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Ressources autonomes : moteur du travail féministe en temps de pandémie mondiale

Les réponses féministes au COVID-19 ont été rapides, judicieuses et nombreuses.

Il y a eu des webinaires (une multitude.de.webinaires), des threads sur twitter, des illustrations, des communiqués de presse et des recommandations politiques, ainsi que des rencontres familiales en ligne. Les analyses ont tout couvert, des impacts genrés du COVID-19 au travail à distance, en passant par le rôle du capitalisme néolibéral.

Les féministes se sont surtout mobilisé·e·s à une échelle massive pour générer des ressources propres consacrées aux actions quotidiennes de solidarité et de survie, réagissant politiquement, collectivement et fortement en ce moment. Bon nombre de ces actions émergent de communautés et de mouvements parmi les plus durement touchés et d’endroits les moins privilégiés, notamment des mouvements de personnes noires, LBTQI+, porteuses de handicap, migrantes et agissant pour les droits fonciers et au travail. Certaines réponses sont apportées au niveau local alors que d’autres relèvent plutôt de l’ordre mondial.    

La solidarité féministe actuelle constitue « le moteur » propulsant certaines des actions les plus novatrices et nécessaires prenant place aujourd’hui.

Nos mouvements sont littéralement en train de s’alimenter en ressources durant cette pandémie - via des fonds d’urgence, la transmission d’information, l’art, l’amour, le temps, le partage d’expériences, la documentation des répercussions et autres - en partageant, connectant, analysant, élaborant des stratégies et en imaginant de nouvelles réalités féministes, encore plus qu’auparavant.     

Les communautés de travailleurs·ses du sexe sont particulièrement affectées par le COVID-19. Comme l’explique le Fonds Parapluie Rouge,  « Comme toujours, [les travailleur·se·s du sexe] sont en ligne de mire, vivant cette nouvelle catastrophe dans ses multiples facettes [...] les violations des droits humains sous toutes leurs formes incluant la précarité du logement, les inégalités de revenus, le manque de nourriture, les inégalités d’accès aux soins et aux autres services publics, et enfin la violence, mais tout un chacun réagit avec « résilience et agilité ». Cette résilience et cette capacité d’action se sont traduites par des initiatives autonomes qui soutiennent les travailleurs·ses du sexe dans toutes les régions du monde. Ainsi, Aprosmig (Association de Travailleuses du Sexe de Minas Gerais) au Brésil mène actuellement une campagne par exemple pour fournir refuge, nourriture, produits d’hygiène et argent aux travailleur.se.s du sexe et aux sans-abri.   

À Berlin, Karada House, un espace artistique collaboratif queer, apporte dorénavant une aide d’urgence via l’initiative « LGBTQIA+ & WOMXN RELIEF FOR COVID-19 » (Aide aux femmes & aux personnes LGBTQIA+ pendant le COVID-19). Celle-ci procure une aide financière directe, une pré-cuisson et une livraison de repas, et même une mise en relation de personnes pour communiquer entre elles et réduire le stress émotionnel.

Aux États-Unis, SUSU: a black feminist giving circle (un cercle de partage féministe noir) diffuse actuellement des fonds d’intervention rapides aux féministes noir·e·s qui « vivent/prennent soin/soulagent/répondent aux demandes, et bien plus encore, dans le cadre du COVID-19 ». La coopérative Jackson d’autonomisation noire et de démocratie collective a reconverti son laboratoire de transformation dédié à la production communautaire en lieu d’impression 3D et de fabrication de masques cousus à la main. Elle envisage de « diffuser des vidéos pour apprendre aux autres à faire de même, façonnant la culture du DIY [do-it-yourself, « faire soi-même » en français] - qui est au cœur même de la tradition noire radicale ».

Les activistes féministes au Kenya utilisent Twitter pour lever des fonds pour les personnes queer et trans affectées par le COVID-19. Elles apportent aussi des ressources aux groupes comme #MutualAidKe, qui distribue de la nourriture, des produits d’hygiène, des fournitures scolaires et de l’argent. #MutualAidKe souligne sa mission en citant Toni Morrison qui disait : « La fonction de la liberté est de libérer quelqu’un d’autre. »

Global Women’s Strike (Grève mondiale des femmes, GWS) and Women of Colour (Femmes de couleur) GWS, mènent des campagnes depuis des décennies pour la reconnaissance financière du travail non rémunéré qui consiste à prendre soin des autres. Elles ont rejoint le Green New Deal for Europe (Nouveau pacte vert pour l’Europe) pour demander aux gouvernements du monde entier de verser un salaire pour ce type de travail, et ce, dès aujourd’hui.  

Dans plusieurs cas, les mouvements féministes mènent ces actions alors qu’elles résistent aussi aux attaques sur leurs droits.

En Pologne par exemple, le gouvernement a estimé qu’au milieu de la pandémie mondiale, il était temps de débattre de l’interdiction de l’avortement en cas de malformation sévère du foetus, et d’un projet de loi pouvant interdire l’éducation sexuelle. Heureusement, le débat est pour l’instant reporté, mais les manifestant·e·s ont fait preuve de créativité pour protester dans le cadre des règles de confinement liées au COVID-19, en se tenant à 2 mètres de distance avec des pancartes ou en les accrochant à leur voiture et leur vélo. Tout ce travail formidable, mais risqué, a été réalisé de façon parallèle au lancement d’une campagne de financement participatif destinée à soutenir les activistes et les personnes affectées par les discriminations intersectionnelles en Pologne, et qui se trouvent en difficulté économique en raison du COVID-19.

TOUT CELA constitue des ressources autonomes en action.

Mais comment est-ce finalement possible? Au milieu de toutes les difficultés personnelles, politiques et économiques auxquelles les personnes doivent faire face en raison du COVID-19 (qui s’ajoutent aux multiples défis touchant déjà la mobilisation féministe), comment se fait-il que les mouvements féministes soient inspirés et en mesure d’apporter des réponses aussi incroyables, en si peu de temps?   

Tout d’abord, les groupes auxquels appartiennent les mouvements féministes, dans leurs fondements et leur mission, sont les plus touchés par la pandémie, renforçant du même coup un besoin urgent d’analyses, d’actions solidaires et de réponses féministes. Comme le souligne la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF) : « La capacité d'isoler, de travailler à domicile, de scolariser vos enfants à la maison, de constituer des réserves, d'accéder aux soins de santé et d’alimenter financièrement (et psychologiquement) de nouveau votre vie après la pandémie dépend de la classe, du sexe, de la race, de l'âge et de la géographie. » Presque tout le monde est touché financièrement par la crise, mais les aides de l’État, qui varient considérablement d’un pays à l’autre, sont toujours réservées à des catégories particulières de travailleurs·ses, d’indépendant·e·s, de citoyen·ne·s, et des millions de personnes - dont beaucoup sont diverses de genre et des femmes - n’entrent pas dans ces catégories.      

Deuxièmement, les mouvements féministes sont capables de réagir rapidement… parce que cela fait partie de leurs gènes. Les féministes et autres mouvements sociaux sont reconnus pour s’entraider mutuellement, sortant un lapin du chapeau et co-créant un élan collectif et un pouvoir de résistance et de perturbation des oppressions, plaidant pour un changement mais surtout prenant soin les un·e·s des autres. Cela ne veut pas dire pour autant que ces éléments façonnent notre quotidien. Nos mouvements et priorités féministes méritent BEAUCOUP plus que les maigres ressources qui nous sont allouées. La pandémie du COVID-19 est encore un autre exemple du travail réalisé par les mouvements féministes et autres mouvements sociaux.      

Troisièmement, depuis des décennies, les mouvements féministes et sociaux se connectent, se soutiennent, documentent, analysent et théorisent à l’intérieur et en dehors des frontières, afin de planifier et de concevoir un nouveau monde. La pandémie du COVID-19 a peut-être ajouté une complexité du moment, mais nous ne partons pas de zéro.   

« Le moteur » féministe passe à la vitesse supérieure et conduit ces actions novatrices et nécessaires dans un contexte à la fois unique et fortement complexe. Cela démontre bien le pouvoir des ressources autonomes pour créer une réelle possession, une influence et un impact.  

En revanche, l’existence même et l’ampleur des réponses féministes apportées au COVID-19 révèlent aussi le besoin urgent de transformer nos systèmes déficients et injustes, qui mettent tant de personnes en difficulté. Lorsque la société civile doit une fois de plus se démener pour colmater toutes les fissures d’un bateau qui coule, il est temps de se tourner vers l’architecture du bateau en soi. Nous vivons une période qui met en lumière les défaillances du système quant à la redistribution des richesses, et qui devrait attirer notre attention commune vers les transformations structurelles à apporter pour la création et la distribution de ressources dans la société. Les mouvements féministes appellent à ces changements et sont les mieux disposés à les mener.


Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de IPS News

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Analyses
Region
Global
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AWID