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Les dimensions sexospécifiques de la crise économique dans la zone euro - Actualités

DOSSIER DU VENDREDI: Dans cet article, AWID se penche sur les formes actuelles de la crise de la zone euro et sur les dynamiques de genre qui en découlent.

Au cours des quatre dernières années, la zone euro semble avoir été tissée et détissée à l’infini – comme une vieille écharpe en laine qui ne ressemble plus à rien, mais dont on ne peut se défaire et que l’on ne se lasse pas de remettre en état. En somme, des milliards d’euros en prêts ont été accordés par la « troïka » – Commission européenne (CE), Banque centrale européenne (BCE) et Fonds Monétaire International – à des pays de la zone euro en difficultés comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Ces prêts sont accordés aux gouvernements sous réserve qu’ils réduisent leurs dépenses internes, notamment par des coupes budgétaires appliquées aux budgets vus comme « non contraignants »: dépenses sociales, santé et enseignement. Il en résulte que les groupes déjà marginalisés pour des raisons de genre, de race et de classe sociale, les personnes âgées, les jeunes et les femmes célibataires et migrantes portent le fardeau de la crise.

De quelles sommes s’agit-il et à qui sont-elles versées ?

Les difficultés financières de la zone euro ont gagné en visibilité dès 2009 et ont commencé à migrer d’un pays à l’autre après avoir touché la Grèce, un pays endetté à hauteur de 113 % du PIB – soit le double du taux d’endettement maximal de 60 % autorisé dans la zone euro et un record d’endettement dans son histoire contemporaine. En mai 2010, l’Union européenne (UE) et le FMI ont approuvé des prêts de sauvetage financier de 110 milliards € à la Grèce pour aider le gouvernement à rembourser sa dette. Ce sauvetage financier s’étant avéré insuffisant, un deuxième renflouement de 130 milliards € a été accordé à la Grèce début 2012. Après les manifestations de réaction aux mesures d’austérité adoptées par le gouvernement qui ont fait la une des médias, le 12 février dernier, les citoyens grecs sont à nouveau descendus dans la rue pour protester contre l’adoption de la loi d’austérité budgétaire au parlement.

En 2010, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande, également très endettés, ont soulevé des inquiétudes croissantes. Un ensemble de prêts d’un montant de 85 milliards € a été accordé fin 2010 à l’Irlande et de 78 milliards € au Portugal en mai 2011. L’Espagne connaît aussi une crise de sa dette souveraine depuis 2009 et en mi-2012, le gouvernement espagnol a annoncédes restrictions budgétaires à hauteur de 65 milliards d’euros pour alléger le poids de la dette. On ne sait pas encore si l’Espagne demandera aussi un renflouement à la « troïka », mais certains analystes financiers prévoient qu’une demande de prêts d’urgence sera faite bientôt.

Quelles sont les conséquences pour les femmes ?

Les gouvernements qui reçoivent des prêts d’urgence de la part de la « troïka » sont tenus de remplir certaines conditions en matière de dépenses publiques. Par exemple, au Portugal, parmi les mesures spartiatesmises en place, on peut citer la privatisation de certaines industries, des coupes budgétaires dans le secteur public, la réduction des postes de travail dans le secteur public ainsi que l’augmentation des taxes sur les ventes de certains produits alimentaires. Ces mesures ont eu pour corrélat une augmentation du taux de chômage. Le taux de chômage désaisonnalisé est passé à 15 % en février 2012, contre 12,3 % à la même période l’an dernier. Parallèlement, le taux de chômage chez les jeunes atteignait 35,4 %.

coupes considérables , les impôts sur les revenus les plus faibles ont augmenté tandis que les salaires des fonctionnaires et les retraites ont baissé. Lors de sa visite en Irlande, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté a soulevé qu’« en adoptant ces mesures, l’Irlande risque fortement de marginaliser les plus nécessiteux et d’ignorer les besoins des plus vulnérables. Les femmes, victimes des multiples formes de discrimination enracinées dans la culture, sont particulièrement exposées aux effets nuisibles des coupes budgétaires en matière de services et de bénéfices sociaux. »

En 2009 et 2010, AWID a commandé des recherches sur l’impact de la crise financière mondiale sur les droits des femmes. Le rapport AWID 2010 sur l’Europe de l’Est expose que dans les solutions apportées pour résoudre la crise de la zone euro, les gouvernements ne prennent pas assez au sérieux les conséquences que cette crise a en matière de genre. Particulièrement, il est souligné dans le rapport que « les plans de redressement européens ne tiennent pas compte des ‘spécificités de genre’ et n’envisagent pas d’investissements en matière de soins, de services communautaires, d’enseignement ou de santé. La crise économique reste marquée par cette ignorance des spécificités des femmes et les sphères publiques ne reconnaissent pas suffisamment l’impact de la crise sur les activités économiques des femmes: baisse de salaire, perte d’emploi ou augmentation du travail non rémunéré dans la prestation de soins ou le travail domestique ».

Deux ans après, la donne n’a pas changé. Transform!, une revue européenne pour une pensée alternative et un dialogue politique, avance dans sa dernière publication que « les femmes sont doublement touchées, car le personnel du secteur public et les utilisateurs des services sociaux sont majoritairement des femmes... les coupes budgétaires dans les services de santé et la sécurité sociale touchent particulièrement les femmes pour autant qu’elles doivent assumer le rôle de chef de famille. Les femmes sont contraintes d’assumer elles-mêmes la prestation de services supprimés par l’État, ce qui pose des difficultés dans leur vie familiale et professionnelle. L’alourdissement de la charge de travail non rémunéré dans leur vie privée va au détriment de leur emploi, ce qui accentue les inégalités de genre sur le marché du travail et dans la répartition du temps des femmes ».

Bien qu’en période de crise, les hommes comme les femmes risquent de perdre leurs emplois et s’achopper à l’inflation, à la réduction des services publics et l’augmentation des impôts, ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants, des personnes malades ou âgées et se chargent de la cuisine et du ménage. Ce sont également elles qui joignent les deux bouts lorsque les prestations publiques sont supprimées et leur charge de travail non rémunéré et domestique s’alourdit. Comme l’a souligné l’auteure d'un commentaire, « le travail des femmes remplace non seulement les revenus du ménage, il subventionne aussi l’État ».

Outre les séquelles directes de la crise, on peut citer ses effets indirects, comme l’incapacité de comprendre intégralement et de manière précise l’expérience des femmes. Cette sous-estimation de l’impact de la crise sur les femmes s’exprime sur le marché du travail, où des données désagrégées par sexe ne sont pas toujours disponibles et sont souvent recueillies en termes de personnes « employées » ou « au chômage ». Les « sous-employés » ou les travailleurs pauvres qui travaillent à mi-temps et voient leurs temps de travail réduits des suites de la crise ­– typiquement des femmes – échappent aux statistiques et dès lors, on ne peut cerner leurs expériences ou en tenir compte.

Peut-on agir ?

La Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes de la Commission européenne s’est attelée à certaines de ces problématiques et d’après le dernier rapport annuel de la CE sur l’égalité entre les femmes et les hommes, « les réponses de l’UE à la crise économique actuelle doivent impérativement améliorer l’égalité entre hommes et femmes ». Les débats sur les moyens de traduire cette volonté en faits concrets semblent cependant mettre l’accent sur une meilleure participation des femmes à la population active et notamment à des postes de prise de décisions économiques – ce qui pourrait être atteint en améliorant les services de garde à l’enfance et en flexibilisant leurs conditions de travail.

Lors du Forum AWID 2012 tenu en avril 2012, Women in Development Europe(WIDE Plus) a organisé une session sur l’impact de la crise européenne sur la vie des femmes. Des femmes originaires d’Espagne, de la Grèce, de l’Italie et de l’Allemagne ont parlé des difficultés auxquelles les femmes de ces pays s’achoppent et ont souligné « le besoin commun de coopérer et de s’exprimer d’une même voix critique et féministe dans les débats en cours en Europe ». Le rapportdes déclarations du panel du Forum AWID a été décrit par WIDE Plus comme une « excellente contribution vers une voix féministe européenne contre la crise ».

Au niveau macro, on observe dans la zone euro une tendance croissante à la crise existentielle – c'est-à-dire que la nature même du contrat est remise en question et que les règles du jeu doivent changer pour que l’euro survive et prospère. Dans sa déclaration au Forum AWID, Christa Wichterich (Allemagne) a avancé que la crise fait la lumière sur « les contradictions internes au sein de l’UE et en matière d’intégration européenne: politiques monétaires communes, mais politiques fiscales, de salaires et industrielles individuelles; écart croissant entre l’économie réelle et le secteur financier, manque d’emplois en dépit des capitaux financiers faramineux et fortes inégalités entre les pays ».

Si ces propos reflètent la réalité, une réponse féministe forte aux conséquences de la crise et la participation des femmes à une restructuration potentielle de la zone euro sont indispensables. Impliquer, tel que proposé par la CE dans son rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, davantage de femmes aux sphères de prise de décision à haut niveau ne va pas assurer que les femmes à l’échelon local soient entendues. Des mécanismes de consultation efficaces associés à une plus forte voix féministe auront plus de poids.

La Commission européenne et le Parlement européen sont une porte d’entrée à ces actions. D’après son site Internet, la Commission « a le droit d'initiative: elle peut proposer des textes législatifs pour adoption par le Parlement européen et le Conseil de l'UE (composé des ministres des États membres). Avant toute proposition, la Commission consulte l'ensemble des parties intéressées pour pouvoir tenir compte de leurs points de vue. En général, une proposition législative s'accompagne de la publication d'une évaluation de ses conséquences potentielles sur le plan économique, social et environnemental. » Le Traité de Lisbonne (article 11 TUE) impose la consultation de la société civile, ce qui peut permettre aux organisations de défense des droits des femmes et aux personnes d’exiger des changements[1]

[1] Pour de plus amples informations sur la consultation UE-ONG, rendez-vous sur:

1. http://ec.europa.eu/yourvoice/index_en.htm - portail destiné aux personnes et organisations souhaitant participer aux consultations publiques ou commenter les propositions législatives;

2. http://www.ngoeuconnect.ie/content.php?area=13 – Site Web irlandais proposant des informations utiles sur les possibilités qu’ont les ONG de communiquer avec des institutions européennes.

Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire «Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Europe
Source
AWID