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La crise politique au Mali et la montée des fondamentalismes

DOSSIER DU VENDREDI: Le coup d’état et l’occupation du nord du Mali ont soulevé de nombreuses interrogations sur l’aggravation de la crise.

L’AWID s’est entretenue avec To Tjoelker, Chef de service de la coopération auprès de l’Ambassade des Pays-Bas au Mali, et la socio-anthropologue Lalla Mariam Haidara, originaire de Tombouctou et spécialiste des droits des femmes au Mali, pour nous éclairer sur la situation.

Par Ani Colekessian

Le Mali est un pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, dont la population compte environ 14,5 millions d’habitants essentiellement regroupés au sud, et entre 1,5 et 2 millions résidant dans la région du nord. La population des provinces du nord comme Tombouctou, Kidal et Gao constituent une mosaïque de clans traditionnels, parmi lesquels les Songhaïs (le groupe le plus nombreux), les Touaregs, les Arabes et les Peuls.

La majorité des Malien-ne-s sont de confession musulmane, et la ville de Tombouctou, avec ses mosquées, ses sanctuaires et ses universités historiques, a joué un rôle central dans l’islamisation de la région. D’après Haidara, “l’islam pratiqué à Tombouctou…est un islam tolérant et pacifique qui conçoit la foi une relation particulière avec Dieu”, et la profonde influence qu’exerce le soufisme islamique sur la population majoritairement sunnite perdure à ce jour. Cela n’a toutefois pas empêché le Haut conseil islamiste –essentiellement salafiste– d’influencer largement le Code de la famille établi en 2011 qui, malgré d’intenses pressions émanant des groupes de défense des droits des femmes en faveur d’un code plus progressif, fait fi de la notion de protection et perpétue la discrimination dans les domaines de la succession, le mariage et la garde d’enfants à l’intérieur du pays.

Les acteurs impliqués

La population Touareg est un groupe nomade du nord. Se sentant marginalisés par le sud du pays, les Touaregs avaient déjà exigé une plus grande autonomie à l’époque de la colonisation française. Suite aux soulèvements Touaregs des années 1960 et 1990, un accord de la paix a été négocié en 1995 par les séparatistes Touaregs et le gouvernement malien, ayant entraîné une mise au feu solennel des armes et un engagement vis-à-vis des services comme des investissements au nord. Alors que ces promesses ont été partiellement réalisées, la pauvreté et la sécheresse sévissant dans le pays, l’accessibilité limitée aux vastes terrains désertiques du nord, et une population malienne résidant majoritairement au sud ont engendré des difficultés à répondre aux exigences des Touaregs, réveillant de nouveaux soulèvements lors des élections de 2005 comme à ce jour.

Le gouvernement libyen sous Kadhafi entretenait des relations étroites avec les Touaregs, dont bon nombre se sont battus pour défendre le dictateur défunt. Après sa chute, le retour de combattants lourdement armés, dont le nombre est estimé entre 2,000 et 4,000 procura à la fois les armes et les insurgés pour renforcer le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), mené par des Touaregs. Bien que laïque, le MNLA a été rejoint par le groupe islamiste Ansar Dine (Défenseurs de la foi), Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO), et le Boko Haram destiné à conquérir le nord. Haidara précise qu’il “semblerait que des alliances existent avec l’Arabie Saoudite et le Qatar en termes de financement,” ce qui ne fait qu’ajouter à la dynamique politico-religieuse du conflit.

Le coup d’état et la monté des fondamentalismes islamiques

Après avoir obtenu son indépendance vis-à-vis de la France en 1960, le Mali a vécu successivement des sécheresses, des rébellions, deux coups d’état (l’un en 1968, l’autre en 1992), 23 années de dictature militaire et les élections démocratiques subséquentes qui se sont tenues en 1992. Au lendemain de sa période de transition qui le voyait sortir de la dictature, le Mali était considéré comme un modèle régional de démocratie, mais d’après Haidara, “depuis plus de 10 ans, la classe politique malienne s’est contentée d’un système politique où personne n’est comptable des dérives. Les hommes politiques ont profité d’un système caractérisé par la corruption et le clientélisme et le profit de quelques uns.”

Le 22 mars 2012, la mutinerie des soldats maliens a provoqué un nouveau coup d’état en réponse à l’apathie dont faisait preuve le gouvernement face à la rébellion séparatiste des Touaregs du MNLA qui sévissait au nord du pays. Profitant de la situation, les rebelles Touaregs ont repris le contrôle du nord du Mali aux côtés du groupe Ansar Dine lui-même relié à Al-Qaida, et proclamé le nouvel état de l’Azawad. Un MNLA affaibli et désorganisé a permis entretemps aux groupes islamistes de s’emparer du contrôle, menant une campagne agressive dont l’objectif est l’implantation d’interprétations fondamentalistes de l’islam dans les sphères sociale, économique et culturelle du nord.

Comme souvent dans les scénarios de conflit, le champ de bataille engage aussi le corps des femmes. Les attaques perpétrées au nord du pays sont désormais associées à des viols massifs et des enlèvements de femmes et de filles de la part des rebelles. Haidara a communiqué des rapports qui montrent que "dans des cas de mariage avec des femmes autochtones se retrouvaient avec 3 et même 5 hommes pour consommer le mariage, ce qui n’est autres choses que du viol organisé. ”

Elle ajoute que “dans les 3 régions du nord les populations qui en ont les moyens se sont déplacées et la plupart des femmes ont abandonné les villes où il est devenu extrêmes dangereux de circuler.” D’après une communication émise la semaine dernière par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH), on compte près de 174 000 personnes déplacées au Mali (dont 105 000 au nord), auxquelles s’ajoutent les 261 624 réfugiés dans les pays limitrophes tels que le Niger, le Burkina Faso et l’Algérie. Ceux qui se trouvent toujours dans le pays sont particulièrement vulnérables, car comme l’explique Haidara, “les convois alimentaires envoyés par le Mali et ses alliés, malgré l’ouverture d’un corridor humanitaire, n’arrive qu’au compte-goutte dû aux détournements islamistes" dont ils font l’objet. Un rapport récemment établi par l’UNICEF indique en outre que les groupes armés du nord du pays continuent de recruter des enfants-soldats.

La “Charia” au nord

Si le MNLA s’identifie comme étant un groupe laïque, il a toutefois été largement supplanté par Ansar Dine et ses alliés (l’AQMI et le MUJAO), lesquels imposent des interprétations extrêmes et rétrogrades des lois islamiques sur les territoires occupés. C’est en juin 2012, avec la démolition des anciens sanctuaires Soufis et d’une mosquée datant du 16ème siècle dans la ville de Tombouctou, désignée patrimoine culturel mondial par l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), que le monde s’est vu largement sensibilisé à ces mesures fondamentalistes ; les rebelles avaient déclaré tous les sanctuaires « haram » (soit contraire à l’islam) car favorisant le culte d’idoles.

Parallèlement à la destruction des sanctuaires, les islamistes ont demandé l’adoption de codes vestimentaires pour les femmes et l’application d’une interprétation extrême de la Charia. A ce jour, la lapidation à mort d’un homme et d’une femme accusés d’adultère, ainsi que la flagellation infligée à des couples non mariés et à des femmes non voilées ont été reportées dans le nord du pays.

Réponses gouvernementales et résistance civile

La violence continue et le processus de transition gouvernementale ont engendré la frustration de nombreux maliens quant à la situation actuelle. D’après Haidara, “le gouvernement, impuissant, émet des communiqués de presse condamnant les actions via les médias…L’UNESCO en particulier, ainsi que les Nations Unies (NU) et la Cour pénale internationale (CPI), ont mis des mesures en place mais rien ne semble arrêter les islamistes en ce moment.” Elle ajoute néanmoins que “la société civile et d’autres organisations ressortissantes du nord ont répondu par des condamnations, des sit-in, et des marches de protestation.”

Dans l’un des cas, on nous a indiqué que les femmes Touaregs du nord avaient choisi de se rendre visibles, elles et leur opposition aux décrets fondamentalistes, en parcourant la ville sur leurs motos, tandis que des centaines de protestataires se rassemblaient à Gao pour s’opposer à l’amputation de la main d’un voleur, et que des dizaines de milliers de personnes s’étaient réunies pour la paix dans tout le pays.

Haidara précise que “beaucoup d’associations, notamment COREN (le Collectif des citoyens du nord, qui englobe les sociétés civiles de Mopti, Gao et Tombouctou) ont organisé des sit-in. Le Collectif d’élus politiques du nord (membres du parlement, maires, et représentants des collectivités nationales) est lui aussi très impliqué et organise régulièrement des conférences de presse et des manifestations. Ces derniers étaient également présents au Parlement de l’Union Européenne pour répondre aux représentants da la délégation du MNLA. Des dizaines de femmes du Collectif des femmes du nord comme des groupes féministes nationaux sont en première ligne du conflit, s’opposant au manque d’intérêt que suscite à leurs yeux ce conflit.”

Si la résistance s’organise en un solide mouvement pacifiste d’un côté, “d’autres organisations ont été créées et fédérées aussi en association avec les jeunes des milices songhaïs (Ganda koy et Ganda iso) et s’entraînent actuellement pour combattre l’armée rebelle,” explique Haidara. Pendant ce temps, la CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest) attend l’accord des Nations Unies et la demande formelle du nouveau gouvernement malien mis en place cette semaine à Bamako pour l’éventuel déploiement d’une force militaire de 3 000 soldats. Le gouvernement d’union nationale, composé de 31 ministres englobant l’ensemble du spectre politique dont quatre femmes, a ainsi déclaré la reconquête du nord comme un objectif de première priorité, bien que les plans d’action contre l’occupation islamiste ne soient pas encore clairement définis.

Une situation inextricable

D’une manière générale, il apparaît que les Malien-ne-s sont nombreux à souhaiter que la sortie du conflit s’effectue par le biais de négociations. Mais reste à savoir avec qui négocier, et à quel prix ?

Il semble exister la possibilité d’exclure l’AQMI du processus de négociation « en tant que tiers, » mais le MNLA comme Ansar Dine constituent tous deux des obstacles qu’il reste à surmonter. Le MNLA ayant une présence limitée dans la région, un accord de paix avec Ansar Dine impliquera probablement de plier devant les demandes spécifiques des fondamentalistes, telles que l’application d’une interprétation extrême de la loi islamique et les agressions continues à l’encontre des femmes comme les violations de leurs droits. Si les parties concernées acceptent de brader les droits humains des femmes, des filles, des minorités, et de sacrifier la population générale du nord du Mali, on pourra difficilement dire qu’il s’agit d’un accord « de paix ».

Category
Analyses
Region
Afrique
Source
AWID