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De grands espoirs pour la première femme à la présidence du Malawi

DOSSIER DU VENDREDI : Le 7 avril 2012, Joyce Banda a écrit une page d'histoire en devenant la première femme Présidente du Malawi et la première à atteindre ce poste au sein de la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA)[1] après la mort subite de l’ancien Président, Bingu wa Mutharika. La nouvelle Présidente a devant elle une tâche titanesque pour s’attaquer à la grave crise économique qui touche le pays; vu sa solide trajectoire en tant qu’activiste, la société civile fonde de grands espoirs quant à sa capacité de défendre les droits des femmes.

L’AWID s’est entretenue avec Emma Kaliya, présidente du réseau d’ONG Gender Coordination Network (NGOGCN) au Malawi à propos de la désignation de la deuxième femme Présidente en Afrique et des espoirs que cet évènement soulève.

Par Susan Tolmay

La République du Malawi est un petit pays enclavé du sud-est de l'Afrique ; sa superficie est de 118.000 km² et sa population est estimée à plus de 14 millions de personnes. À l'issue des dernières élections tenues en 2009, la représentation féminine au parlement a augmenté de 8 %, passant de 14 à 22 % et la position du pays au classement de l'indice des inégalités entre les sexes s’est elle aussi améliorée, de la 81e place sur 115 pays en 2006 à la 65e sur 135 pays en 2011[i]. Le Malawi est toutefois l'un des pays les plus pauvres du monde et on estime que 75 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour[ii].

AWID: Quel est actuellement le contexte politique et économique au Malawi ?

Emma Kaliya (EK): Le Malawi connait de nombreux défis sur le plan politique et économique. Sur le plan politique, l'ancien président, Binguwa Mutharika et le gouvernement en place à l'époque ont commencé à modifier la législation nationale pour tenter d'éviter que l'ancienne vice-présidente, Joyce Banda, participe au gouvernement et assume la présidence à la fin du mandat de Murathika en 2014, conformément aux dispositions de la constitution du Malawi. Bien au contraire, elle a été expulsée du parti au pouvoir pour avoir refusé d'accepter la désignation du frère du président et ministre des affaires étrangères, Peter Mutharika, comme nouveau président en 2014.

L’intention du Président de faire désigner son frère comme nouveau président a causé beaucoup de remous et le gouvernement a tenté de réduire au silence tous ceux qui s'opposaient à cette idée. La situation devint délicate pour la société civile et les partis d'opposition qui ne partageaient pas cette opinion. Le contexte est devenu lui aussi difficile et violent, et la population vivait dans la peur.

Dans le même temps, le gouvernement bafouait les droits humains. Le Haut-commissaire britannique a été expulsé sous le prétexte qu'il avait envoyé un télégramme au Royaume-Uni soulignant l'attitude militante du gouvernement, expulsion à la suite de laquelle la Grande-Bretagne a coupé toute aide au Malawi. La suspension de l'aide a provoqué des problèmes de plus en plus aigus de pénurie de carburants et de devises étrangères ; par ailleurs, de nombreux donateurs ont suspendu les programmes qu’ils appliquaient dans le pays en raison du non-respect des exigences du Fonds monétaire international (FMI). C'est pourquoi tous les secteurs connaissent de nombreux problèmes socio-économiques, y compris les hôpitaux car sans devises étrangères, il est impossible d'importer des médicaments, et sans carburants, il est impossible de mobiliser les ambulances. Dans ce contexte, le Malawi s'enfonçait dans le chaos et la confusion.

AWID: Quelle est la situation des femmes au Malawi ?

EK: Plusieurs questions doivent être considérées. Si nous comparons avec la situation d'il y a quelques années, nous constatons qu'à l'époque les femmes étaient peu actives dans le secteur économique ; nous voyons aujourd'hui que, peu à peu, leur participation augmente dans ce secteur où elles peuvent rivaliser avec les hommes, malgré les plus grandes difficultés qu'elles rencontrent pour obtenir de meilleures possibilités de marchés. Dans le secteur agricole, on observe que les femmes se consacrent encore essentiellement à l'agriculture de subsistance et participent moins à l'agriculture commerciale. Toutefois, des programmes ont été mis en place pour habiliter les femmes à s'impliquer dans l'agriculture commerciale et nous espérons que le nouveau gouvernement continuera à les appliquer et que nous en verrons les fruits pour les femmes dans les années à venir.

Certes, le problème de la violence basée sur le genre subsiste mais, heureusement, les rapports des médias et de la police montrent qu'il y a de plus en plus d'autonomisation au sein des communautés, où les gens ont pu dénoncer et condamner la violence et peuvent avoir recours aux structures mises en place pour signaler les cas de violence, chose jusqu’ici impossible.

Sur le plan de l'éducation, nous constatons aussi que de plus en plus de jeunes femmes suivent un enseignement supérieur. Le gouvernement a mis en place un quota de 50 par 50 en matière d'éducation mais des défis restent encore à relever pour réduire les taux d'abandon élevés des jeunes filles dans les cycles supérieurs de l'éducation. Les grossesses et les mariages précoces constituent encore des problèmes; toutefois, la tendance est à la baisse et les jeunes filles peuvent maintenant retourner à l'école après avoir eu leur enfant, ce qui n'était pas le cas dans le passé.

La santé reproductive reste problématique ; les taux de mortalité maternelle sont élevés et beaucoup reste encore à faire dans ce domaine. L'ancien gouvernement a tenté de résoudre ce problème et la nouvelle Présidente a également mis en place un programme ciblé sur la santé maternelle. D’autres problèmes sont encore à résoudre ce qui concerne les avortements non médicalisés ; en effet, au Malawi, l'avortement est pénalisé, ce qui touche de nombreuses femmes qui ont subi des avortements clandestins. C'est une problématique sur laquelle travaille notre réseau avec le soutien d’Ipas, pour voir la façon dont nous pouvons faire pression sur le gouvernement afin que cette législation soit modifiée.

En ce qui concerne le VIH et le sida, l'évolution du Malawi a été positive: tous les problèmes n'ont pas encore été résolus mais le pays figure parmi ceux qui fournissent des médicaments antirétroviraux aux femmes, et en particulier aux femmes enceintes. Il existe également un programme destiné aux femmes séropositives. Heureusement, ces programmes ont été épargnés par la crise économique qui a frappé le pays et ont pu se poursuivre.

AWID: Quelle a été la réaction générale dans le pays vis-à-vis de la nomination de Joyce Banda comme première femme présidente du Malawi ?

EK: Avant l’accession de Joyce Banda à la présidence, le parti au pouvoir a fait une importante déclaration publique selon laquelle : Le Malawi n’est pas prêt pour une femme Présidente. Cette déclaration a irrité bien des gens car nous ignorions qui détermine que la population est prête ou non pour une femme présidente. C’est ainsi qu'ont commencé les débats sur le sujet et aussi le soutien à la candidate. Les autorités au pouvoir démontraient ouvertement leur opposition à Joyce Banda mais celle-ci avait le soutien de l’ensemble de la population parce que sa nomination à la Présidence était conforme à la constitution, en dépit de l’opinion de certains.

J’ai assisté à la cérémonie de la prestation de serment et, depuis lors, elle fait l'objet d'un soutien généralisé, même de la part des partis d'opposition. Les gens comprennent la nécessité de lui apporter leur soutien.

AWID: Quelle a été la réaction du mouvement des femmes à cette nomination ?

EK: En tant que société civile, nous nous réjouissons de cette nomination car Joyce Banda possède une solide trajectoire en tant qu’activiste et nous la considérons comme l’une des nôtres ; elle fut, en effet, la première présidente du réseau NGOGCN. Elle nous a assuré qu’elle est des nôtres et que l’espace sera rendu à la société civile pour qu’elle fonctionne librement. Tous les espoirs sont donc permis.

AWID: Comment les groupes de femmes pensent-ils amorcer le dialogue avec la nouvelle Présidente ?

EK: Nous avons eu une première grande réunion avec elle le mois dernier car elle avait convoqué des groupes de femmes pour analyser les questions de la Décennie des femmes africaines qui, depuis son lancement, n'a pas été très active. Nous avons également tenu une réunion consultative pour socialiser la Décennie des femmes africaines qui nous a permis de faire ressortir un grand nombre de problèmes. La Présidente souhaite ardemment que nous puissions déployer la Décennie des femmes africaines sur la base des efforts préalables et des thèmes qui sont déjà mis sur la table. En d'autres termes, pour tous ceux qui sont concernés par la région de la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA), ce sujet ne peut être abordé sans évoquer le Protocole de Maputo ou le Protocole de la CDAA. Il s'agit donc d'utiliser les mécanismes déjà en place pour parvenir à nos objectifs. Notre enthousiasme est grand car c'est la Présidente elle-même qui a amorcé tout ce processus, ce qui démontre qu'elle adhère déjà à cette cause et que nous pouvons aller de l'avant ensemble pour faire une différence.

Litha Musyimi-Ogana, membre de la Direction sur les femmes, le genre et le développement de l'Union africaine (UA) a également assisté à cette réunion pour présenter des informations sur l’UA et étayer ainsi les débats que nous souhaitons mener à l'échelle nationale. Le sommet de l’UA aura lieu dans quelques mois au Malawi et nombreux sont les groupes de femmes de toute l'Afrique qui ont fait part de leur intérêt à nous rejoindre au Malawi et utiliser cette instance pour soulever différents problèmes, y compris la ratification du Protocole de Maputo. Ces groupes souhaitent tirer parti du forum compte tenu du fait que le Malawi est désormais présidé par une femme susceptible de favoriser des progrès dans ce domaine. L’espoir est grand : nous avons aujourd'hui deux femmes présidentes en Afrique, ce qui autorise à penser que peu à peu nos voix seront entendues à ce sommet en raison de la présence de nos collègues à cette instance.

Mais il faut également faire preuve de prudence car la tâche qui attend la Présidente est gigantesque ; elle vient d'ailleurs d'annoncer qu'il faudrait jusqu'à 18 mois pour restaurer l'économie du pays et regagner le terrain perdu. L’enjeu est donc énorme. Nous attendons beaucoup de la nouvelle Présidente mais nous devons également comprendre qu'elle doit reprendre en main un système qui a été complètement dévasté. Dans le même temps, nous devons également relever le défi de travailler avec divers groupes dans tout le pays afin de veiller à ce qu'il y ait un consensus entre toutes les parties prenantes et les groupes d'intérêts.

Nous sommes conscientes que la Présidente doit se sentir accablée par la multitude des tâches qui l'attendent ; c'est pourquoi nous devons chercher la meilleure façon de lui apporter notre soutien afin qu'elle puisse parvenir à des résultats concrets.

[1] Les Etats membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA) sont l’Angola, le Botswana, la République Démocratique du Congo, le Lesotho, Madagascar, le Malawi, Maurice, le Mozambique, la Namibie, Seychelles, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe

[i]http://www3.weforum.org/docs/WEF_GenderGap_Report_2011.pdf p 240 - 241

[ii]http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-17662916

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Note: Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi (Friday File en anglais) », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Si vous souhaitez recevoir la lettre d’information hebdomadaire « Dossier du Vendredi », cliquez ici.

Cet article a été traduit de l’anglais par Monique Zachary.

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID