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Dans le Nord-est du Nigéria, les attaques et les enlèvements sont devenus monnaie courante

DOSSIER DU VENDREDI : Le récent kidnapping de centaines de lycéennes de leur pensionnat à Chibok, Borno dans le nord-est du Nigeria n’est pas un incident isolé. Les rapts sont monnaie courante dans les communautés de trois états du nord-est du Nigeria.

Le Dossier du Vendredi de cette semaine est consacré à l’entrevue de Janine Morna, Chargée de recherche sur le site Watchlist on Children and Armed Conflict [i] qui nous a parlé de ses récentes recherches sur les abus commis contre les enfants dans le cadre du conflit qui sévit dans le nord-est du Nigeria et qui oppose les autorités au groupe Boko Haram.

Par Susan Tolmay

Le 14 avril, plus de 200 lycéennes âgées de 12 à 17 ans ont été enlevées de leur pensionnat à Chibok ; certaines ont réussi à s’échapper mais quelque 200 jeunes filles sont encore retenues. Le gouvernement nigérian a réagi tardivement aux enlèvements, ce qui a provoqué un profond mécontentement et des manifestations au Nigeria et a suscité un grand émoi à l’échelon international.

Boko Haram, ce qui signifie « l'éducation occidentale est un péché » en Hausa, est un groupe islamiste militant basé dans le nord-est du Nigeria, le nord du Cameroun et le Niger. Fondé en 2002, le groupe se réclame d'agir au service de l'établissement d'un état islamique « pur », régi par une compréhension extrémiste de la charia. Les attaques de Boko Haram envers les églises, les écoles de filles et les postes de police se sont accrues depuis 2009. Certains affirment que Boko Haram est plus motivé par des idées de nettoyage ethnique que par la volonté de propager un fondamentalisme. Quelles qu'en soient ses motivations, le groupe semble avoir réussi à déstabiliser certaines régions du pays, et le gouvernement nigérian a déclaré l’état d’urgence dans trois états du nord-est : Borno, Yobe et Adamawa.

AWID: Parlez-nous de la recherche effectuée par Watchlist sur Boko Haram au Nigeria. Quel était l’objectif de cette recherche, et quels en ont été les résultats ?

Janine Morna (JM):

Watchlist effectue des recherches et des actions de plaidoyer sur l’impact des conflits sur les enfants, en particulier lors de « crimes graves », six violations considérées par l’ONU comme des atteintes au droit international : l’assassinat et la mutilation, l’enlèvement, le viol et la violence sexuelle à l’encontre des enfants, le refus de laisser les enfants bénéficier de l’aide humanitaire, le recrutement et l’emploi d’enfants, et les attaques visant des écoles et des hôpitaux. Sur la base des recherches effectuées sur les graves violations commises dans des contextes de guerre dans plusieurs pays, le réseau a jugé qu’il était important de documenter et d’obtenir des informations plus détaillées sur les événements qui se déroulent dans le nord-est du Nigeria. Jusqu'à l'enlèvement des filles dans Chibok, il existait très peu de documents relatifs à ce qui se passait dans cette partie du pays : c’est pourquoi il nous a semblé opportun de collecter des informations de première main, d’évaluer la réponse humanitaire et du gouvernement.

Nous venons à peine de terminer cette recherche mais les premiers résultats rendent compte de la grande quantité d’abus commis contre les femmes et les enfants dans cette région. Ils nous parlent d’une histoire terrifiante de rapts de jeunes filles et de femmes durant les attaques perpétrées contre les villages, dans les moyens de transport et dans les écoles. Les jeunes garçons sont également vulnérables car ils sont la cible d’assassinats ou sont recrutés de force dans les groupes militants.

AWID: Le récent enlèvement de plus de 200 lycéennes de leur dortoir dans le nord-est du Nigeria a suscité un grand émoi dans les médias, s’agit-il d’un événement isolé ?

JM: L’attaque de Chibok est unique de par son ampleur mais n’est la seule de ce genre dans la région. Les enlèvements sont devenus courants dans le nord-est du Nigeria depuis au moins un an et demi. Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec des filles et des femmes qui avaient été enlevées mais qui ont réussi à s’échapper, ce qui nous a permis de savoir ce que c'est que d'être captif La réalité est terrifiante : les jeunes filles sont obligées de se convertir à l’islam et d’épouser des membres des groupes d’insurgés ou affronter la mort ; des rapports indiquent que les filles sont violées par d’autres hommes du camp. Certains rapportent également l’histoire de femmes forcées à participer aux attaques, à porter les munitions et à attaquer des hôpitaux, et même le cas d’une fille demandée de tuer quelqu’un.

Il est difficile d’obtenir des informations sur la prévalence et l’ampleur des attaques dans la région. C’est pourquoi cette recherche est si importante. Tout est rumeurs et conjectures avec très peu de documentation officielle et suivi des faits. Les graves attaques perpétrées contre les écoles ont toutefois été relativement bien documentées et certaines de ces attaques ont été larges en termes d’échelle[ii].

AWID: Quels sont les conséquences de ces attaques, et quelle est l’attitude générale dans la région vis-à-vis des femmes et des filles, et de la capacité de fréquenter l'école? Quelles en sont les séquelles à long terme ?

JM: Les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues étaient passées par des traumatismes incroyablement graves. La communauté elle-même a décidé de fermer plusieurs écoles en raison de l’insécurité régnante. La fréquentation scolaire, qui était déjà faible au départ dans cette région, a encore chuté car les communautés estiment qu’il est trop dangereux d’envoyer leurs enfants à l’école. De nombreux-euses professeur-e-s ont quitté la région pour avoir devenu-e-s des cibles spécifiques, de même que l’infrastructure et les établissements scolaires qui sont visés et détruits. Pour les écoles qui continuent de fonctionner ; les parents, les professeur-e-s et les enfants ont peur d’aller à l’école, ce qui pourrait avoir de graves conséquences à long terme quand ce conflit aura pris fin.

AWID: Il semble que ces attaques se déroulent en toute impunité. Partagez-vous ce constat? Pourquoi ? Que pourraient faire le gouvernement nigérian et l’ensemble de la communauté international pour renforcer la vigilance et prévenir ce genre d’attaques ?

JM: Il y a des niveaux stupéfiants d'impunité parce que peu de mécanismes existent pour surveiller, signaler et répondre de façon significative aux violations dans le nord-est. Seul un petit nombre de services d'urgence existent dans la région, principalement en raison des risques de sécurité. Par conséquence, le système est complètement étiré. Les gens dans le nord-est comptent sur le soutien de leurs familles étendues.

Beaucoup plus pourrait être fait pour renforcer le soutien au sien de l'état d'urgence. Cela comprend l'accroissement des services humanitaires dans ces régions ainsi que le renforcement de la sécurité de l'école à travers des plan d'infrastructure et de préparation en cas d'urgence, et le développement de systèmes pour surveiller et signaler les violations.

Le gouvernement et la communauté internationale peuvent aussi faire beaucoup plus pour aider les personnes fuyant les états d'urgence. Les personnes déplacées et les communautés ont besoin d'un meilleur accès aux services de secours, des moyens de subsistance, et des possibilités d'éducation.

En savoir plus et agissez maintenant:

[i] Watchlist sur les enfants dans les conflits armés est une organisation de réseaux compose de cinq groups humanitaires et de defense des droits humains - Save The Children, Human Rights Watch, World Vision International, War Child, et le Norwegian Refugee Council.

[ii] "Nigeria school attack claims 42 lives".; "Nigeria College Attacked: At Least 40 Killed"..; "Maiduguri Blast Update: 31 dead, 50 injured, as angry youth attack ex-governor’s property, supporters"; "Nigeria's Boko Haram 'in village massacre'"; "Nigeria school attack: Fury at military over Yobe deaths"

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID