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Les femmes africaines s’organisent pour la ratification et la mise en œuvre du Protocole de Maputo

DOSSIER DU VENDREDI : Le Protocole de Maputo est un instrument juridique crucial pour les droits des femmes qui élargit et renforce les droits énoncés dans d’autres instruments relatifs aux droits humains. Le Protocole garantit un vaste éventail de droits économiques et de bien-être social pour les femmes. Et surtout, il a été élaboré par des africains et pensé à la lumière des préoccupations des femmes africaines.

L’AWID s’est entretenue avec Faiza Jama Mohamed, Directrice d’Égalité Maintenant à propos de la campagne du Mouvement de solidarité pour les droits des femmes africaines (SOAWR) en faveur de la ratification et de la mise en œuvre du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique, également appelé Protocole de Maputo ou Protocole des Femmes africaines (ci-après désigné le Protocole).

Par Massan d’Almeida

Le Protocole de Maputo a été adopté par l’Union Africaine (UA) lors de son deuxième sommet tenu le 11 juillet 2003 à Maputo, Mozambique. Le Protocole est entré en vigueur le 25 novembre 2005 après avoir été ratifié par 15 Etats membres de l’UA. Sur les 53 Etats membres de l’UA, 49 ont signé le protocole, 31 d’entre eux l’ont ratifié et, jusqu’à présent, seuls quatre pays[1]ne l’ont pas signé.

Cet instrument traite de certaines questions qui ne sont pas abordées de façon efficace dans d’autres instruments mais qui revêtent une importance particulière pour les femmes africaines, notamment le VIH et le Sida, le trafic des personnes, l’héritage des veuves et la dépossession des biens. Le Protocole énonce le droit reproductif des femmes à un avortement médicalisé lorsque la grossesse est le résultat d'un viol ou d'un inceste ou lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la santé ou la vie de la mère. Il préconise explicitement l’interdiction légale de la mutilation génitale féminine (MGF) et interdit l’abus commis à l’égard des femmes dans la publicité et la pornographie.

AWID: Pouvez-vous nous parler de la genèse du Protocole de Maputo et de comment les groupes de femmes se sont mobilisées pour son adoption?

Faiza Jama Mohamed (FJM): Dans la foulée de la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme tenue à Vienne en 1993, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a adopté une résolution[2] chargeant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples de rédiger un Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la Charte africaine) qui aborderait plus en détail les droits humains des femmes africaines[3]. La rédaction du Protocole est devenue la tâche principale du Rapporteur spécial sur les droits des femmes en Afrique qui a mobilisé le soutien de plusieurs organisations de femmes africaines[4].

En 2002, FEMNET[5] a attiré l’attention sur la faiblesse du Protocole qui était proposé du et sur le fait qu’il avait été adopté par des experts, à l’exception de trois dispositions seulement sur lesquelles ceux-ci étaient convenus de revenir après avoir consulté les pays. Qui plus est, l’UA rencontrait des difficultés pour obtenir le quorum nécessaire afin de convoquer la deuxième réunion d’experts destinée à conclure le Protocole. Après des consultations avec le FEMNET, le WiLDAF[6] et le Centre Africain pour la démocratie et les études des droits de l'homme ACDHRS, Égalité Maintenant a pris l’initiative de convoquer une consultation de deux jours réunissant des organisations de femmes en janvier 2003 à Addis Ababa.

A l’issue de cette réunion, nous avons produit une version annotée du projet de Protocole en soulignant les aspects faibles qui devaient être améliorés; nous avons aussi proposé un langage plus fort pour certaines dispositions dont le langage était trop faible selon les participants par rapport celui de la CEDAW[7]. Cette version a été présentée aux états membres à qui il a été demandé de convoquer une réunion des parties prenantes afin d’analyser les changements proposés et de les valider. Les ministres chargées des questions de genre ont adopté le Protocole, ainsi que la plupart des amendements recommandés. L’UA a présenté ce texte au Conseil exécutif en vue de sa validation et de sa soumission aux Chefs d’État qui l’ont finalement adopté le 11 juillet 2003 à Maputo.

AWID: Le SOAWR a été créé pour obtenir la ratification universelle du Protocole et garantir sa mise en œuvre. Quels ont été les progrès accomplis et les défis auxquels vous êtes confrontés?

FJM: Le SOAWR est une coalition de 39 membres qui vise trois objectifs: la ratification, la vulgarisation et le plaidoyer pour la domestication et la mise en œuvre du Protocole. L’entrée en vigueur du Protocole a été la plus rapide de l’histoire de l’OUA/UA. A ce jour, nous avons obtenu 31 ratifications (58,5 % des états membres de l’UA) et avons via de multiples canaux fait une vaste diffusion du Protocole à travers tout le continent.

Les membres de SOAWR ont organisé des forums éducatifs, des débats, ont créé divers types de matériels tels que le feuilleton radiophonique « Crossroads » (Carrefours) qui a été primé, traduit dans plusieurs langues locales, et diffusé sur les radios nationales et communautaires. De plus, de solides coalitions impulsées par des membres de SOAWR ont été formées à l’échelon national, ce qui constitue un pas très important car nous avons besoin d’une force unie et puissante pour provoquer le changement dans les pays.

Plus récemment, le SOAWR s’est adressé à la jeunesse africaine et a offert aux jeunes une plateforme pour partager leurs opinions sur ce que le Protocole signifie pour elles/eux. Il est très important de faire participer les jeunes à cette campagne et nous avons exploré différentes manières d'éveiller et d’entretenir leur intérêt et de les pousser à participer activement.[8]

L’un des défis majeurs, auxquels nous faisons face est l’influence des dirigeants religieux et traditionnels et qui utilisent la religion et la culture pour compromettre les droits humains des femmes. Par exemple, le Liberia et le Mali sont obligés, en vertu de l’article 5 du Protocole, d’adopter des lois pénalisant la MGF, obligation qu’ils n’ont pas encore accomplie en raison de l’opposition de dirigeants religieux et traditionnels. L’article 14 sur les droits à la santé reproductive est un autre sujet sensible avec les dirigeants religieux qui a poussé le Kenya et l’Ouganda à formuler des réserves à certains alinéas de cet article et d’autres pays à différer leur ratification. D’autres pays sont réticents à accepter l’âge minimum de mariage fixé à 18 ans bien que tous les pays aient ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.

AWID: Comment le Protocole a-t-il été domestiqué dans les pays qui l’ont ratifié?

FJM: Le Protocole exige aux états parties de réviser leurs lois internes et de veiller à respecter les dispositions qu’il contient. À ma connaissance, seul le Rwanda a effectué cette révision. Nous avons vu certaines améliorations dans certains domaines et dans certains pays: la santé maternelle, la pénalisation des délits sexuels, la fin de la discrimination à l’égard des femmes et l’augmentation du nombre de femmes occupant des positions de prise de décision. Dans le cadre du processus de domestication du Protocole, la Gambie a adopté un projet de loi sur les femmes mais qui ne couvre pas l’intégralité des dispositions de ce dernier, notamment en ce qui concerne la MGF qui constitue une violation généralisée des droits des femmes en Gambie. Un projet de loi similaire est actuellement sous examen au Parlement nigérian en vue de son éventuelle adoption, alors que d’autres pays ont adopté des lois sur des thèmes spécifiques tels que la parité (Sénégal), la violence familiale (Mozambique et Ouganda), la MGF (Guinée-Bissau et Ouganda).

Bien que très louables, ces efforts restent très insuffisants pour tirer pleinement parti du potentiel offert par le Protocole dans la sauvegarde des droits humains des femmes africaines. Nous devons continuer à encourager les Etats membres à redoubler d’efforts, en particulier durant la Décennie de la femme africaine (2010 – 2020) durant laquelle nous attendons d’eux qu’ils respectent leurs engagements.

AWID: Égalité Maintenant et le SOAWR viennent récemment de publier un guide d’utilisation du Protocole; Pourquoi?

FJM: Le « Guide d’utilisation du Protocole relatif aux droits des femmes en Afrique pour l’action en justice »[9] est un instrument destiné aux avocats, aux défenseur(e)s des droits des femmes et au ministère public. Cet instrument s’inscrit dans le cadre de nos objectifs de domestication et de mise en œuvre du Protocole. Nous l’avons élaboré à partir de deux perspectives: 1) inciter les Etats membres à adopter des mesures pratiques pour domestiquer et mettre en œuvre[10]le Protocole et 2) encourager les avocats et les femmes défenseures des droits humains à utiliser le Protocole comme un instrument pour défendre les femmes et les filles dont les droits humains ont été bafoués.

