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Du suivi à la revendication des droits des femmes en Amérique Latine: c’est maintenant!

DOSSIER DU VENDREDI: Le Comité d’Amérique Latine pour la défense des droits de la femme (CLADEM) a lancé en décembre 2011 sa Campagne[1] “pour des Etats qui assument leurs obligations envers les Droits humains des femmes”. Nous nous sommes entretenues avec Elba Núñez Ibáñez, Coordinatrice Régionale de CLADEM, à propos des objectifs fixés par la Campagne ainsi que sur sa portée.

Par Gabriela De Cicco

AWID: Quel est le but de cette Campagne et pourquoi l’avoir lancée maintenant?

Elba Núñez Ibáñez (ENI): Nous partons du principe que nous devons réclamer aux Etats ce qui constitue aujourd’hui une dette envers les droits humains des femmes. Nous nous sommes interrogées sur la raison pour laquelle des pays qui ont ratifié des instruments internationaux ne remplissent toujours pas leurs devoirs ni leurs engagements. Ces obligations sont contrôlées par le système de Comités des Nations Unies (NU) et par nous-mêmes, puisque le CLADEM a participé au processus de suivi. En coordination avec plusieurs organisations, nous sommes parvenues à faire surveiller les Etats quant au respect de leurs engagements en matière des droits humains. A travers son Programme de suivi, le CLADEM a systématisé les recommandations et observations finales des Comités[2] et découvert qu’il existait une série de questions non traitées et d’obligations auxquelles les Etats manquaient systématiquement, ce qui affectait la vie des femmes et entravait leur évolution.

Nous croyons qu’en tant que femmes, nous ne pouvons pas accepter l’indifférence de l’Etat face aux graves revers que nous accusons avec, par exemple, l’interdiction de l’utilisation de la pilule contraceptive d’urgence (PCU) au Honduras ou la pénalisation totale de l’avortement au Nicaragua. Nous reconnaissons aussi les indicateurs du contexte favorable, comme la réouverture de l’enquête sur les cas de stérilisation forcée au Pérou à la suite du règlement à l’amiable négocié dans l’affaire MM contre Pérou, le débat parlementaire couronné par l’approbation préliminaire du Projet de légalisation de l’avortement, ou encore l’abrogation en Argentine de la loi qui permettait à un violeur d’être exempté de peine s’il épousait sa victime. Il existe donc dans la région un contexte favorable au changement, et dans la mesure où les citoyen-ne-s et les organisations connaissent les obligations qui incombent aux Etats et exigent d’eux qu’ils s’en acquittent, nous considérons que cette Campagne pourra avoir une influence politique et contribuer à notre mouvement de défense.

La campagne inclut diverses actions de diffusion, de mobilisation et de plaidoyer qui seront développées par le CLADEM tout au long de cette année dans les 14 pays de la région appartenant à un réseau consolidé, soient l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Equateur, le Salvador, le Honduras, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou, Puerto Rico, la République Dominicaine et l’Uruguay. Dans chaque contexte national, nous évaluerons à partir de nos réseaux et alliances nationaux de quelle façon nous pouvons adresser nos demandes aux trois différentes branches du gouvernement. Certaines conjonctures et contextes peuvent s’avérer plus propices, ce qui nous permettra de parvenir à des engagements publics de la part des autorités afin de faire respecter des obligations particulières.

AWID: Qu’exigez-vous des Etats?

ENI: Nous leur demandons de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes, de supprimer les normes et pratiques discriminatoires et de ratifier le Protocole facultatif de la CEDAW pour les pays qui ne l’ont toujours pas fait; d’encourager l’égalité et la répartition équilibrée du travail des soins afin d’éradiquer la pauvreté, garantissant l’égalité des chances entre les femmes et les hommes ainsi qu’une vie libre de violence pour les femmes et les filles. Nous exigeons l’autonomie sexuelle et reproductive, l’accès aux ressources et services de santé sexuelle et génésique, ainsi que l’accès à une éducation laïque, interculturelle, non-sexiste et non-discriminatoire pour laquelle nous nous sommes battues à travers notre campagne de plaidoyer précédente intitulée “Campagne pour une éducation non-sexiste et non-discriminatoire”. Toutes ces choses permettront la mise en oeuvre de politiques publiques offrant toutes les garanties aux femmes, tel je l’espère l’accès à la justice et la justiciabilité de leurs demandes.

AWID: Quels sont les axes thématiques, et comment les avez-vous définis?

ENI: C’est la systématisation et la révision réalisées par CLADEM avec l’appui de Susana Chiarotti[3] qui nous a permis d’identifier les questions sur lesquelles les Comités[4] avaient émis le plus d’observations finales, et d’y apporter notre réflexion.

Voici les trois questions principales mises en évidence par la systématisation de la jurisprudence intégrant la dimension de genre que nous avons acquise, ainsi que par l’analyse que nous avons dressée du respect des obligations: le Droit des femmes et des filles à vivre une vie à l’abri de toute violence, l’Autonomie sexuelle et reproductive, et l’Education laïque, interculturelle, inclusive, non-sexiste et non-discriminatoire. Dans le domaine des Droits sociaux, économiques et culturels (DESC), nous nous concentrerons avant tout sur la situation des travailleuses domestiques, le droit au logement et l’écart salarial entre les hommes et les femmes.

