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Land Day 2015: Activism and Challenges for Palestinian Women and Girls

DOSSIER DU VENDREDI : Les Palestinien-ne-s, et les personnes solidaires avec la Palestine à travers le monde, commémorent la Journée de la terre chaque 30 mars. Ce jour-là en 1976, des milliers de Palestinien-ne-s avaient entamé une grève générale et des protestations contre l'annonce du gouvernement israélien de la confiscation de surfaces importantes de terres palestiniennes pour y établir de nouvelles colonies israéliennes. A l’issue de ces manifestations, six personnes furent tuées, et des centaines blessées et arrêtées par les forces israéliennes. La Journée de la terre est depuis commémorée chaque année. 

Par Mégane Ghorbani 

Cette année, par solidarité et afin de commémorer la Journée de la terre, l'AWID s'est entretenue avec sept personnes1 travaillant sur les droits des femmes en Palestine pour en savoir plus sur les conséquences de l'occupation israélienne sur les vies et des droits des femmes et des filles palestiniennes, et pour présenter différentes perspectives sur le militantisme et les défis pour construire un mouvement fort de soutien aux droits des femmes et des filles en Palestine.


Amal Khreishe, 57 ans | Palestinienne, vivant en Palestine occupée (Ramallah) | Directrice générale de la Palestinian Working Woman Society for Development (PWWSD)@PWWSD

La répression permanente exercée par Israël sur les Palestinien-ne-s affecte les femmes aussi bien dans la sphère privée que publique. Cette oppression s'associe à la montée du fondamentalisme dans la région, qui approfondit les violences faites aux femmes, et renforce le système patriarcal et les structures tribales traditionnelles. Les femmes palestiniennes n'ont pas accès aux ressources, et il n'existe pas de volonté politique dans les structures politiques palestiniennes pour atteindre l'égalité de genre, la sécurité et la protection des femmes.

Pour contribuer aux efforts collectifs de renforcement de la participation des femmes et lutte contre les violences basées sur le genre, la PWWSD déploie deux programmes principaux : les programmes d'autonomisation des femmes et de conseil. À travers ces programmes, une série d'activités sont mise en œuvre : sensibilisation, développement de capacités, réseautage, lobbying et plaidoyer, campagnes, etc. Ces activités sont centrées sur les questions de sécurité et de paix pour les femmes abordées par la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies 13252 et la CEDEF

Les principaux défis incluent la faiblesse des relations entre les ONG et les mouvements populaires, la concentration sur l'ONG-isation et le manque de financements disponibles. De plus, la faiblesse des partis politiques, en particulier des partis socialistes, et la division politique de la Palestine reflètent la polarisation des mouvements sociaux et syndicaux. Plus largement, la culture de mondialisation qui se concentre sur les intérêts individuels et le nouveau système libéral affaiblissent le mouvement social. Les jeunes manquent de confiance dans le système mondial, en particulier envers l'ONU et ses mécanismes, notamment parce qu'elle ne place pas Israël face à la responsabilité de ses crimes. Dans ce contexte, les politiques ne reflètent pas souvent les besoins des femmes.


Ghadir Shafie | Palestinienne, vivant en Israël | Co-directrice d'Aswat - Palestinian Gay Women

Les politiques israéliennes de discrimination systématique des droits et des libertés des Palestinien-ne-s et son occupation permanente des vies et des terres palestiniennes ont plusieurs conséquences. Les femmes palestiniennes en particulier payent le prix de l'occupation, car elle touche chaque aspect de leurs vies. Les larges restrictions sur la liberté de mouvement empêche les femmes d'avoir accès aux soins médicaux, à l'éducation ou au travail, les isolant ainsi des réseaux de soutien, et contribuant encore plus au chômage et à la pauvreté des femmes. Les femmes palestiniennes sont touchées de manière disproportionnée par les politiques et les lois israéliennes, qui à travers un système de permis et de bureaucratie administrative complexe empêchent les Palestinien-ne-s qui ont différents lieux de résidence de vivre ensemble en famille. Les femmes palestiniennes vivant en Israël font face à des défis similaires, et ont un statut de citoyennes de seconde zone en Israël, qui se définit comme un état juif plutôt que comme un Etat pour tou-te-s ses citoyen-ne-s. Plus de 50 dispositions des principales lois israéliennes discriminent, directement ou indirectement, les non-Juifs.

Aswat reconnaît l'intersection des combats des femmes palestiniennes homosexuelles et travaille au fil des ans pour promouvoir un discours qui unit le féminisme, le queeret la résistance à toutes les formes d'oppression. À travers notre travail et notre militantisme, nous proposons un espace d'entraide et d'autonomisation aux filles et aux femmes, nous contribuons à la sensibilisation publique aux droits et libertés des femmes, nous offrons des formations pour améliorer les capacités et compétences des femmes, nous formons des alliances avec des groupes féministes et de défense des droits humains, au niveau local et mondial, pour travailler à l'amélioration des droits, en particulier sexuels, des femmes palestiniennes dans toute la Palestine historique.  

La géopolitique constitue l'un des principaux défis de notre travail – devant travailler dans deux sociétés complètement différentes, qui sont en conflit. Par exemple, lorsque nous travaillons dans le cadre du Committee Against Femicide (Comité contre le fémicide), dont Aswat est membre, cela se fait à deux niveaux. D'un côté, nous devons résister à la négligence gouvernementale (la police n'intervient pas lorsque des femmes palestiniennes sont tuées, traitant ces crimes haineux comme une pratique interne à la société palestinienne arriérée). D'un autre côté, nous devons travailler au sein de la société palestinienne pour augmenter la sensibilisation et la responsabilité face au fémicide.  

Les différences immenses, et souvent irréconciliables, entre les agendas féministes israélien et palestinien constituent un autre frein significatif.  Les femmes israéliennes juives ne sont pas des cibles directes de discrimination dans la loi israélienne, et elles jouissent de certaines avancées obtenues par le mouvement féministe israélien. 

De nombreuses localités palestiniennes en Israël n'ont pas de transports publics, rendant difficile l'accès des femmes aux villes, ce qui contribue à leur déconnexion des réseaux de soutien et d'autonomisation. 

Dans le cas des femmes palestiniennes LBTQI, l'État d'Israël, dans le cadre de sa campagne « Brand Israel », utilise les droits des homosexuel-le-s pour présenter une image positive et détourner l'attention des violations des droits humains à travers le pinkwashing (maquillage en rose). Cette campagne vise à donner une image homophobe, primitive, arriérée et barbare des Palestinien-ne-s, tout en présentant Israël comme un havre pour les droits des homosexuel-le-s et un « sauveur » des Palestinien-ne-s gays ! 


Jenny Hornisch, 41 ans | Allemande, vivant à Jérusalem | Référente genre, conseillère en plaidoyer et médias à la Deutsche Gesellschaft für international Zusammenarbeit (GIZ) | @jen_jerusalem

Les niveaux permanents de violence et d'agressions liées à la confiscation des terres, aux démolitions des infrastructures et aux déplacements en Cisjordanie et à Jérusalem Est, et le récent assaut militaire dans la Bande de Gaza en juillet et août 2014, ont créé un environnement avec des niveaux de stress très élevés, sans précédent, affectant la situation des femmes et des filles, leur santé physique et mentale, leur sécurité et leurs droits à la protection, leurs moyens d'existence et leurs conditions économiques, et les exposant à des violences intrafamiliales et d'autres formes de violences basées sur le genre. 

La GIZ protège et promeut les droits des femmes et des filles palestiniennes dans différents secteurs avec des initiatives (entre autres) pour renforcer la participation des femmes aux processus de développement socio-économique dans la société civile, promouvoir la prise de décisions municipale sensibilisée au genre et la participation des femmes à l'administration locale. L'accès à l'éducation et la formation professionnelle technique et au marché du travail est facilité pour les étudiantes. Dans le secteur privé, nous apportons soutien et promotion aux coopératives de femmes travaillant dans le secteur alimentaire pour améliorer leurs conditions économiques. 

La colonisation et le régime discriminatoire d'Israël restreignent fortement le travail et la capacité opérationnelle des organisations de femmes palestiniennes. Celles-ci dépendent grandement des financements étrangers, ce qui limite leur stabilité financière et leur capacité à définir une vision et une planification stratégique à long terme.  Elles sont par conséquent davantage infléchies vers les projets, et non pas concentrées sur leur mission, mais presque exclusivement sur la prestation de services. L'absence d'une voix unifiée malgré la longue et riche expérience, l'incapacité à utiliser le réservoir essentiel d'information et de connaissances, et la tendance croissante à la compétition et aux conflits entre ces organisations limitent énormément leur efficacité. L'inadéquation de la gouvernance, la responsabilité et la transparence internes, et la persistance de pratiques non-démocratiques au sein de certaines de ces organisations ont pour conséquence une confiance publique et une capacité de mobilisation limitées. 

Il apparaît que les ONG de femmes dans leurs formes d'organisation et leurs tissus actuels peuvent réussir à jouer un rôle dans la défense des droits des femmes et des filles sur la scène internationale, à fournir des services aux groupes marginalisés, à proposer des politiques et visions nouvelles, à générer et diffuser de l'information. Mais, pour contribuer de manière intégrale à l'égalité de genre dans les territoires palestiniens, une forme différente d'organisation (et de mobilisation) est probablement nécessaire avec une vision développée localement et une base de pouvoir plus durable pour le changement social. Cette approche du bas vers le haut dépend bien entendu de mesures de soutien de la part des autorités gouvernementales.

D'autre part, l'impact de la structure patriarcale de la société, la colonisation d'Israël et la discrimination des femmes, des filles, des garçons et des hommes palestiniens sont interconnectés et se renforcent réciproquement, et ceci constitue un autre défi crucial pour les femmes et les filles palestiniennes qu'il est important de comprendre.


Mohamed Hilles, 32 ans | Palestinien, vivant en Palestine occupée (Gaza)| Responsable des relations publiques et des médias à la Zakher Association for developing women capacities, PDG et fondateur de ARTS For Media & Training | @mohamed_hilles

Le siège a des conséquences pour les femmes et les femmes, en particulier à Gaza. La liberté de mouvement est problématique et nous avons beaucoup d'enfants qui naissent au niveau de la barrière de sécurité israélienne car celle-ci empêche les femmes d'accéder aux hôpitaux. 

La Zakher Association se concentre sur l'autonomisation économique des femmes en mettant en œuvre des projets qui ciblent les veuves et les femmes divorcées. La cuisine féministe "Sarroud" de Zakher est l'un des projets pionniers dans la Bande de Gaza et la valeur de la cuisine repose sur le fait que les processus d'administration, de production, et de marketing pour le marché national sont tous effectués par des femmes. Ceci montre la capacité des femmes à l'autonomie, et leur capacité d'adaptation rapide aux circonstances qui les entourent. Zakher met aussi en œuvre un projet de broderie, avec 40 femmes fabriquant des produits de broderie pour les marchés locaux et internationaux.

Les défis à relever pour la construction d'un mouvement fort de soutien des droits des femmes et des filles comprennent l'occupation israélienne, les vieilles traditions à Gaza, et l'autorité des hommes, ainsi que les divisions politiques entre Gaza et la Cisjordanie. Les femmes dirigeantes en Palestine ont besoin d'identifier des cibles et de construire des alliances fortes. 


Sandrine Mansour-Mérien, 49 ans | Franco-Palestinienne, vivant en France | Historienne et conseillère historique auprès d’institutions dans le cadre de coopérations décentralisées

L’occupation israélienne génère une situation générale très difficile puisque les ruptures géographiques provoquées par les colonies, les check-points, le mur rendent la circulation difficile et notamment pour les femmes. Aller au travail, à l’école, se rendre sur les champs ou encore aller se faire soigner à l’hôpital ou accoucher deviennent de vrais problèmes pour les femmes et les filles palestiniennes. Autre conséquence importante : les traumatismes répétés des attaques israéliennes sur les femmes et des arrestations mais aussi sur leurs enfants qui sont devenus une cible régulière de l’armée israélienne.

Les coopérations décentralisées tentent par leurs projets et leurs actions d’aider les femmes au travers de leur soutien notamment aux coopératives de femmes ce qui les aide d’une part à avoir une activité économique sur place, à trouver des débouchés économiques et aussi à avoir une indépendance vis-à-vis des hommes. Il existe aussi des aides dans le domaine de la santé des femmes et aux enfants et aussi des projets autour de l’éducation et de la formation qui s’adressent particulièrement aux femmes.

Les défis sont énormes : d’abord économiques car la situation sur place est catastrophique du fait de l’occupation et des blocages financiers imposés par Israël, et aussi des débouchés des produits palestiniens qui sont obligés de passer par Israël. Des défis sont aussi présents dans la société car celle-ci connaît une crise importante directement liée à l’enfermement de la société palestinienne et l’impossibilité pour la majorité de la population de sortir librement du territoire et aussi d’y circuler en toute sécurité.

Enfin, ils sont liés à une situation politique interne difficile car des années d’occupation et de colonisation font douter la population de tout espoir de négociation avec Israël et donc de capacités politiques réelles. 


Buthina Canaan Khoury, 48 ans | Palestinienne, vivant en Palestine occupée (Ramallah) | Réalisatrice de film indépendante, fondatrice de la Majd Production Company

L'occupation israélienne constitue le principal défi pour tou-te-s les Palestinien-ne-s, quel que soit le genre. Bien sûr, ce qui touche la communauté palestinienne touche tout autant les femmes palestiniennes, en termes d'incapacité de mouvement et de contrôle des frontières. De nombreuses femmes payent le prix d'être mariées à un homme qui a été arrêté, ou d'être les mères d'enfants qui ont été des martyres ou des prisonniers. Le prix économique est aussi très élevé sous l'occupation car la situation économique est affectée par la situation politique.

Tou-te-s les Palestinien-ne-s essayent de faire face à la situation en résistant. Certain-e-s résistent pacifiquement, d'autres choisissent d'autres méthodes. Je considère que vivre en Palestine sous l'occupation, avec toutes les difficultés et les défis, est une forme de résistance – le fait de ne pas quitter le pays, de ne pas abandonner. L'autre voie de résistance pacifique pour moi est de faire des films, des documentaires, en essayant d'informer et d'éduquer les gens concernant la situation des femmes palestiniennes, et plus largement la situation politique.

Il existe un grand nombre de mouvements qui résistent à l'occupation en Palestine, mais à cause de la situation politique, tout le monde se concentre sur l'obtention de droits humains pour tous, et pas spécifiquement sur les droits des femmes. Mes films traitent en général d'aspects sociaux et culturels ainsi que de l'occupation. Il est très important d'avoir les deux combats des femmes palestiniennes – la résistance à la fois à l'occupation israélienne et au mode traditionnel de pensée sur les droits des femmes. 


Giulia Daniele, 32 ans | Italienne | Chercheure à la Sant’Anna School of Advanced Studies, auteure de "Women, Reconciliation and the Israeli-Palestinian Conflict: The Road Not Yet Taken" (Routledge, 2014)

L'occupation militaire israélienne régule tous les aspects de la vie quotidienne des Palestinien-ne-s, mais elle a en particulier des conséquences dramatiques sur les droits des femmes, que ce soit concernant la santé et l'éducation, le travail et la liberté de mouvement. Depuis 1948, l'époque de la Nakba (la « catastrophe » palestinienne), les femmes palestiniennes, qui ont été touchées par la perte de leurs maisons et la dépossession de leurs terres, combattent et résistent afin de répondre aux besoins de base et d'apporter un soutien psychologique pour la survie de leurs familles.

Je crois en l'importance de l'examen critique des questions structurelles qui sont au cœur du conflit liées à la persistance de l'occupation militaire et aux inégalités de pouvoir, afin d'aller au-delà du statu quo « normalisé ». Je soutiens fortement l'établissement de diverses interactions entre les femmes universitaires et les femmes militantes palestiniennes qui ont mené les combats pour les droits des femmes les plus significatifs au cours des dernières décennies afin de dépasser la dichotomie féministe cristallisée de la connaissance théorique et de l'action.

Ces dernières années, il y a eu des initiatives à succès entre des femmes palestiniennes et des militantes féministes israéliennes et internationales. Fondé sur les principes de la résistance non-violente et la désobéissance civile, le rôle des femmes s'est développé à la fois individuellement et en tant que groupe politique collectif, en particulier au sein des Comités de coordination de la lutte populaire dans plusieurs villages de Cisjordanie. Les femmes ont démontré leur capacité, leur force, et leur détermination à atteindre leurs objectifs et à motiver les personnes de différents horizons et d'opinions politiques diverses à rejoindre les rangs des combats non-violents. 


[1] L'AWID a contacté 32 organisations palestiniennes et membres de l’AWID et a reçu ces sept réponses.
[2] Le Conseil de Sécurité a adopté une résolution (S/RES/1325) sur les femmes et la paix et la sécurité le 31 octobre 2000.
Category
Analyses
Source
AWID