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Le géant pétrolier Shell est tenu pour responsable de la pollution environnementale – Une petite victoire pour les femmes du Delta du Niger

DOSSIER DU VENDREDI – A l’issue d’un procès long de 5 ans, un tribunal néerlandais vient de confirmer la responsabilité de la Subsidiaire nigérienne de Shell dans la pollution de terres agricoles au Nigeria, ce qui constitue une victoire dans le combat contre la société pétrolière qui est au cœur des préoccupations environnementales depuis plus de 40 ans.

L’AWID s’est entretenue avec Caroline Usikpedo, présidente nationale du Mouvement des femmes du Delta du Niger pour la paix et le développement (Niger Delta Women’s movement for Peace and Development (NDWPD)), qui nous a exposé le point de vue des droits des femmes dans le combat actuellement mené contre le géant pétrolier.

Par Rochelle Jones

Le 30 janvier de cette année, un tribunal néerlandais a statué contre une subsidiaire de la société Royal Dutch Shell et lui a attribué la responsabilité de la pollution des terres agricoles de Ikot Ada Udo, dans l'État de Akwa Ibom, sur la côte sud du Nigéria. Le Delta du Niger est le plus grand delta d'Afrique : il s’étend sur 7.000 km², dont un tiers est composé de terres humides qui abritent la plus grande forêt de palétuviers du monde.

L'exploration et la production du pétrole constituent le plus grand et le plus important secteur industriel du Nigéria et le pétrole représente presque 85 % des recettes publiques actuelles. Ceci est une triste réalité non seulement pour la nature mais aussi pour les 20 millions de personnes qui vivent dans la région du Delta, et en particulier pour les communautés minoritaires et autochtones qui, comme le signale Caroline Usikpedo, « sont victimes de mauvais traitements, de la marginalisation économique, de la violence et de la dégradation de l'environnement. »

Usikpedo décrit l'évolution de ce combat au cours des dernières décennies et souligne qu’il est lié au fait que « les libertés fondamentales et des droits humains consignés dans la constitution nigériane sont de nature non justiciable[i]ce qui ôte tout son sens à son objectif d'égalité. » Elle ajoute que la constitution reste muette en ce qui concerne la législation environnementale et « qu'il importe de comprendre que l'impact de l'industrie pétrolière sur l'environnement dans le Delta du Niger se produit dans un contexte dans lequel les moyens d'existence, la santé et l'accès aux aliments et à l’eau pure de centaines de personnes dépendent étroitement de la qualité des terres et de l'environnement. Les dommages qui ont été et sont encore causés à l'environnement comme résultat de la production pétrolière du Delta du Niger ont gravement porté atteinte aux droits humains. »

Déversements d'hydrocarbures, rejets de déchets et torchères de gaz

Selon Usikpedo, cette pollution affecte la région depuis des décennies. « La pollution a endommagé la terre, l'eau et la qualité de l'air. Des centaines de personnes sont touchées par le phénomène, notamment les plus pauvres et ceux qui dépendent des moyens de subsistance traditionnels comme la pêche et l'agriculture. Les habitants du Delta du Niger doivent boire une eau polluée, qu'ils utilisent également pour cuisiner et se laver ; ils mangent du poisson contaminé par le pétrole et d'autres toxines, s'ils ont la chance de trouver encore du poisson ; les terres qu'ils utilisent à des fins agricoles se dégradent de plus en plus ; après les déversements de pétrole, l'air qu'ils respirent pue le pétrole et le gaz et d'autres polluants ; ils souffrent de problèmes respiratoires, de lésions cutanées, et d'autres problèmes de santé. Pourtant, ces problèmes ne sont pas pris en compte sérieusement et les habitants n'ont pratiquement aucune information sur les impacts de la pollution.

Usikpedo signale que le torchage de gaz qui se produit lorsque le pétrole est extrait du sous-sol et que le gaz est séparé et brûlé comme déchet dans d'énormes torches est un processus qui a des effets particulièrement nocifs : « Les torches, dont la combustion se fait 24 heures sur 24 dans de nombreuses régions, provoquent de graves problèmes de pollution acoustique aux gens qui vivent dans les environs et certaines communautés sont éclairées en permanence. Lorsque se produit la combustion du gaz, celle-ci est souvent incomplète et des gouttes de pétrole retombent sur les voies d’eau, les cultures, les maisons et les gens. » En dépit des préoccupations manifestées par les communautés et les professionnels de la santé quant à l'impact du torchage de gaz sur les personnes, en particulier sur les enfants en bas âge, les femmes et les personnes âgées et tous ceux qui présentent déjà des problèmes de santé, « ni le gouvernement, ni les sociétés pétrolières n'ont réalisé d'études spécifiques pour analyser les effets de cette combustion sur la santé humaine. Cette grave défaillance fait que des milliers de personnes sont aujourd'hui confrontées à des risques inconnus à court et à terme. Cette situation exige une action décisive et rapide pour analyser et surveiller leurs conditions sanitaires afin de protéger les groupes vulnérables et mettre fin à la pratique du torchage. »

La perspective des droits des femmes sur le dommage environnemental

Le jugement qui vient d'être rendu est le résultat du combat mené depuis des années, depuis 2008, par des communautés vivant dans la zone pétrolière, avec le soutien de l'organisation environnementale Amis de la Terre. A propos de la réaction des femmes contre la pollution de la société pétrolière, Usikpedo explique que pour les femmes, « la qualité et la pérennité de l'environnement sont des facteurs fondamentaux pour leur bien-être en général et pour le développement [car] les gens de la région dépendent de l'environnement naturel qui constitue leur principale, voire unique, source d'alimentation à travers l'agriculture, la pêche et la collecte de produits forestiers. La pollution et les dommages causés à l'environnement constituent une grave menace pour les droits humains. »

Le Mouvement des femmes du Delta du Niger pour la paix et de développement (NDWPD) a été créé pour apporter des secours après les crises et pour s'attaquer à la violence à l'égard des femmes, de façon explicite les femmes et les communautés pauvres et marginalisées. Bien que la réduction de la pauvreté, le bien-être social, la justice environnementale et les droits des communautés aient été utilisés pour faire pression sur les gouvernements et les obliger à assumer une plus grande responsabilité sociale, Usikpedo affirme qu’ « il y a beaucoup moins de mesures destinées à améliorer la santé des femmes dans le Delta du Niger. L'espérance de vie est tombée à 45 ans pour les femmes. Ce que nous affirmons, c’est que nous ne pouvons nous permettre de rester indifférent et c’est maintenant qu’il faut agir. En 2009, nous avons décidé d’organiser des audiences sur le genre et le climat réunissant des femmes rurales qui supportent directement l’impact du changement climatique et qui sont aussi celles qu’on écoute le moins. »

Le NDWPD est membre de l’équipe spéciale féministe (Feminist Task Force) en collaboration avec l'Alliance mondiale contre la pauvreté (GCAP), Greenpeace international et l’IPS international. Le NDWPD a réalisé trois audiences dans le Delta – deux en 2009 et une en 2011 – suivant le modèle: “Strengthening Voices: Search for Solutions: Women’s Tribunals on Gender and Climate Justice (Renforcer les voix : recherche de solutions : les Tribunaux de femmes sur le genre et la justice climatique) Les résultats des audiences de 2009 ont été présentés au « Klimaforum » qui a réuni la société civile à Copenhague, parallèlement à la Conférence des Nations Unies sur le Climat à Copenhague (COP15). Le but de l’audience de justice climatique de 2011 était de faire évoluer les solutions locales et de faire entendre les voix de ceux qui sont les plus touchés afin d’influencer les négociations et les plans d’action sur le changement climatique à l’échelon national et international durant la COP17 et Rio+ 20.

Outre les audiences, le NDWPD a aussi mené des activités destinées à renforcer la participation des parties prenantes au débat actuel sur le changement climatique à l’échelle mondiale, notamment en développant la base de connaissances et en sensibilisant les dirigeants communautaires et la classe politique. Usikpedo ajoute que le but est également « d’alerter la communauté internationale sur la situation d’abandon des femmes rurales dans les communautés rurales. »

Victoire judiciaire : un petit pas en avant

Malgré la victoire remportée en janvier auprès du tribunal pour les agriculteurs d’Ikot Ada Udo, le NDWPD manifeste sa déception du fait que quatre autres cas dans les communautés voisines de Goi et Oruma ne fassent pas l'objet d'une décision similaire. Le tribunal a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que les déversements observé à Goi dans l'État de Rivers et à Oruma dans l'État de Bayelsa n'aient pas été nettoyés et qu'il n'y avait en fait aucune preuve démontrant que les déversements n'ont pas été provoqués par un sabotage (arguments présentés par la défense de Shell durant le procès). Le NDWPD a fait appel auprès du tribunal pour que l'affaire soit révisée et se demande pourquoi un Rapport du programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) n'a pas été considéré comme une preuve suffisante pour qu'une décision soit prise contre Shell dans ces autres affaires. Le rapport démontre que « la pollution provoquée pendant plus de 50 ans à la suite des opérations pétrolières dans la région s'est étendue plus loin et plus profondément que beaucoup ne peuvent supposer... certaines régions peuvent paraître intactes à la surface alors qu'elles sont en réalité fortement polluées au niveau du sous-sol ». Usikpedo confirme les preuves présentées par le PNUE et ajoute qu'aujourd'hui « Goi est une terre complètement désertée ; tous les habitants ont quitté la région après le déversement qui s'est produit en 2005 et pour lequel il n'y eut aucun nettoyage ni compensation. Elle ajoute : « je pense que le tribunal n'a pas appliqué la même sentence dans le cas de ces communautés car il n'a pas voulu imputer Shell une deuxième fois. Dans ce cas, le tribunal a été très biaisé et injuste pour éviter de poser un précédent. » Channa Samkalden, avocate qui défend les agriculteurs nigérians, a affirmé récemment à Al Jazeera: « Au moins Shell a été imputée dans une des affaires. C'est un bon commencement. Un autre fait important est que le tribunal a signalé que la société Shell était obligée de prendre des mesures pour éviter les sabotages, ce qui constitue bien sûr un problème de fond. »

Usikpedo espère que « le travail réalisé par le PNUE et la communauté internationale en matière de droits environnementaux peut éviter de futures tragédies telles que celle que nous connaissons dans le Delta du Niger. » Elle souhaite, par son action, faire savoir que « les femmes du Delta du Niger sont les plus vulnérables ; elles doivent supporter l'impact du changement climatique, de la pauvreté et des violations des droits humains. » Le NDWPD lance un appel aux communautés internationales afin qu'elles contribuent à la prise de conscience sur ce problème. « Il est important d'obtenir tout le soutien et l'habilitation possible pour nous aider à faire campagne pour la paix et le développement dans le Delta du Niger, au Nigéria. »

Informations supplémentairesPour en savoir plus, vous pouvez contacter le Niger Delta Women’s movement for Peace and Development au courriel : nigerdeltawomen@gmail.com

Télécharger le communiqué Landmark Victory against Shell Oil Not Enough

Lire le rapport intitulé Gender and Climate Justice report on Niger Delta du NDWPD sur le blog de la Feminist Task Force en ce qui concerne le genre et la justice climatique : www.climatejusticetribunals.blogspot.comVoir la vidéo de l'audience de 2009 Niger Delta Women's Tribunal on Climate Justice

http://feministtaskforce.org/videos-2/

[i] Qui ne peut être réglé légalement moyennant une action en justice

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Analyses
Region
Europe
Afrique
Topics
Environnement
Source
AWID