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Gestion des risques de catastrophe : l’importance de rendre les villes résilientes

DOSSIER DU VENDREDI : Au cours des deux derniers mois, des séismes de forte magnitude et un incendie de forêt jamais vu dans l’histoire du pays andin ont ébranlé le Nicaragua et le Chili. Cela soulève la question du bon équipement des autorités locales pour l’évacuation des populations, la prise en charge des victimes, et la mobilisation de ressources destinées à alléger l’après-catastrophe. Dans ce dossier du vendredi, nous nous entretiendrons avec Ana Lucy Bengochea de la “Community Practitioners Platform” (la plateforme des praticiens au niveau communautaire) du Honduras au sujet de la Metodología Cantarranas-Ciudades resilientes en Centroamérica (méthodologie Cantarrans- villes résilientes d’Amérique centrale).

Par Gabriela De Cicco

Résilience urbaine et gestion des risques de catastrophe

Une ville résiliente est une ville qui, face à la menace d’un phénomène naturel ou d’événements déclenchés de main humaine, montre la capacité à résister, à s’adapter et se remettre efficacement des effets engendrés par ledit phénomène. La résilience urbaine est étroitement liée aux « concepts dynamiques de développement et de croissance urbaine »”.[1]

L’initiative visant à rendre des villes résilientes demande un travail préalable et interdisciplinaire de gestion des risques de catastrophe, qui articule les différents niveaux gouvernementaux et les groupes de la société civile, en particulier ceux engagés sur ce sujet et les sujets liés au développement durable ainsi que le changement climatique. Comme l’explique Joaquín Toro, spécialiste de la gestion des risques, cette dernière permet aux communautés d’estimer les pertes probables auxquelles elles sont exposées, et fortes de ces informations, de concevoir une planification opportune, prendre des mesures aidant à réduire les risques et pouvoir offrir une réponse effective au cas où les risques tourneraient à la catastrophe.[2]

« Puisque les femmes sont toujours au centre de n’importe quel phénomène naturel, qu’elles sont les premières à réagir et que l’organisation des communautés repose sur elles, il est crucial qu’elles s’autonomisent et soient au fait des politiques concernant la gestion des risques », affirme Ana Lucy Bengochea. L’activiste hondurienne a participé à la rencontre de 2013 qui a réuni[3]des maires et des représentant-e-s de trois villes appartenant au réseau des « villes résilientes d’Amérique centrale » à Cantarranas en Honduras. Les représentant-e-s de cette ville, comme de celle de Livingston (Guatemala) et de Wiwilí (Nicaragua), ont échangé leurs expériences sur le travail de réduction des risques, et c’est de là qu’a surgi l’engagement contenu dans la « Méthodologie de Cantarranas ».

Cadres globaux d’action

L’urbanisation rapide, sauvage, et la destruction des écosystèmes locaux ont contribué au cours des dernières années à accroître le risque de catastrophe dans ces zones urbaines. Cela s’ajoute aux répercussions du changement climatique et le manque de volonté politique de la part de nombreux États pour commencer à s’y attaquer, lesquels ont permis à la vulnérabilité de nombreuses régions du globe de s’étendre.

Néanmoins, les États membres des Nations unies disposent depuis 2005 du « Cadre d'action de Hyogo (CAH) 2005-2015: Pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes (CAH) ». Il est ainsi le premier cadre mondial posant la nécessité d’un travail interdisciplinaire entre États, organisations régionales et internationales, la société civile, les représentant-e-s du secteur universitaire, et le secteur privé. En outre, il « encourage la décentralisation des pouvoirs et des ressources afin de promouvoir la réduction des risques de catastrophe à l’échelon local »[4].

Le CAH cherche à réduire de façon significative les pertes provoquées par les catastrophes, pour les vies humaines comme pour les biens sociaux, économiques et environnementaux. Le CAH compte cinq priorités : « a) Veiller à ce que la réduction des risques de catastrophe soit une priorité nationale et locale et à ce qu’il existe, pour mener à bien les activités correspondantes, un cadre institutionnel solide ; b) Identifier les risques : Mettre en évidence, évaluer et surveiller les risques de catastrophe et renforcer les systèmes d’alerte rapide ; c) Instaurer une compréhension et une conscience des risques : Utiliser les connaissances, les innovations et l’éducation pour instaurer une culture de la sécurité et de la résilience à tous les niveaux ; d) Réduire les risques : Réduire les facteurs de risques sous-jacent par le biais de l’aménagement du territoire et des mesures environnementales, sociales et économiques judicieuses ; et e) Se préparer et se tenir prêt à agir : Renforcer la préparation en prévision des catastrophes afin de pouvoir intervenir efficacement à tous les niveaux lorsqu’elles se produisent ».[5]

En 2010, le Secrétariat de la Stratégie internationale de réduction des catastrophes (UNISDR) a lancé la campagne mondiale « Pour des villes résilientes – Ma ville se prépare ! » 2010-2015, qui intègre les priorités du CAH et à l’occasion de laquelle les « Dix points essentiels pour rendre les villes résilientes » ont été créés.[6] Ces points fournissent des indications générales aux gouvernements locaux et aux activistes communautaires pour gérer la réduction des risques de catastrophe, l’identification des zones stratégiques d’intervention et d’actions clé à chaque étape. [7]

La Méthodologie de Cantarranas, une réponse qui nous vient d’Amérique centrale

La Méthodologie de Cantarranas (MdC) est un document de base consacré à la pratique de création de résilience visant à établir des liens de coopération entre les villes de Cantarranas, Livingston et Wiwilí, lesquelles participent déjà à la campagne pour des villes résilientes. Ayant également pris part[8] à la rencontre de Cantarranas avec Bengochea, elles ont créé une stratégie d’intervention composée de trois phases de travail différentes fondées sur quatre (3, 4, 9 et 10) des « 10 points essentiels » de la Campagne mondiale.

Bengochea explique que la première phase consiste à préparer une évaluation des risques qui servira de base aux plans et aux décisions concernant le développement urbain, ainsi qu’à garantir que cette information soit disponible en vue d’une discussion entre les groupes impliqués. Au cours de la phase suivante, l’on visera à investir dans une infrastructure durable permettant de réduire les risques, comme par exemple des canalisations pour éviter les inondations, ou encore des ponts. L’engagement a été pris d’installer des systèmes d’alerte précoce et d’effectuer des simulations périodiques afin de préparer les habitant-e-s des villes. L’accord conclu par la MdC vise à s’assurer que les besoins des populations affectées figurent au centre de la reconstruction, et que les personnes et les organisations de la communauté bénéficient de soutien pour la conception et la mise en œuvre de réponses.

« Nous échangeons sur tout cela dans des ateliers depuis les bases communautaires où nous abordons des sujets tels que la Résilience communautaire et la Réduction des risques de catastrophe, et diffusons le Cadre d’action de Hyogo et la Campagne pour des villes résilientes », explique Bengochea. « En Honduras, par exemple, nous cartographions la vulnérabilité, les menaces et les risques en faisant usage de nos connaissances techniques des technologies, afin de prévoir l’emplacement des refuges en coordination avec la Commission permanente de contingence (Comisión Permanente de Contingencias -COPECO) ».

Plusieurs groupes de femmes se consacrent à promouvoir le développement résilient à travers des tâches de sensibilisation. A l’aide d’outils qu’elles élaborent elles-mêmes, elles travaillent sur le développement économique, l’adaptation, et la protection de la biodiversité. « L’un de nos outils sont les Banques de semences », signale Bengochea, « par leur intermédiaire, nous visons à promouvoir, d’un point de vue du développement résilient, la sauvegarde et la mise en valeur des semences locales ainsi qu’à construire et garantir la sécurité alimentaire des familles. A partir de l’Agriculture biologique durable, nous prétendons protéger les terres et contribuer à un développement qui minimise les risques ».

La banque de semences est l’outil le plus apprécié d’un point de vue de l’expérience hondurienne. Il a pour objectif que les expert-e-s des banques deviennent les facilitateurs-trices et partagent leurs connaissances avec des techniciens producteurs des Plateformes agroalimentaires gouvernementales promus par le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage du Honduras. Bengochea indique que le projet vise à développer des programmes tenant compte de la dimension de genre conformément aux exigences du monde productif. « Cela va de pair avec la conception et l’exécution des programmes intégraux s’adressant aux groupes les plus vulnérables tels que les femmes dans tous les cycles de leur vie, les étudiantes, celles qui font partie d’organisations professionnelles et syndicales, de groupes ethniques, les femmes privées de leur liberté entre autres » .

La Méthodologie aspire à être l’outil qui permettrait d’avoir une incidence sur les comités de développement local, les patronages, et les femmes autonomisées en tant que femmes entrepreneures. Et Bengochea précise : « nous visons à intégrer la résilience communautaire, le travail de réduction des risques liées aux catastrophes et l’adaptation au changement climatique à tous les processus de planification territoriale et créer un instrument de politique publique dans le cadre de la loi Visión de País y Plan Nación (SEPLAN) ».

Lectures complémentaires:

[1] http://blogs.elperiodico.com/masdigital/afondo/resiliencia-urbana-una-nueva-mirada-sobre-las-ciudades (en espagnol)

[2] Les différences significatives entre catastrophes et risques: http://www.ecapra.org/es/la-importante-diferencia-entre-desastres-y-riesgos (en espganol)

[3] La réunion a été coordonnée par les Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR) avec l’aide de l’OFDA, avec le concours des villes de Wiwilí, Livingston et Cantarranas, en association avec les Plateformes de la résilience communautaire du Guatemala, d’Honduras et de Nicaragua.

[4] Page 11: http://www.unisdr.org/files/26462_1102162isdrmayorshandbookintfrelowr.pdf

[5] Page 11: http://www.unisdr.org/files/26462_1102162isdrmayorshandbookintfrelowr.pdf

[6] 1) Mettre en place une organisation et une coordination pour comprendre et réduire les risques de catastrophe, basées sur la participation de groupes de citoyens et de la société civile. Bâtir des alliances locales. S’assurer que tous les départements comprennent leur rôle dans le cadre de la prévention et la réduction des risques de catastrophe. 2) Affecter un budget à la réduction des risques de catastrophe et attribuer des subventions aux propriétaires de maisons, aux familles à faibles revenus, aux communautés, aux entreprises et au secteur public afin qu’ils procèdent à des investissements pour réduire les risques de catastrophe. 3) Maintenir des données à jour sur les aléas et les vulnérabilités, procéder à l’évaluation des risques et l’utiliser comme base pour la planification du développement urbain et la prise de décisions dans ce domaine. S’assurer que ces informations et les planifications en vue de la résilience de votre ville soient facilement accessibles au grand public et amplement débattues avec lui. 4) Investir dans une infrastructure essentielle réduisant les risques, comme les réseaux d’égouts pour éviter les inondations et s’adapter aux changements climatiques.

5) Évaluer la sécurité de toutes les écoles et de tous les établissements sanitaires, et l’améliorer selon les besoins. 6) Faire appliquer et respecter des réglementations en matière de construction et des principes d’aménagement du territoire qui soient réalistes et tiennent compte des risques. Identifier, pour des citoyens à faibles revenus, des terrains ne comportant pas de risques et améliorer les établissements informels lorsque cela se révèle faisable. 7) S’assurer que des programmes d’éducation et de formation sur la réduction des risques de catastrophe sont en place dans les écoles et les communautés locales. 8) Protéger les écosystèmes et les zones tampons naturelles afin d’atténuer les inondations, les tempêtes et autres aléas face auxquels votre ville peut être vulnérable. S’adapter aux changements climatiques en mettant en place les bonnes pratiques en matière de réduction des risques. 9) Installer des structures de systèmes d’alerte rapide et de gestion des urgences dans votre ville et organiser des exercices publics de sensibilisation de manière périodique. 10) Après une catastrophe naturelle, s’assurer que les besoins des survivants figurent bien au centre de la reconstruction et que ceux-ci ainsi que leurs organisations communautaires bénéficient de l’appui nécessaire pour concevoir et appliquer les mesures de relèvement, y compris la reconstruction des maisons et la réhabilitation des moyens de subsistance.

[7] Voir page 25: http://www.unisdr.org/files/26462_1102162isdrmayorshandbookintfrelowr.pdf

[8] Ont participé: les fonctionnaires de la ville de Cantarranas en Honduras, les représentant-e-s de Livingston au Guatemala et de Wiwilí au Nicaragua, les représentant-e-s de la Commission Huairou / GROOTS International, Community Practitioners Platform, Defensa de la Mujer Indígena de Guatemala (DEMI), le Ministère des populations autochtones et afrodescendantes du Honduras (Secretaría de Pueblos Indígenas y afro descendientes de Honduras -SEDINAFROH), le Secrétariat technique de la planification et la coopération (Secretaría Técnica de Planificación y Cooperación -SEPLAN) du Honduras, les Agences nationales pour la réduction des catastrophes du Honduras (COPECO) et du Guatemala (CONRED) associées à la Stratégie internationale de prévention des catastrophes (SIPC); lesquels, après deux jours de travail, ont signé le Pacte intermunicipal de création du réseau des villes résilientes soldé par la "Méthodologie Cantarranas".

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Analyses
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