AWID: Pourquoi les Etats ne s’acquittent-ils pas de l’obligation qui leur incombe de garantir l’accès et le respect des droits des femmes?

ENI: Cela peut s’expliquer en partie par le manque de volonté politique de certains Etats de remplir leurs obligations. Nous constatons par exemple qu’ils n’ont pas aboli les lois discriminatoires, qu’il n’y a aucune conception ni mise en oeuvre de politiques publiques garantissant l’égalité et la non-discrimination des femmes, ni d’allocations suffisantes affectées. Parlons aussi de l’influence considérable de certains groupes fondamentalistes, en particulier religieux, qui empêchent le progrès et le respect de ces obligations. C’est le cas du Paraguay, par exemple, où ils sont parvenus à contrecarrer la Loi sur la santé sexuelle et reproductive et la maternité qui, à ce jour, n’a toujours pas été approuvée, ou encore où l’application du Cadre d’orientation pour l’éducation destiné à l’éducation sexuelle dans le système éducatif a été bloquée par le biais de vastes campagnes de désinformation. Nous pouvons aussi citer le véto présidentiel opposé à la Loi sur l’avortement en Uruguay, l’interdiction de la pilule contraceptive d’urgence au Honduras et la pénalisation totale de l’avortement au Nicaragua.

AWID: Comment allez-vous mettre en oeuvre cette Campagne et comment sera effectué le suivi de l’incidence de cette dernière?

ENI: Depuis décembre 2011 et jusqu’à décembre 2012, les réseaux nationaux de CLADEM et leurs organisations alliées oeuvrent au développement de plans d’actions politiques dans chaque pays afin de permettre que ces derniers s’acquittent en priorité de leurs différents engagements en souffrance, à travers des actions de sensibilisation, de lobbying et de mobilisation. Nous avons prévu d’organiser des actions et des déclarations publiques autour de dates clés qui nous permettront de visibiliser les demandes et à la fois d’exiger le respect des engagements en unissant nos voix dans les espaces internationaux, notamment à Rio+20, CEPAL, Le Caire+20, pour dénoncer les manquements des états en fonction de leur contexte spécifique.

L’idée est de suivre et d’évaluer les indicateurs de progrès, tels les engagements publics des trois branches de l’état, l’inclusion dans les agendas d’état, les progrès dans les discussions parlementaires sur les questions liées à nos revendications, et les politiques publiques prenant en compte nos propositions.

Nous comptons élargir les alliances et accumuler nos voix et nos forces pour peser au niveau régional, national et local, et par conséquent parvenir à avoir un impact sur les citoyens; car nous savons que lorsque ces derniers apprendront que nos exigences concernent des engagements non tenus, ils seront indignés et nous n’excluons pas qu’ils veuillent se joindre à notre campagne.

AWID: Qu’adviendra-t-il de la campagne après décembre 2012?

ENI: Selon les progrès réalisés au cours de la première phase de la campagne, nous serons capables d’affiner et d’approfondir nos stratégies pour les années à venir. Si nous parvenons à développer notre influence politique, en échangeant avec d’autres réseaux des expériences et des enseignements qui auront fait leurs preuves et auront eu un impact important, nous serons alors également en mesure d’analyser de près les progrès réalisés par les états de la région quant au respect de leurs obligations concernant les droits humains des femmes, à savoir si les lois discrminatoires ont été abrogées et d’autres votées pour faire progresser les droits, ou encore si les politiques intégrant la dimension de genre se sont traduites par des budgets publics dans les cas où des engagements publics auraient été pris.

[1] La Campagne est menée en alliance avec les réseaux tels que la Plateforme interaméricaine des droits humains, la démocratie et le développement (PIDHDD), le Réseau international pour les droits sociaux, économiques et culturels (Red-DESC), et le Réseau des femmes afro-latino-américaines, afro-caribéennes et de la diaspora africaine.

[2] Notamment les décisions, les résolutions, les accords à l’amiable issus de litiges devant les systèmes interaméricain et universel des droits humains.

[3] Membre de CLADEM Argentine et du Conseil consultatif de CLADEM

[4] Les comités du système des Nations Unies (NU) que nous avons suivis sont la CEDAW, qui surveille l’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes ; le Comité des droits humains (CDH), qui effectue le suivi du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; le Comité des droits sociaux, économiques et culturels (CESCR), qui effectue le suivi du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels ; le Comité des droits de l’enfant (CRC), qui surveille l’application de la Convention sur les droits de l’enfant ; le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), qui se charge de surveiller l’application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale. Dans le Système interaméricain (OEA), nous effectuons le suivi de l’application de la Convention de Belém do Pará et des observations du Comité d’experts sur la violence (CEVI).

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’espagnol par Camille Dufour

Category
Analyses
Source
AWID