Domaines prioritaires

Aider les mouvements féministes, en faveur des droits des femmes et de la justice de genre à être un élément moteur de l’opposition aux systèmes d’oppression et à co-créer des réalités féministes.

Ressources des mouvements féministes

Les mouvements féministes, en faveur des droits des femmes et leurs allié-e-s du monde entier s’opposent au pouvoir et imaginent de nouvelles politiques de libération. Des ressources économiques et politiques aux actes quotidiens de résistance et de survie, les contributions qui viennent nourrir ce travail revêtent de nombreuses formes.


L’initiative de l’AWID, Ressources des mouvements féministes (Resourcing Feminist Movements, RFM), met en lumière l’écosystème de financement actuel, qui va des modèles d’attribution des ressources auto-générée aux voies de financement officielles.

A travers nos recherches et analyses, nous examinons de quelles façons les pratiques de financement pourraient mieux servir nos mouvements. Nous faisons une étude critique des contradictions propres au “financement” de la transformation sociale, compte tenu notamment de la répression politique croissante, des programmes anti-droits et du pouvoir grandissant des entreprises. Mais surtout, nous élaborons des stratégies collectives en appui à des mouvements fleurissants, solides et résilients.


Nos Actions

Reconnaissant la richesse de nos mouvements et répondant au contexte actuel, nous oeuvrons à:

  • Créer et élargir les alternatives : Nous développons les pratiques de financement qui accordent une place prépondérante aux priorités des activistes et impliquons un large éventail de donateurs et d’activistes dans la création de nouveaux modèles dynamiques d’attribution de ressources en faveur des mouvements féministes, en particulier dans un contexte qui voit l’espace de participation de la société civile diminuer considérablement.

  • Enrichir nos connaissances : Nous explorons, échangeons et consolidons nos connaissances sur la façon dont les mouvements attirent, organisent et utilisent les ressources qui leur sont nécessaires pour entreprendre des changements significatifs.

  • Plaider : Nous travaillons en partenariat, comme avec le Count Me In! Consortium, afin d’influencer les programmes de financement et permettre aux mouvements féministes d’être en dialogue direct pour déplacer le pouvoir et l’argent.

 

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Vingt ans de résistance et de travail de fond en Haïti

Vingt ans de résistance et de travail de fond en Haïti

En 1970 à Port-au-Prince, les paramilitaires de l’ancien dictateur haïtien François Duvalier, connus sous le nom “Tonton makout” ont pénétré, saccagé et occupé le bureau de La Ligue Féminine d’Action Sociale, la première organisation féministe haïtienne, fondée en 1934. Grâce au bouche à oreille, les membres fondatrices de la Ligue ont accouru sur place quelques moments plus tard pour récupérer leurs documents qu’on avait éparpillé dans la rue. En dépoussiérant leurs archives, les membres de La Ligue, sont rentré-e-s à la maison, dit-on, pour s’appuyer sur le travail antérieur qui a failli disparaître.[1]


Vingt-sept ans plus tard, suite au coup d’État de 1997 en Haïti, l’Asosyasyon Fanm Soley Dayiti (AFASDA) (Association femmes soleil d’Haïti), fut initié comme groupe de réflexion et d’action par un groupe de femmes éducatrices et avocates pour contrer les discours masculinistes sur la construction de l’État et les élections contestées, AFASDA a initié ses activités en réfléchissant à la problématique transversale du genre dans le pays.

De 1997 à nos jours, elle a jeté les bases--dont divers programmes de formation en droits des femmes, d’assistance légale aux survivant-e-s de violences, de formations au leadership, d’alphabétisation de femmes--afin de soutenir les survivant-e-s de violence basée sur le genre, dans un contexte où 27% des femmes déclarent avoir subi des violences physiques au main de la part de leur partenaires ou autrui avant l’âge de 15 ans.[2]

Créé comme noyau de résistance, la mission d’AFASDA était de travailler avec les femmes et les filles haïtienne pour leur développement intégral, le respect de leurs droits et aussi pour reformuler le problème de la violence basée sur le genre comme étant de nature systémique plutôt que domestique.[3]

AFASDA, membre de l’AWID depuis le début de 2016, a collaboré à une vaste campagne de mobilisation des femmes et a également coordonné un programme de promotion d’un dialogue national mené avec la collaboration de radios communautaires.  

Célébrant leur 20ème anniversaire, forte d’expériences et d’alliances stratégiques, l’association poursuit sa mission et perçoit de nouvelles opportunités pour « les femmes d’exercer leur plein potentiel et de contribuer efficacement à la reconstruction de leur pays. »

« Par exemple, notre plus récent succès est le fait d’avoir fait juger et condamner un policier qui a violé une jeune etudiante, selon une nouvelle loi qui vient juste d’être votée, » affirme Elvire Eugène, directrice exécutive de l’AFASDA et résidente de Cap-Haïtien, une ville située au nord d’Haïti. 

Au niveau national, AFASDA prend activement part à la création et la gestion de divers réseaux et plateformes, dont la Coordination nationale de plaidoyer pour les plateformes des organisations haïtiennes (CONAP), la Platfòm Nap Vanse (Plateforme nous avançons), la Concertation nationale pour les femmes victimes de violence, le Réseau femmes du grand nord (REFAGNO).   
AFASDA a plus de 18 branches à travers tout le pays, ainsi que des comités communaux et possède un effectif de près de 3 000 membres (composé de femmes, filles et jeunes) qui participent dans les prises de décision et direction des activités, au niveau d'assemblées.

AFASDA est impliquée dans la lutte contre la violence basée sur le genre, particulièrement la défense de première ligne (assistance psycho-légale, sensibilisation, etc.). Pour contribuer à la réduction des cas de violences de genre, AFASDA fait un accompagnement légal pour les victimes, offre un  hébergement  temporairement pour des besoins de sécurité, organise des séminaires de réflexion et débats et des activités de  sensibilisation de  la population.

« Notre travail de concert avec nos partenaires contribue à la prévention des violences faite aux femmes et aux filles et à leur réintégration sociale, par la sensibilisation de la communauté sur la problématique de la violence faite aux femmes et aux filles et celle des autorités judiciaires et d’autres acteurs clés sur les difficultés rencontrées dans la prise en charge des femmes victimes de violences. » Elle offre aux femmes victimes de violence un accueil adéquat et leur faciliter l’accès aux services appropriées.    

« On est aussi activiste, c’est-à-dire, on est obligées d’aller dans les autres communes pour parler un peu de la violence. Parfois on suppose que les gens savent ce que c’est la violence mais après, on constate qu’il y a plusieurs communes qui ne savent pas ce que c’est la violence. On est obligées d’aller les retrouver pour parler avec eux de la violence. Parce qu’au bureau on reçoit beaucoup de cas qui démontrent que les gens ne savent pas ce que c’est la violence. Parfois elles subissent la violence mais elles ne savent pas où aller. AFASDA représente un repère.»

« C’est-à-dire qu’on est là pour les aider, les aider à se récupérer et s’il y a un malentendu avec leur partenaire on est obligées d’appeler le partenaire aussi. On lui envoie une lettre et puis quand les deux sont revenus au bureau on fait une médiation entre la dame et le partenaire. Après maintes reprises et puis ça va pour eux ils sont obligés de retenir. »

Le contingent haïtien au Forum des féminismes noirs et le Forum de l’AWID 2016 a été composé de quelques membre de l’AFASDA, dont Cathy Elvariste et Myriam Dubuisson, qui ont animé une session intitulée « vers une coalition forte des associations des femmes au niveau des pays francophones des Caraïbes ». 

Cathie Elvariste et Myriam Dubuisson animent une session au Forum AWID 2016

« Le dernier forum de l’AWID nous a offert des ouvertures et des opportunités et nous a aussi permis d’établir des contacts avec des activistes de différents pays. »

« Nous espérons que le suivi du forum sera effectif, certaines actions seront entreprises et que tous les pays du monde s’engagent dans la lutte pour le respect intégral des droits de la femme.»


[1]  Pour une narration soigneuse et nuancée du mouvement féministe haïtien, voir : Sanders, Grace Louise. “La voix des femmes: Haitian Women’s Rights, National Politics and Black Activism in Port-au-Prince and Montreal: 1934-1986”. 2013. 
[2] Voir “Violence basée sur le genre, FNUAP, 2016.”
[3] Pour une perspective sur l’état du mouvement féministe haïtien pendant les derniers 25 ans, consulter : Louis, Eunide. “Violences faites aux femmes en Haïti : État des lieux et perspectives”. Haiti Perspectives. Vol. 2. no. 3. Automne 2013.

Region
Les Caraïbes
Source
AWID

Explorer la liberté à travers l’éducation, l’action, l’unité et la solidarité

Explorer la liberté à travers l’éducation, l’action, l’unité et la solidarité

Née le 12 mars 2006 à Bogota, en Colombie, Sentimos Diverso s’est installée en 2010 à Quito, en Equateur, où se déroulent aujourd’hui les activités de l’organisation. Cette dernière se définit comme un « collectif œuvrant à créer et développer des projets et des actions destinés à autonomiser les femmes, les adolescent-e-s, les jeunes et les personnes ayant des orientations sexuelles et des identités de genre diverses pour l’exigibilité des droits humains, sexuels et reproductifs ». 


Action, union et solidarité face à la discrimination 

L’idée de Sentimos Diverso est apparue après avoir assisté à une scène, un soir, dans le quartier de Chapinero, à Bogota, où « un groupe de bone-heads (une variante de skinheads à tendances néo-nazies) poursuivait deux personnes très jeunes qui essayaient d’entrer au Teatrón, un bar gay très à la mode. Nous n’avons jamais su ce qu’il leur était arrivé ; mais nous avons compris qu’il était important d’ouvrir un espace d’homo-socialité autre que celui de la vie nocturne, un espace de sécurité et de confiance où nous pourrions être qui nous sommes. Nous nous sommes dit qu’en utilisant l’art et la littérature, les jeunes pourraient exprimer leurs quêtes et leurs inquiétudes, qu’ils pourraient se trouver et rencontrer d’autres personnes. » 

Au début, les membres du collectif aspiraient à ce que la société dans laquelle elles et ils vivaient, le mouvement de la jeunesse et le secteur LGBTI de la ville, « comprennent ce que cela signifie d’être un-e jeune divers-e, nous voulions être considéré-e-s comme des sujets de droit, transformer l’idée que c’est un sujet purement politique pour l’axer sur le quotidien et visibiliser les différentes expériences. » 

Sentimos Diverso croit à la collaboration et à la créativité sur le lieu de travail, avec une équipe multi-disciplinaire. De gauche à droite : Gabrielle, Cristina, Isabel, Lenyn et David.

Catalina, Nikita, Viviana, Marleny, Eduardo et Gabrielle, six ami-e-s, se sont donc mis-es au travail. Leur première action a été de créer “Canelazo Literario”, qui « réunissait précisément le goût de la performance et la littérature en développant des ateliers autour de thématiques telles que le corps, la ville et la diversité ». Ils et elles ont rassemblé des jeunes qui ne se définissaient pas uniquement comme appartenant aux LGBTI, ou pour lesquel-le-s il était dangereux de le faire ; « nous avons joué avec les mots : hétéroperturbé-e-s, lesboflexibles, bicurieux-ses, transindécis-e-s et beaucoup d’autres, pour que les gens comprennent que nous n’étions pas si différents ». 

Autour de l’année 2010, la vie avait choisi des chemins différents pour les membres et il ne restait plus qu’une seule personne du groupe original. Cette dernière immigra en Equateur et emmena l’organisation avec elle. 

Le nouvel emplacement de l’organisation, le contexte, nouveau et différent, ont généré de nouveaux défis qui ont eux-mêmes provoqué un élargissement de son domaine de travail, couvrant dorénavant les thématiques des droits sexuels et reproductifs et se concentrant sur les femmes, les adolescent-e-s et les jeunes. « Avec ces personnes, nous travaillons sur l’autonomisation, la conscientisation du contexte, leurs droits et l’exigibilité de ces derniers. Ce travail se fait à travers des méthodologies d’éducation populaires, l’informel, l’art (théâtre, photographie, vidéos, arts plastiques) et la communication ». 

Stratégies pour mener à bien un travail transformateur 

Sentimos Diverso mène ses tâches et son engagement en faveur de la transformation sociale à travers quatre lignes de travail.

Sentimos Diverso utilise des produits éducatifs comme stratégie pour aborder les droits sexuels et reproductifs. El Canguilazo est un videoblog pour les jeunes. Ici observé par des étudiant-e-s d'un collège du nord de Quito.

Premièrement, la ligne pédagogique : en s’appuyant sur des stratégies ludiques, empiriques, artistiques comme la peinture, le théâtre de l’opprimé, la photographie, l’écriture créative et la vidéo, elle a permis à l’organisation de développer des méthodologies de travail afin d’aborder et diffuser les thèmes de la diversité sexuelle et de genre ainsi que des droits sexuels et reproductifs. Elle a également organisé des ateliers auprès de populations diverses comme des adolescent-e-s, des jeunes, des personnes LGBTIQ, des femmes, des réfugié-e-s, des migrant-e-s, des victimes de violences, des mères adolescentes et des enseignant-e-s. 

D’autres publications ont été créées dans le cadre de cette même ligne : “De cuento en cuento me narro diverso” (‘d’histoire en histoire je me raconte diversement’), fruit du travail réalisé avec des jeunes de Bogota ; “12 cosas sobre mí” (’12 choses à mon sujet’), qui est le résultat de près de quatre années d’activités avec des adolescent-e-s de la ville de Quito ; et “Cirila y Silbato son amigos” (‘Cirila et Silbato sont amis’), utilisé comme matériel stratégique pour prévenir la violence sexuelle dans les zones à risque en termes de catastrophes naturelles. 

La deuxième ligne est celle de la recherche, développée afin d’analyser plus en profondeur les réalités des populations avec lesquelles l’organisation travaille.

« Nous sommes actuellement en cours de rédaction des conclusions de la recherche "Ojos que no ven: Maternidad adolescente, violencia y estrategias de vida" (‘Ce que les yeux ne voient pas : maternité adolescente, violence et stratégies de vie’), où nous nous sommes penché-e-s sur les activités des mères adolescentes, leur exploitation au travail, leur contribution aux tâches domestiques et familiales, leur présence ou non dans le système scolaire, leurs relations et situation familiales et les nouvelles vulnérabilités auxquelles elles sont soumises ». 

Dans ce même cadre, l’organisation développe « la création du hacker space féministe en Equateur, dont le but est de sécuriser les activistes et développer les stratégies d’auto-surveillance dans l’espace virtuel. Nous travaillons actuellement à partager nos connaissances et à développer nos outils en vue de leur diffusion ». 

La troisième ligne de travail passe par la communication. C’est un domaine qui intéresse beaucoup les gens et où ces derniers s’investissent fortement, puisque la page web du collectif est fréquemment actualisée et que ce dernier publie régulièrement des analyses, ainsi que des interviews sur l’actualité concernant les droits sexuels, reproductifs, des femmes et de la population LGBTIQ en Equateur et dans la région. « En cette année 2017, nous développons un travail de journalisme dans lequel nous analysons ces thématiques d’un point de vue régional dans le cadre d’un suivi des Objectifs millénaires de développement, en particulier celui lié à l’égalité de genre. Nous avons déjà publié notre premier article «No nos pidan que volvamos al silencio» [en espagnol].»

La quatrième ligne clé du travail qu’accomplit l’organisation est celle des relations interinstitutionnelles, où elle se concentre à créer des réseaux avec les institutions publiques, les organisations sociales et les activistes. « Nous considérons que le travail collectif fait toute la différence, et c’est précisément cet espace commun qui nous a permis d’établir un réseau de travail avec d’autres organisations de la région. Par exemple, nous avons été activement impliqué-e-s dans la Campagne pour la convention interaméricaine des droits sexuels et reproductifs, et avons développé des travaux comme la Escuela Audiovisual Al Borde- Ecuador (Ecole audiovisuelle AL Borde Equateur), dirigée par Mujeres Al Borde de Colombia. Nous sommes également présent-e-s dans les espaces locaux, comme ce sera le cas au Encuentro feminista de Ecuador (Rencontre féministe d’Equateur) tout au long de l’année 2017 ». 

Notre collègue Ángela, faisant la promotion de « 12 choses à propos de moi » pendant le Forum de l'AWID, au Brésil.

Incitation à la réflexion

Le travail de Sentimos Diverso vise à inviter à penser et repenser comment démanteler l’hétéro-patriarcat ; sa touche la plus créative ressort dans tout ce que l’organisation déploie en termes d’éducation.

C’est avec fierté qu’elle nous parle de l’une de ses dernières publications, le carnet “12 Cosas sobre mí”, qui récapitule une partie du travail réalisé auprès d’adolescent-e-s et de jeunes dans les écoles et les centres d’accueil de la ville de Quito. 

« Le carnet repose sur la créativité et la provocation de réflexions qui, si elles ont été pensées par des adolescent-e-s et des jeunes, peuvent aussi bien être développées par des personnes de tous âges. Nous partons de l’idée que le livre propose des thématiques pour l’écriture créative et nous lui ajoutons notre perspective artistique et pédagogique. De cette façon, nous aurons 12 questions qui génèreront des réflexions autour de l’identité, la mémoire, le genre, l’auto-estime, l’autonomisation, l’orientation sexuelle et les projets de vie. Cet outil pédagogique est issu des ateliers que nous organisons pour les adolescent-e-s. A l’origine, l’idée était de lancer des manuels pédagogiques, mais un processus de création au sein de Sentimos Diverso a débouché sur ce concept qui a été très bien reçu, et que nous avons lancé au 13ème Forum de l’AWID. Nous l’utilisons actuellement comme outil de travail auprès d’élèves de secondaire adolescent-e-s dans la ville de Quito. »

Les élèves savent bien que la pérennité d’une organisation ou d’un collectif dépend très souvent de la mobilisation et des ressources octroyées. 

Lors du Forum de l'AWID : Edward, Ángela, Gabrielle et Isabel participent aux discussions et apprenent en équipe les différentes stratégies de travail et d'autonomisation.

A sa création, le collectif a été financé par les efforts et les ressources réunis par les membres. Depuis 2007, il bénéficie du soutien de Astraea Lesbian Foundation for Justice, « qui a cru en notre travail, en nos activités et a contribué de façon fondamentale à notre croissance en tant qu’organisation sociale et en tant qu’activistes. Cette fondation nous a non seulement proportionné un soutien économique, mais elle a aussi proposé des formations et des rencontres qui se sont avérées importantes pour conserver notre dynamisme ».

Le soutien dont nous bénéficions de Mama Cash depuis 2014 a largement influencé la croissance et l’institutionnalisation de Sentimos Diverso en Equateur. « Nous avons aujourd’hui quelques projets qui prennent de l’ampleur et nous sommes conscient-e-s qu’il faut leur accorder un budget à part entière ; nous trouvons ainsi peu à peu des gens qui décident de nous croire et prennent le pari de nous soutenir. C’est aujourd’hui le cas de l’IWHC, qui a choisi de nous aider moyennant un projet que nous avons momentanément baptisé “especiales Editoriales” (spécial éditoriaux), et qui vise à renforcer nos habilités et nos apprentissages dans le domaine de la Communication ». 

Source
AWID

La recherche de ma voix et de mon identité en tant que féministe sierra-léonaise

La recherche de ma voix et de mon identité en tant que féministe sierra-léonaise

Dans le cadre des profils des membres de l'AWID, Ngozi Cole raconte son voyage et comment elle a trouvé son identité en tant que féministe.


Mes souvenirs heureux les plus lointains sont ceux sur le dos de ma mère. La chaleur douillette de son écharpe en coton avait quelque chose de réconfortant. 

Jusqu’à l’âge de cinq ans, je sautais sur son dos en attendant patiemment qu’elle m’enveloppe dans mon cocon, même si elle marmonnait que je devenais « trop grande » pour cela. C’est à peu près à cette époque que nos vies ont pris une tournure définitive. En 1997, les rebelles du Revolutionary United Front (RUF, Front révolutionnaire uni) ont envahi Freetown et j’ai été arrachée à mon « chez moi » tel que je le connaissais. 

Ma famille à Frewtown au début des années 90, avant le début de la guerre civile sanglante qui a ravagé la ville. Je suis le bébé.

Ma mère s’est enfuie avec ma grande sœur et moi dans le pays voisin, la Gambie, où nous avons recommencé notre vie en tant que réfugiées. Je n’avais que cinq ans lorsque nous avons pris la fuite et je ne comprenais que mal les raisons qui m’avaient obligée à laisser derrière moi ami-e-s, cousins et cousine, père et jouets. J’ai essayé de m’adapter à mon nouveau chez moi ; ma mère, elle, a tout fait pour protéger ses filles des nombreuses réalités de marginalisation et difficultés qui sont inhérentes au statut de réfugié dans un pays étranger. J’ai appris à parler wolof, me suis rapidement fait des ami-e-s et très vite, beaucoup de choses m’ont paru familières – les odeurs et les bruits ont commencé à me sembler faire partie de chez moi. 

Nous sommes retournées en Sierra Leone l’année suivante après un bref épisode d’accalmie, et bien que cette tranquillité fut fragile, il nous semblait que la paix était enfin revenue. Nous avons tenté de reprendre le cours de notre ancienne vie, en espérant que l’accord de paix entre les factions belligérantes tiendrait. Pendant un temps, la vie a paru stable et j’ai même commencé à oublier la vie que j’avais laissée en Gambie – jusqu’au jour où les rebelles sont entrés dans Freetown pour la deuxième fois le 6 janvier 1999.

Il fut encore plus difficile de faire face à l’instabilité et au traumatisme de la guerre que la première fois. Cette fois, étant plus consciente et un peu plus âgée, j’ai eu l’impression que j’essayais de rattraper quelque chose qui s’éloignait de moi en flottant. Nous avons de nouveau passé la frontière gambienne ; pendant ces deux années qui ont suivi, je me suis sentie chez moi et ai intégré mon identité de réfugiée, ou d’ « alien », comme on nous appelait en Gambie. 

En 2002, nous avons décidé de rentrer à nouveau en Sierra Leone et nous espérions que cette fois, ce serait pour de bon. 

Mon identité a de nouveau été remise en question lorsque je suis entrée au collège, à la Annie Walsh Memorial School de Freetown. Je ne connaissais pas l’hymne national, j’avais oublié quelques mots du serment national et en ce qui concerne mon accent, je savais que ce n’était pas « tout à fait ça ». L’année de ma sixième, quelques camarades de classe m’ont demandé si j’étais vraiment sierra-léonaise. On avait beau m’avoir dérobé, fait miroiter la sécurité d’un chez moi et la familiarité une première, puis une deuxième fois, j’étais prête à tout pour me défaire de cette impression de décalage, de ce sentiment d’être « moins que », de ne pas être une citoyenne à part entière, d’être une réfugiée.

J’étais chez moi, j’étais sierra-léonaise et je me suis battue pour le revendiquer. 

Après mes études secondaires en Sierra Leone, j’ai obtenu une bourse me permettant de fréquenter la African Leadership Academy, une école panafricaine à Johannesburg. Je suis ensuite allée vivre à Wooster, une petite ville en plein milieu de l’Ohio, pour suivre des études au College of Wooster, une petite école d’arts privée non loin de Cleveland. J’y ai pris des cours de philosophie et de sciences politiques, qui, associés à mon cursus universitaire, m’ont donné les outils pour forger une autre partie de moi – mon identité féministe.

Des conférencières et des activistes de renom, telles que Roxanne Gay, auteure de Bad Feminist m’ont beaucoup influencée et poussée à embrasser mon identité féministe pendant mes années de formation. Ici, je suis avec Gay et l’une de mes amies proches et sœur féministe, Ainslee Robson (à gauche).

Au cours des premières années de mon adolescence, j’étais totalement persuadée que les féministes étaient des femmes qui nourrissaient de la colère à l’égard des hommes, des androphobes. 

Vers l’âge de 16 ans, j’ai commencé à adopter une pensée très radicale sur ma position de jeune fille dans ce que je considérais (et considère encore) comme une société majoritairement patriarcale. J’étais inspirée par les activistes qui œuvraient pour les droits des femmes, ces femmes qui luttaient sans relâche pour l’égalité politique en Sierra Leone, pour l’égalité des droits économiques et fonciers, et j’ai rejoint la lutte contre les mutilations génitales féminines. Mais je trouvais le « féminisme » encore trop extrême. En 2013, au Ghana, j’ai eu la chance de faire partie d’une communauté de jeunes femmes africaines de la diaspora et vivant sur le continent, dont bon nombre étaient féministes et œuvraient à faire changer les choses dans leurs communautés respectives. 

Pendant mon séjour au Ghana, j’ai rencontré Leymah Gbowee et Taiye Selasi, des femmes courageuses qui s’étaient elles aussi battues avec leur identité et qui s’identifiaient fortement au féminisme. Lorsque je suis retournée aux Etats Unis cet été-là, j’ai entamé un blog sur mon parcours de femmes africaines vivant dans le Midwest ainsi que sur ma pleine adhésion au féminisme. J’ai réussi à trouver ma propre voix, une voix assurée qui ne craignait plus de débattre ni de discuter avec ses pairs sur des questions concernant les femmes, fut-ce sur le campus ou dans le monde extérieur. Le féminisme a influencé mes écrits et j’ai été invitée sur un podcast de femmes africaines pour parler de l’oppression dont fait l’objet la sexualité des femmes africaines. Les publications de mon blog (en anglais) sur le body shaming et la culture du viol ont été largement diffusés sur les réseaux sociaux. 

Même après l’université, j’ai continué à trouver des façons d’intégrer cette partie de moi ; et tandis que je grandis et que je l’intègre pleinement, je comprends que le féminisme n’est pas « une partie » de moi, sinon qu’il est fondamental à ma survie le long de ce voyage qui est le mien en tant que jeune femme sierra-léonaise. Aujourd’hui, écrire au sujet des droits des femmes au Sierra Leone concernant la santé mentale et reproductive est un exutoire. 

J’ai trouvé ma voix, j’ai finalement intégré mon identité en tant que sierra-léonaise et en tant que féministe. Une féministe sierra-léonaise. 
L’une des nombreuses plages magnifiques de Sierra Leone, ma patrie

 

Source
Ngozi Cole