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Procès pour génocide au Guatemala : des femmes en quête de vérité

DOSSIER DU VENDREDI : L’AWID s’est entretenue avec Maya Alvarado, Directrice exécutive de l’Union nationale des femmes guatémaltèques (UNAMG) sur le procès historique intenté contre Efraín Ríos Montt, ex dictateur du Guatemala, accusé de génocide et de crimes contre l’humanité. C’est la première fois qu’un procès pour génocide a lieu dans ce pays centraméricain.

Par Gabriela De Cicco

Le procès contre l’ex Président Ríos Montt et le Général José Mauricio Rodríguez Sánchez a débuté le 19 mars 2013 au Guatemala. Comme l’a signalé le Ministère public dans sa présentation, sous la direction de la Procureure générale Claudia Paz y Paz, Ríos Montt est responsable de 15 massacres perpétrés dans la région d’Ixil dans le Quiché, au nord du Guatemala, ayant provoqué la mort de 1.771 personnes. Plus de 29.000 personnes ont été déplacées de leurs villages durant son mandat et 1.485 femmes ont été violées par des soldats.

Entre 1960 et 1996, le Guatemala a vécu l’horreur d’un conflit armé interne ayant provoqué la mort ou la disparition de plus de 200.000 personnes, dont 80 % appartenaient à des populations autochtones mayas. Les enquêtes menées par la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH) estiment que 600 massacres ont été perpétrés et qu’environ une victime directe sur quatre de violations des droits humains et de faits de violences était une femme. Elles sont mortes, on les a fait disparaître, elles ont été torturées et violées sexuellement, certaines pour leurs idéaux et leur participation politique et sociale tandis que d’autres ont été victimes de massacres et d’attaques indiscriminées[1]. Les conclusions de la Commission ont établi que le personnel des forces de sécurité de l’État et les paramilitaires ont commis 93 % des violations. Les cinq ans entre 1978-1983 fut les plus violentes du conflit de 36 ans et correspond aux dictatures des généraux Romeo Lucas García (1978-1982) et Efraín Ríos Montt (1982-1983). C’est durant cette période noire que 81 % des violations se sont produites, et 48 % en 1982.

AWID : Quelle est l’importance que revêt le procès contre Ríos Montt ?

Maya Alvarado (MA) : Son importance est immense, d’une part parce qu’il s’agit d’un procès pour génocide et crimes contre l’humanité, et d’autre part parce que l’un des principaux accusés est un ex chef d’État. Le système de justice, en admettant la recevabilité de cette accusation, a contribué à ouvrir un débat sur le racisme de la société guatémaltèque, qui pendant de nombreuses années a refusé de reconnaître que les faits survenus durant le conflit armé constituent un génocide. Pire encore, il s’agit d’un génocide lié au racisme présent dans la société guatémaltèque et aux constructions idéologiques élaborées par l’État sur la population autochtone, qui affirmait que de par sa nature et ses conditions, celle-ci était l’alliée incontestée de la guérilla. D’un point de vue idéologique, l’État a construit l’image d’un ennemi interne à éliminer, à savoir les peuples autochtones.

Le fait que toutes ces violations fassent aujourd’hui l’objet d’un procès pour génocide nous fait revenir sur les dynamiques de l’oubli instaurées par l’État guatémaltèque suite à la signature des accords de paixen 1996, après 10 ans de négociation entre la guérilla et différents gouvernements. Le but recherché était de faire table rase sur le passé, ce qui est impossible. Les populations et leurs victimes exigent que la vérité soit connue, que les responsables soient connus, et que les responsabilités soient établies.

Malheureusement, la population urbaine a été soumise à l’influence des médias qui ont voulu imposer l’idée que l’ouverture d’un procès ne ferait que rouvrir des blessures et provoquerait une nouvelle polarisation de la société. Les organisations sociales, de femmes, féministes et des droits humains, considérons que ce procès ne cherche en aucun cas à provoquer une polarisation, au contraire il va permettre de faire éclater la vérité, une vérité qui a été refusée aux victimes du conflit armé au Guatemala, dont les chiffres sont effrayants.

AWID : Pourrais-tu nous parler de l’affaire Sepur Zarco, de son rapport avec l’affaire Ríos Montt, et de l’impact que pourrait avoir l’affaire actuelle sur celle-ci ?

MA : Cette affaire met en cause quatre chaînes de commandement, dont Ríos Montt. Un détachement militaire s’est installé dans la communauté de Sepur Zarco. Il s’agit de la région du Polochic où la demande de terres remonte à l’époque coloniale, tout comme la lutte et la revendication de la terre par les peuples autochtones. Dans cette région, la guérilla était pratiquement inexistante. La présence militaire dans cet endroit est la preuve même de l’alliance entre les forces armées et l’oligarchie pour la domination des communautés et les garanties d’expropriation des terres.

Nous avons réussi à établir qu’autour de 7 détachements militaires ayant différentes fonctions se sont installés dans la vallée du fleuve Polochic, qui s’étend sur environ 12 kilomètres. Durant six ans, le détachement de Sepur Zarco a fonctionné comme centre de détente, de récréation et de repos des troupes. Les femmes y ont été contraintes de s’organiser pour laver le linge des soldats avec leurs propres moyens car ils ne leur fournissaient pas de savon ni quoi que ce soit pour le faire, pour cuisiner avec leurs propres récoltes de maïs et de haricots, en plus d’être systématiquement violées.

Il est démontré que la violence sexuelle fut une activité planifiée et organisée de manière administrative par les militaires : des roulements étaient organisés, la contraception était prévue pour éviter les grossesses suite aux viols, d’autres délits avaient été commis préalablement tels que la disparition forcée des époux et la violence sexuelle a même été utilisée comme moyen de torture pour soutirer des informations. Les corps des femmes ont été utilisés pour véhiculer un message de terreur aux communautés. Nous considérons que tous ces faits sont la preuve de la planification qui existait derrière ces actes, et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un évènement isolé.

L’Union nationale des femmes guatémaltèques (UNAMG) travaille dans la région auprès de 60 femmes, qui font l’objet d’une forte stigmatisation au sein de leurs communautés. Il est très douloureux de constater que la violence sexuelle est le seul crime où la victime se retrouve « responsable » de ce qu’elle a subi. Cette forte stigmatisation dont les femmes ont été victimes au sein de leurs communautés est la raison pour laquelle un grand nombre d’entre elles préfère ne pas recourir à la justice. Toutefois, elles sont organisées en réseaux et appuient les 15 femmes qui ont décidé de porter leur cas devant la justice et de raconter tout ce qui s’est passé dans la région lors de ce procès.

Tous ces cas sont à l’évidence liés, et l’affaire Sepur Zarco est présentée comme violence sexuelle constitutive de génocide. Les enquêtes ont permis d’établir de quelle manière la violence sexuelle a été utilisée dans le cadre de l’appareil de guerre visant à diviser les communautés et littéralement utiliser les femmes pour détruire toute possibilité de continuité des peuples autochtones. L’issue du procès contre Ríos Montt sera déterminant dans l’évolution de l’affaire Sepur Zarco, dans laquelle 15 femmes ont présenté leurs témoignages comme preuves anticipées parce qu’il s’agit de femmes âgées, l’une d’entre elles était d’ailleurs malade et est décédée en janvier de cette année, c’est pour cette raison que nous avons préféré la démarche de la présentation de preuves anticipées.

AWID : Quel a été le rôle joué par l’État face à ces accusations ?

MA : L’Etat du Guatemala n’a jamais assumé sa responsabilité d’enquêter sur ces faits, et encore moins de les porter devant la justice, chose que l’on serait pourtant en mesure d’attendre de sa part. Des exhumations qui mettent en évidence tous ces faits ont été réalisées. L’État est censé devoir enquêter d’office chaque fois que des fosses apparaissent, or celui-ci ne le fait pas. Nous reconnaissons l’action menée aujourd’hui par le Ministère public sous la direction du Procureur général actuellement en fonction. Nous considérons également qu’il a été possible de faire avancer ces affaires entre l’administration précédente et l’administration actuelle. Toutefois, de grandes difficultés persistent car des pouvoirs parallèles souhaitent que ces faits demeurent dans l’ombre pour éviter que justice soit faite. Qui plus est, le Président actuel, M. Otto Pérez Molina, est un ex militaire ancien chef des opérations de renseignement dans ces régions, impliqué dans le génocide, précisément dans la zone d’Ixil.

AWID : Quelle est votre impression du déroulement du procès ?

MA : La juge et le juge qui instruisent l’affaire ont fait preuve d’impartialité et d’engagement vis-à-vis de la justice, ainsi que d’expertise dans l’instruction de ce dossier concernant les lois en vigueur dans le pays. Nous pensons qu’ils font au mieux, tout en étant soumis à de fortes pressions. Nous sommes optimistes, mais restons préparées car toute les issues sont possibles. Nous estimons que l’ensemble de l’accusation repose sur un dossier solide, qui est le fruit du travail remarquable mené par les avocats. Les expertises présentées sont de très haut niveau, nous sommes donc en mesure d’attendre un procès respectueux du droit, permettant de condamner tous les faits perpétrés contre les victimes, témoins dans cette affaire, avec une sentence claire. Si ce n’est pas le cas, nous continuerons de nous battre et ferons appel jusqu’à ce que justice soit faite.

 

AWID : De quelle manière les organisations internationales, sociales, de femmes peuvent-elles manifester leur solidarité ?

MA : Il est fondamental que la communauté internationale soit très attentive au déroulement des évènements, qu’elle sache que toutes les actions menées par les organisations sociales, de femmes, des droits humains, sont motivées par notre conviction que la justice est nécessaire pour que ce pays puisse avancer. Toutefois, nous agissons dans un contexte chargé de menaces contre l’intégrité des propres victimes, témoins et plaignants. Il est nécessaire que les gouvernements d’autres pays exigent au Guatemala de respecter et garantir un procès respectueux du droit, et également soucieux des responsabilités assumées par l’État en matière de droits humains.

Pour en savoir plus :

Rapport de témoignages faits pendant la 8ème journée du jugement sur la violence sexuellehttp://www.awid.org/fre/Actualites-et-Analyses/Nouvelles-Ressources/Rapport-jugement-de-Rios-Montt

[1]http://www.edualter.org/material/guatemala/segnovmemoria.htm

Category
Analyses
Source
AWID