Development Corporation (corporation pour le développement des femmes). Ce type de structure encourageait les personnes à épargner et appliquait des taux d’intérêt et des conditions de remboursement raisonnables. Les modèles du gouvernement et des ONG étaient à but non lucratif.

Cependant, ces opportunités ont été obscurcies par l’augmentation du nombre de prêteurs abusifs de microcrédits à but lucratif. Ces prêteurs offrent uniquement un crédit : pas d’assurance, d’épargne, de transfert d’argent, d’investissement ou d’autres options. Ils acceptent la sûreté des groupes de femmes mais imposent des taux d’intérêt exorbitants. Burnad signale que la formation de groupes de femmes, sur laquelle les prêteurs insistent, ne présente aucun intérêt réel pour elles. Il s’agit principalement d’un mécanisme visant à assurer que l’institution de microcrédit puisse exiger le remboursement à plusieurs personnes si l’une d’entre elles manque au paiement d’une échéance du prêt.

Ces institutions de microfinance sont des institutions non bancaires, enregistrées par le gouvernement mais sans qu’il existe un cadre réglementaire approprié régissant leurs opérations. Burnad précise que ces institutions « ne sont soumises à aucune réglementation et à aucun contrôle ». Elle ajoute que les femmes ont peu d’instances auxquelles recourir pour exprimer leurs préoccupations car la police a souvent partie liée avec les institutions de microfinance et la corruption de celle-ci leur permet d’agir en toute impunité. Burnad affirme que lorsque les abus sont signalés aux autorités, les victimes sont souvent interrogées sur les motifs les ayant motivées à emprunter l’argent en premier lieu.

Les femmes dalits se retrouvent souvent prises dans la spirale de la dette du fait de leur engagement avec ces institutions de microfinance. Les institutions de microfinance exigent des remboursements hebdomadaires et imposent d’autres conditions très dures, dont les femmes n’ont pas conscience avant de recourir aux microcrédits. D’autre part, elles ne bénéficient pas d’un conseil financier avisé lorsqu’elles signent des accords de prêt avec des institutions de microfinance.

D’après Burnad, les femmes devraient avoir accès à des prêts à taux zéro accordés par les gouvernements des états afin de pouvoir amorcer leurs activités. Elle souhaiterait que le microcrédit étatique soit disponible pour les femmes de manière individuelle, sans qu’il leur soit exigé de faire partie d’un groupe de femmes. Burnad signale : « Généralement, faire partie de ce type de groupes de femmes ne présente aucun avantage pour leurs membres. La formation de ces groupes facilite tout simplement le recouvrement des dettes par les institutions de microfinance puisque si une membre manque au remboursement d’une échéance du prêt, les autres membres du groupe sont tenues de payer pour elle ».

Les organisations de femmes dalits promeuvent activement la réglementation du secteur de la microfinance. Elles signalent qu’en Inde, dans certains endroits les femmes ont chassé de leurs villages les institutions de microcrédit en raison des conséquences néfastes que celles-ci ont eu sur leurs consœurs dans tout le pays.

Burnad signale que Tamil Nadu Women’s Forum, Tamil Nadu Dalit Women’s Movement (mouvement des femmes dalits du Tamil Nadu) et All India Democratic Women’s Association (association des femmes démocratiques de toute l’Inde) ont organisé des audiences publiques pour débattre du comportement des institutions de microfinance suite au suicide d’une femme dalit dans la ville de Vellore au Tamil Nadu. Elles ont appelé les autorités gouvernementales à agir et demandé un dédommagement au profit de la famille de la victime. Cinq membres d’institutions de microcrédit de ce district ont été arrêtés.

Cependant, d’après Burnad, le gouvernement ne prend pas très au sérieux la réglementation du secteur de la microfinance. Elle affirme qu’il y a beaucoup à faire dans les mois et les années qui vont suivre. Le collectif des organisations des droits des femmes qui s’est investi dans le plaidoyer va engager un procès d’intérêt public contre le gouvernement indien. Celui-ci va également lutter pour que les familles des personnes qui se sont suicidées, en raison des conditions de prêt exorbitantes des institutions de microfinance, puissent être indemnisées.

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Asie
Source
AWID