Ce guide propose des conseils méthodiques pour utiliser le Protocole à l’échelon local, national et régional. Il explique ce qui constitue une violation dans le contexte du Protocole et comment amener ceux qui commettent ces violations devant des tribunaux nationaux et des mécanismes régionaux tels que la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples. Il fournit une jurisprudence à laquelle les avocats peuvent faire référence dans les principales affaires relatives aux droits des femmes, résultant de décisions prononcées par plusieurs organes de suivi des traités relatifs aux droits de l'Homme, y compris la Commission africaine.

AWID: Comment les états membres sont-ils tenus responsables des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis des droits humains des femmes énoncés dans le Protocole?

FJM: Les états membres doivent périodiquement soumettre un rapport à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples quant aux progrès accomplis ; et la Commission de l’UA effectue un suivi annuel et fait un rapport sur les progrès réalisés par les pays pour respecter leurs engagements dans le cadre de la Déclaration solennelle sur l'égalité entre les hommes et les femmes en Afrique.

Nous saisissons toutes ces occasions pour interpeller les pays pour qu’ils rendent compte de leurs obligations vis-à-vis du Protocole. Nous apportons notre soutien à la Commission dans l’élaboration de lignes directrices pour la présentation de rapports relatifs au Protocole et la formation des états membres quant à sa mise en œuvre. Nous travaillons également en partenariat avec ONU Femmes et la Commission de l’UA pour pousser les pays à élaborer des instruments et des plans d’action pour la domestication et à la mise en œuvre du Protocole.

AWID: Que faut-il faire pour garantir que la mise en œuvre effective du protocole de manière à ce que les femmes africaines puissent jouir pleinement de leurs droits?

FJM: Nous encourageons les pays à adopter un cadre multisectoriel élaboré par ONU Femmes sur la base de l’expérience d’autres interventions multisectorielles appliquées par les pays. Ce cadre a pour but d’accélérer la mise en œuvre d’instruments relatifs aux droits humains, en particulier le Protocole de Maputo et la CEDAW.

SOAWR et ONU Femmes ont convoqué ensemble, en partenariat avec la Commission de l’UA, deux conférences destinées à présenter ce cadre à 28 des 31 pays qui ont ratifié le Protocole. Nous avons mobilisé un soutien additionnel pour les pays qui sont disposés à tester le cadre. Notre intention est d’appuyer six pays et de documenter leurs expériences de façon à pouvoir tirer des enseignements de leurs interventions. Nous espérons que les résultats inciteront d’autres pays à expérimenter ce cadre. Les pays sont aussi à la recherche d’idées et d’encouragements car ils se sont engagés à mettre en œuvre leurs obligations durant la Décennie de la femme africaine (2010-2020) ; ceci constitue donc une excellente occasion de multiplier nos efforts de plaidoyer.

[1] Les pays qui n’ont pas signé le Protocole de Maputo sont: le Botswana, l’Égypte, l’Érythrée, la Tunisie.

[2] L’Organisation de l’Unité africaine (OAU) a été créée le 25 mai 1963. Elle a été dissoute le 9 juillet 2002 par son dernier président, le président sud-africain Thabo Mbeki, et a ensuite été remplacée par l’Union africaine (UA).

[3] Grâce au lobbying du mouvement des femmes africaines, l’on a noté avec consternation que la Charte africaine n’abordait pas de façon appropriée et explicite les droits humains des femmes.

[4] Ces organisations incluent Women in Law and Development in Africa (WiLDAF) et le Réseau des femmes africaines pour le développement et la communication (FEMNET).

[5] Voir note 4

[6] Voir note 4

[7] Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW)

[8] Plusieurs publications relatives à la campagne sont disponibles sur le site web de SOAWR et apportent des détails aux lecteurs intéressés par le sujet sur divers aspects de la campagne et sur les problèmes qui touchent les femmes africaines.

[9] Le guide est actuellement disponible en anglais seulement. Les traductions en espagnol, français, et arabe en attente.

[10] Au moyen de politiques et de lois, selon que de besoin et, naturellement, par la pratique/application.

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID