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Les effets de la crise économique mondiale et de l’ajustement structurel sur les femmes et les relations entre les sexes en Grèce : Première vague

DOSSIER DU VENDREDI : Un chômage grandissant, une réduction des pensions, une hausse des impôts, une violence familiale exacerbée et un éventuel renforcement des « valeurs traditionnelles » : tels sont quelques-uns des défis auxquels sont confrontées les femmes dans le cadre de cette première vague de la crise économique et de l’ajustement structurel en Grèce.

Par Lois Woestman et Kathambi Kinoti

En 2009, l'AWID a sollicité la réalisation d’une étude sur les répercussions de la crise financière mondiale sur les droits des femmes. L’un des pays abordés dans cette étude était la Grèce, premier pays de l’Union européenne à se trouver au seuil d’un moratoire au titre de la dette extérieure. Lois Woestman, chercheuse féministe américaine et grecque, a effectué cette recherche publiée par l'AWID dans un dossier intitulé « The Global Economic Crisis and Gender Relations: The Greek case. » Ce dossier du vendredi est un résumé de l’analyse présentée dans le dossier.

Selon Woestman, les crises économique et financière latentes en Grèce depuis un certain temps ont éclaté à la fin 2009 en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs internes et internationaux. Sur le plan interne, l'absence de stratégies économiques cohérentes a miné le secteur productif de la Grèce, encore affaibli par le ralentissement de l’économie mondiale. Cette situation a aussi été aggravée par la mauvaise gestion du secteur public. La corruption sévissait partout et le gouvernement était fortement endetté. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), la dette publique de la Grèce représentait, à la fin 2009, 6% du produit intérieur brut (PIB), pourcentage nettement supérieur au plafond de 3% fixé par l'UE pour les membres de la zone euro. Les gouvernements successifs ont dissimulé ces crises grandissantes sur le plan économique et budgétaire en falsifiant les informations.

Lorsque le parti socialiste Pasok est arrivé au pouvoir fin 2009, des statistiques précises ont été publiées. Ceci a provoqué, comme l’affirme Woestman, un effet domino. Les notations de solvabilité de la Grèce ont plongé et les spéculateurs financiers ont poussé à la hausse le coût de la dette du pays, exigeant de plus grands bénéfices sur les montants vendus comme investissements à risque. Par conséquent, le gouvernement grec devait payer plus cher pour emprunter ce qui n’a fait qu’accroître le fardeau de la dette.

Imposition de mesures d’ajustement structurel

Peu après, l’UE et le FMI sont intervenus dans le cadre d'une "opération de sauvetage" fondée sur un ajustement structurel et ont exercé diverses pressions afin d'obtenir de la Grèce qu'elle démantèle le système de sécurité sociale et impose de strictes mesures d’austérité. Pendant plusieurs années, les différents gouvernements grecs, autant les conservateurs que les libéraux, se sont opposées à l’application de mesures d’ajustement structurel en raison de leurs orientations favorables à l’état-providence et le fait que ce démantèlement pourrait leur faire perdre les élections. Le parti socialiste Pasok avait gagné les élections haut la main en octobre 2009, avec la promesse d’injecter des liquidités dans l’économie, d’accroître les dépenses sociales pour mitiger les effets de la crise sur les personnes à plus petits revenus, de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer la transparence du gouvernement. Début 2010, le gouvernement du Pasok a toutefois changé de cap et a accepté le programme d’ajustement structurel proposé par l’UE et le FMI, et a commencé à introduire de strictes mesures d’austérité.

Impact sur les femmes grecques et les relations entre les sexes

La première vague de la crise économique et budgétaire en Grèce et le programme d’ajustement structurel mis en place pour y faire face ont déclenché des processus qui exacerbent les inégalités de classe et le malaise social, les inégalités entre les sexes et une crise dans « l’économie non rémunérée des soins ».

Le chômage est monté en flèche et le taux de chômage féminin a augmenté deux fois plus vite que celui des hommes. Malgré cela, les bénéficiaires de l’aide gouvernementale aux chômeurs sont majoritairement des hommes car ces mesures sont essentiellement orientées vers les secteurs où prédominent les hommes, plus que vers les secteurs où prédominent les femmes.

La crise s'est traduite par une hausse de 25% du taux des emplois à temps partiel pour les hommes et de presque 20% pour les femmes. Bien que le nombre d’hommes travaillant à temps partiel ait augmenté de façon significative, les femmes représentent encore trois-quarts des emplois à temps partiel et, d’une manière générale, reçoivent des salaires inférieurs et moins d'avantages sociaux. Le gouvernement a gelé le recrutement dans le secteur public, notamment de la santé et de l’éducation, traditionnellement considérés comme des secteurs d’emplois féminins, entraînant une augmentation du nombre de femmes privées d’une protection sociale adéquate telle que les allocations de maternité.

Des réductions salariales et des pensions ont été appliquées dans les secteurs public et privé. Des écarts de salaire entre hommes et femmes existaient dans les deux secteurs, mais d’une manière plus prononcée, avec 20% de différence, dans le secteur privé. En raison de ces écarts, les réductions salariales ont frappé plus cruellement les femmes et les ont encore appauvries.

Ces écarts de rémunérations entre les sexes et les années pendant lesquelles les femmes se consacrent aux soins de leurs dépendants plutôt qu’à un emploi rémunéré impliquent que les femmes grecques recevaient déjà des pensions inférieures à celles des hommes. Jusqu’il y peu, à savoir l’introduction récente d’une mesure imposant l’âge de la retraite dans le secteur public à 65 ans à la fois pour les hommes et les femmes, celles-ci avaient la possibilité de prendre leur retraite jusqu'à 15 ans avant l'âge normal pour se consacrer à leurs enfants. Dans l’ensemble, les femmes grecques vivent plus longtemps que les hommes. Par conséquent, beaucoup de pensionnés, surtout parmi les femmes, vont devoir reprendre un emploi pour compléter leurs maigres pensions.

Certains, en Grèce, considèrent que l’augmentation de l’âge de la retraite est une mesure positive en termes d’égalité entre les sexes. Pour d’autres, cette mesure est peu pratique et injuste tant que n’existe pas un système permettant d’atténuer le poids des tâches non rémunérées de soins réalisées par les femmes et qui sont en augmentation en raison des réductions des dépenses publiques en santé et éducation.

La chute des revenus va de pair avec la hausse des impôts. Les taxes sur la valeur ajoutée ont déjà été ajustées deux fois à la hausse. Ces impôts non spécifiques touchent surtout les plus pauvres car ils compromettent de façon disproportionnée leur pouvoir d’achat déjà réduit. En résumé, cette orientation unilatérale de l’austérité et l’absence d’un plan de relance expliquent que la Grèce soit tombée dans une grave récession, sans issue prochaine.

Ceci se traduit par une aggravation de la pauvreté. Avant la crise, La Grèce enregistrait déjà des niveaux de pauvreté beaucoup plus élevés que dans les autres pays de la zone euro. En 2007, 21% des femmes et 18% des hommes étaient considérés comme pauvres. Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes à revenu moyen qui tombent dans la catégorie dite de "nouveaux pauvres".

La crise économique a également exacerbé la violence familiale. Certains hommes se sentent menacés dans leur virilité par le chômage et deviennent de plus en plus agressifs, tant verbalement que physiquement, à l’égard des femmes avec qui ils partagent leur vie et les enfants souffrent également les conséquences de l’anxiété de leurs parents.

Les sombres perspectives professionnelles des jeunes pourraient également favoriser un retour aux « valeurs familiales » traditionnelles. Selon un psychologue et analyste grec cité par Woestman, « Si les jeunes femmes surtout constatent qu’elles ont peu de chances d’avoir une carrière intéressante, elles pourraient décider d’y renoncer et de se centrer sur les choses les plus significatives et qui ont une plus grande valeur, ce qui veut dire, dans le contexte de la Grèce, le rôle de mère et de femme au foyer. »

Options proposées

Lors de manifestations publiques, les grecs ont réclamé des poursuites judiciaires contre les politiciens corrompus et une hausse des impôts pour les plus riches qui sont aussi les principaux fraudeurs fiscaux. D’autres propositions concernent la vente d’actifs publics et la privatisation est déjà en marche. Toutefois, les grecs y sont majoritairement opposés car les acheteurs étrangers exportent généralement les bénéfices, comme l’indique l’expérience de plusieurs pays où des programmes de ce type ont été mis en œuvre. Ceci est aussi considéré comme une grave perte de souveraineté nationale.

Le premier ministre grec, M. George Papandreou a proposé d’introduire des mesures de gouvernance économique à l’échelle mondiale « afin de corriger beaucoup d’excès de la mondialisation » tels que l’absence d’une réglementation adéquate régissant les opérations sur instruments dérivés. L’une de ces mesures pourrait être l’introduction d’un impôt sur les transactions financières.

Transform !, réseau européen pour la pensée alternative et le dialogue, propose une révision de fond en comble du « Projet européen » qui, à leur avis, est devenu un projet néolibéral. Le réseau Women in Development Europe (WIDE) a proposé de repenser la façon dont sont définies les composantes de « l’économie ». Le réseau signale que « l’économie devrait être centrée sur la promotion d’activités susceptibles de préserver la vie humaine et environnementale, servant de fondement à un remaniement radical des modèles de développement qui conduisent à un système économique plus humain et écologiquement durable. »

Woestman signale que, dans la première phase de la crise et de l’ajustement structurel, les féministes grecques n’ont proposé que très peu d’alternatives spécifiquement féministes. Le mouvement féministe en Grèce est modeste et généralement inséré dans les partis politiques et les syndicats. Les féministes regroupées au sein de syndicats disposent de plus de ressources et d’espace pour s’organiser que celles qui fonctionnent en dehors de cette structure mais elles s’organisent dans les limites de la politique syndicale, dans le cadre de laquelle les questions de genre ont souvent été considérées comme secondaires. Selon une féministe grecque interviewée par Woestman, dans le cadre d’une conjoncture dans laquelle les hommes perdent également leurs emplois, beaucoup de femmes estiment qu’il serait peu pertinent du point de vue stratégique de mettre l’accent sur les « questions féminines », même si le taux de chômage féminin est plus élevé.

Toutefois, comme le signale Woestman, la désillusion que ressent la majorité des Grecs vis-à-vis de la politique partisane traditionnelle constitue l’occasion de renforcer un mouvement féministe indépendant et de prendre des mesures urgentes sur de nombreux fronts.

L’un des ces aspects urgents est le soin des personnes à charge. Le gouvernement grec devrait accroître, et non pas réduire les services de soins des personnes dépendantes, notamment en raison de l’augmentation de l’âge de la retraite qui fait que les femmes plus âgées ne sont plus disponibles pour assumer cette tâche non rémunérée. Le gouvernement a déjà un plan pour subventionner les mécanismes privés de garderies à l’aide de fonds de l’UE mais les féministes appartenant aux syndicats insistent sur le fait que ces fonds devraient être utilisés pour créer de nouvelles structures publiques. Le travail de soins non rémunéré devrait également être reconnu dans le régime des pensions, de manière à ne pas porter préjudice aux femmes qui se sont retirées de façon anticipée pour pouvoir prendre soin de leurs enfants. De telles mesures devraient empêcher que la crise budgétaire ne soit transposée de l’état aux ménages, et en particulier aux femmes.

Selon les féministes et d’autres groupes, les coupes budgétaires devraient porter sur d'autres secteurs, et non pas sur les dépenses sociales. Par rapport à d’autres pays de l’UE, la Grèce consacre une portion démesurée de son PIB aux dépenses militaires dans le cadre de la tension historique qui existe vis-à-vis de la Turquie. Les féministes et d’autres groupes estiment que ces dépenses devraient être réduites pour favoriser les dépenses sociales. Le gouvernement grec a proposé à la Turquie une réduction de 25% des dépenses militaires dans les deux pays mais cette proposition est restée sans écho.

Le manque de données ventilées par sexe, de même que d’évaluations de l'impact selon le genre et d’une budgétisation sensible au genre, rend très difficile la réalisation d’une analyse globale des options proposées et la formulation de recommandations équitables. Les féministes grecques doivent insister sur la nécessité d’améliorer la collecte de données de la part du gouvernement central et des autorités locales, et leur demander d’utiliser ces données aux fins de la budgétisation et de l’évaluation de l’impact selon le genre.

La Grèce est dotée d’un Secrétariat général pour l’égalité et d'un Centre pour l’égalité de genre. Ces organisations étaient jadis très actives dans la promotion de l’égalité de genre mais elles ont été amputées et affaiblies par l’administration conservatrice précédente. Les féministes doivent faire campagne pour que ces organismes reçoivent davantage de fonds et disposent de plus d’autonomie.

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Europe
Source
AWID